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Pau Torres, Villarreal dans la peau
Seul joueur né à Vila-real à évoluer pour le club de la petite ville, Pau Torres vit un rêve éveillé depuis un an et demi. Après avoir remporté le premier titre de l'histoire de Villarreal, il a enchaîné avec une demi-finale d'Euro et une finale aux JO avec la Roja. Celui que l'on surnomme le « Xiquet del poble » est la fierté de tout un pueblo, sur et en dehors des terrains.
À Vila-real, pueblo de 50 000 âmes de la Communauté valencienne, le nom de Pau Torres court littéralement les rues. Sur le dos des gamins, le maillot jaune est souvent floqué d’un numéro 4 et d’un « Pau » , aussi timide que symbolique. « C’est le nom que l’on met le plus souvent, avec celui de Gerard Moreno », assure la vendeuse de la boutique du stade, où le défenseur central est de toutes les publicités. « Quand Pau était petit, il avait des idoles, et aujourd’hui c’est émouvant de voir qu’il est le modèle des enfants du pueblo, s’émeut Luisa, la mère du « Xiquet del poble » (enfant du pueblo, en valencien, NDLR), assise sur l’une des deux statues qui se dressent devant l’Estadio de la Cerámica. Il leur vend un peu de rêve et prouve qu’eux aussi peuvent réussir. » À quelques jours d’un match qui pourrait être l’un des plus importants de sa carrière, Pau a (déjà) presque tout gagné avec le club de sa vie. En soulevant la Ligue Europa à Gdansk en mai dernier, le jeune d’alors 24 ans permettait à Villarreal d’écrire la toute première ligne de son palmarès, n’ayant jusqu’alors jamais disputé la moindre finale. Mais la plus belle page de son histoire restera celle qu’il écrit chaque jour en étant Pau, le gamin de Vila-real devenu titulaire de Villarreal.
Un Pau parmi tant d’autres, sur le chemin vers le stade
Ce faiseur de Roig
« Pau reflète ce qu’est le club parce qu’il est de Vila-real et qu’il est très humble et travailleur, comme tout le pueblo, assure Fran Palomares, son entraîneur chez les cadets, à 12-13 ans. Personne ne peut sentir ce que c’est d’être de Vila-real comme lui, parce que toute sa famille est d’ici. Il a grandi en même temps que le club et s’est formé grâce au développement du club. » Né un 16 janvier 1997, Pau Francisco Torres de son nom complet a eu la chance de croiser la route de Fernando Roig, milliardaire local ayant fait fortune dans la céramique et qui a repris le club l’année même de la naissance de Pau. Celui qui est toujours président aujourd’hui a non seulement ramené des fonds, mais surtout un modèle de formation, que suivra Pau Torres six ans plus tard.
« Il venait me voir à mes entraînements, il prenait toujours les ballons des gardiens et jouait avec, se rappelle Jordi, son frère, qui, depuis, regarde son frère jouer. Il n’avait pas l’âge autorisé pour commencer. Les entraîneurs voyaient qu’il était déjà assez fort et voulaient le faire commencer un an plus tôt, mais ils ont dû attendre. » Éduqué entre un oncle ancien joueur de Villarreal et Gică Craioveanu, le gamin ne vit pas le rêve de ses parents, qui l’incitent avant tout à prendre du plaisir. Salva, entraîneur de Pau entre ses 6 et 12 ans, se souvient que peu importe où il le faisait jouer, « il jouait à la perfection ». « Il donnait tout ce qu’il avait peu importe où on le mettait et ne faisait jamais la gueule, même si on l’envoyait sur un côté. Tant qu’il jouait, il était content », poursuit celui qui aujourd’hui voit les progrès de son petit protégé dans l’antre jaune qui surplombe le quartier. Et même lorsque son entraîneur lui disait « Pau, tire ! » lors des coups d’envoi, le minot s’exécutait. « Il a marqué au moins deux buts comme ça », s’amuse encore sa mère presque 15 ans après.
Il avait déjà pris l’habitude de ramener des grands saladiers à la maison dès tout petit.
