- Angleterre
- Premier League -J9
- Manchester United/Stoke City
Patrice Évra, une histoire française
Les propos de Sir Alex Ferguson concernant Patrice Évra ont quelque peu tranché avec les attaques qui ont suivi en France la sortie du joueur dans Téléfoot. Ils offrent donc l'occasion de rappeler que l'affaire Évra s'inscrit dans un contexte franco-français où rémission et humour sont les grands absents.
« Je n’ai jamais eu aucun problème avec Patrice. C’était un grand capitaine, un grand professionnel. Cet épisode lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud est malheureux. À l’époque, c’était le capitaine et il devait prendre sur lui-même pour représenter les joueurs auprès du sélectionneur. C’était quoi son nom déjà ? Ah oui, Domenech. Si j’avais pu attraper Évra à ce moment-là, je lui aurais conseillé de ne pas faire ce qu’ils ont fait. » Dans le tourbillon médiatique faisant suite à la sortie de Patrice Évra, la réaction de Sir Alex Ferguson n’a pas traîné. Comme celle de David Moyes d’ailleurs, qui n’a pas fait autre chose que corroborer les dires de son prédécesseur : « Je ne sais pas ce que l’on pense de Pat en France, mais je sais qu’à Manchester, on le tient en haute considération. C’est un excellent joueur, il est fantastique dans le vestiaire et je ne peux que dire du bien de lui. » Relayées mardi, ces deux citations offrent une belle opportunité de sortir du cadre d’analyse trop franco-français de l’affaire avec ses acteurs, son histoire récente et ses lourdeurs.
À vouloir trop bien faire…
D’autant qu’au même moment paraissait dans Le Monde du mardi 22 octobre une tribune originale signée par François Manardo, ancien attaché de presse des Bleus de 2008 à 2010, dans laquelle ce dernier peignait avec sincérité l’attitude de Patrice Évra durant le mondial sud-africain. Le présentant en premier lieu comme un homme fier de son rôle de capitaine