Le jeune Pau s’accommode du jeu de possession à base de relances courtes et prises de risque qui deviennent les bases de l’ensemble du système de formation mis en place par Villarreal.« La formation a progressé, et lui a progressé grâce à cette formation », maintient Fran Palomares, qui a passé 19 ans au club et a vu l’actuel numéro 4 de l’effectif incarner cette évolution. Et lui qui était habituellement milieu de terrain est passé un cran derrière, pour faire profiter de sa qualité balle au pied, mais surtout se faire une place dans un onze où jouer dans l’entrejeu le condamnait vraisemblablement au banc. « De là, je vois mieux le jeu et je peux le lancer proprement », expliquait Pau à sa mère qui interrogeait son nouveau rôle. Fran se souvient qu’il n’était pas celui qui tapait dans l’œil des coachs à l’époque, mais qu’il avait su les conquérir avec une chose : son énorme goût de l’effort. « Je me souviens que dès le premier jour, je lui disais ce qu’il fallait améliorer, et au lieu de me répondre, il le faisait directement sur le terrain, raconte celui qui le décrit comme introverti. Tu penses qu’il ne t’écoute pas ou qu’il ne comprend pas ce que tu lui dis, mais il ne fait pas de bruit et agit. » Un comportement calme, responsable et respectueux, qui en plus d’en faire le chouchou de ses entraîneurs, lui vaut évidemment d’obtenir le brassard de capitaine dans chaque catégorie. Fran et Salva s’accordent à dire qu’il était désigné naturellement par ses coéquipiers, et qu’il n’était pas du genre braillard, mais plutôt à dire les choses juste quand il faut. Le tout en ne vivant pas forcément avec ses coéquipiers, puisque le petit veinard, vivant à cinq minutes à pied du stade, continue de loger chez ses parents quand beaucoup crèchent dans la « residencia » face aux terrains d’entraînement.
Rare photo où vous verrez Pau Torres s’exclamer
Les quatre-roues de la fortune
« Il savait la chance qu’il avait de vivre chez ses parents, parce qu’il voyait ses coéquipiers pleurer le week-end lorsque leurs parents partaient », raconte Salva, qui a vu un paquet de larmes couler sur les visages des gamins. Luisa, la mère de Pau, devient alors la mère de tous ceux dont les parents vivent trop loin de Vila-real pour rentrer le week-end. Certains squattent à la maison, d’autres demandent un coup de main pour trouver un créneau chez le médecin, un appart à louer en cas de visite de proches… Des circonstances qui lui permettent de garder les pieds sur terre plus que n’importe qui, là où d’autres pensent déjà être pros en arrivant à la Masia locale. Pourtant sa carrière aux allures idylliques aurait pu s’arrêter du jour au lendemain.
À 14 ans, Pau se fracture le tibia et le péroné et n’est pas sûr de pouvoir rechausser les crampons un jour. « Mais heureusement, la fracture était très propre, et les deux os ont pu se ressouder seuls, sans opération », explique Luisa, qui a du mal à ressasser cette période compliquée où son fiston tournait en rond à la maison. Manquant la fin de saison et le début de la suivante, le capitaine ne déroge pourtant pas à sa classe habituelle. « Pour le premier match de championnat, il voulait aller au match pour voir ses coéquipiers jouer, raconte sa mère encore un peu émue. Il est allé dans le vestiaire avec son fauteuil roulant, et il a souhaité bonne chance à tout le monde. »
Terrains de la Ciutat Esportiva, qui ont vu le petit Pau grandir
Des petits gestes simples, mais qui ont marqué les entraîneurs qui ont vu Pau passer dans leurs rangs. Certains voient même en lui un modèle pour ce qui est de l’éducation. « J’ai toujours éduqué mes fils pour qu’ils soient indépendants, pour qu’ils soient prêts à partir, justifie Luisa. Pau a toujours géré tout ce qui le concernait : ranger la chambre, étendre le linge, laver le sol, passer l’aspirateur, faire son sac pour l’entraînement. Je leur disais :« S’il manque quelque chose, ce sera de votre faute ! » » Responsabilisés très tôt, en raison du travail de leurs parents, les deux frangins ont tout de même vécu une enfance faite de parties de foot improvisées sur la place de la mairie en sortant du collège ou de ballons glissés entre les draps étendus dans le jardin des grands-parents. Son frère Jordi, lui, est devenu entraîneur après avoir échoué dans les rangs de la cantera. Pourtant, il assure que Pau ne lui a jamais opposé sa propre réussite, bien au contraire. Loin d’avoir la grosse tête, il demande même à 18 ans la validation auprès sa mère pour acheter sa première voiture, une Volkswagen Scirocco. « Ce n’était pas une voiture forcément luxueuse, mais il ne gagnait pas non plus une fortune, explique-t-elle. Je lui ai toujours dit de rester prudent, que les choses ne se passent pas toujours comme prévu. »
Direction Vila-real, et son armoire à trophée bien vide chez les pros
« Comme être humain, c’est un numéro 10 »
Même lorsqu’il débarque à Málaga pour un prêt qui lancera ensuite sa carrière professionnelle, le grand gaillard d’1,91m a le regard de la madre qui plane sur chacun de ses faits et gestes, y compris lorsqu’il s’entête à vouloir acheter un barbecue un 15 août. Mais s’il a connu les tentations de tout gamin de 18 ans touchant un premier salaire conséquent, il n’a jamais dépensé à outrance. « La majorité de ma famille continue de travailler, beaucoup dans le secteur de la céramique, certains doivent se lever très tôt, d’autres travaillent de nuit… Notre famille est juste une famille de plus à Vila-real, issue de la classe moyenne, et même si Pau joue en première division, on sait d’où l’on vient », dévoile Jordi, qui précise que son père comme sa mère ont toujours travaillé, même après la réussite du fiston.
Suivant les valeurs familiales, Pau s’est ainsi lui-même infligé une routine extrêmement stricte, qui lui a permis d’être le joueur ayant joué le plus de minutes la saison passée et d’enchaîner avec une nouvelle saison au rythme d’un match tous les trois jours sans problème. « Pau est quelqu’un de différent, qui a toujours été totalement dévoué à son objectif, et pour ça, il a concédé énormément d’efforts, reconnaît Fran. Certains se moquent de lui, parce qu’il n’a pas forcément la vie d’un jeune de son âge, mais à son époque, on se moquait aussi de Picasso ! » Salva, lui, se souvient que son coéquipier Alberto Moreno lui a dit que Pau était « un amour », et que s’il y avait plus de personnes comme lui, « le monde irait mieux ». Le Xiquet del Poble a même conquis le cœur du boss du Sous-Marin jaune, raconte sa mère : « Pendant la célébration de la Ligue Europa avec les joueurs ici, Unai Emery parlait avec d’autres, et je ne savais pas trop s’il savait qui j’étais. Puis on me l’a présenté, et Emery savait que j’étais la mère de Pau. Il m’a dit :« Je voudrais vous féliciter, non pas parce que vous êtes la mère d’un joueur, mais parce que vous êtes la mère de Pau. Comme être humain, c’est un numéro 10. » »
Le Xiquet de poble, avec le drapeau de son pueblo
Le sang jaune
En plus d’être le gamin parfait, le titulaire indiscutable de la charnière de Villarreal vit un rêve éveillé. « Il joue pour l’équipe qu’il a supportée toute sa vie, dit solennellement Jordi, assis dans les gradins du stade de l’équipe réserve où son frère a joué durant deux ans. Être parfois capitaine de cette équipe, avoir gagné la confiance de ses coéquipiers, porter ce maillot… C’est énorme. Il a joué avec des joueurs qui étaient ses idoles petit : Bruno Soriano et Santi Cazorla. » Et il a joué contre Gerard Piqué, son autre idole. Mais c’est bien du jaune qui coule dans les veines de celui qui n’a connu que le club de sa ville. Fran se souvient même d’une anecdote : « En 2013, Villarreal jouait la montée en Liga. Avec les cadets, on jouait le samedi, et le dimanche, Pau était à Alcorcón, dans la banlieue madrilène, pour soutenir l’équipe dans son match de barrage. Et on l’a vu à la télé ! Le lundi quand on s’est réuni pour débriefer le match, on a scotché une photo de lui dans les gradins dans le vestiaire. Et il était un peu gêné. Mais ça montre bien tout ce que Villarreal représente pour lui. »
Dix ans plus tard, lorsque Villarreal se qualifie pour sa finale de Ligue Europa en battant Arsenal, Pau Torres prend aussi la revanche de ses aînés, battus par les Gunners en 2006 et 2009. Et l’introverti gamin du club laisse même échapper quelques larmes en direct sur Movistar. De l’autre côté de sa TV, Manuel Torres avait lui aussi les yeux humides en voyant le discours de son petit-fils. « Mon grand-père est un supporter de Villarreal depuis toujours, même lorsqu’ils étaient en troisième division et que le stade était tout petit, explique Jordi. Et quand il voit Pau sur le terrain, comment progresse le club, qu’ils aient décroché leur premier titre avec cette Ligue Europa, c’est incroyable pour lui. » Moins d’un an après avoir levé la coupe depuis le bus à impériale sous les yeux de son grand-père à son balcon, Pau Torres va tenter à nouveau de cadenasser le non moins impérial Lewandowski, pour continuer d’écrire l’histoire de Villarreal par un gamin de Vila-real.
Pau avec la Ligue Europa, Jordi et Paula, sa copine
Par Anna Carreau, à Vila-real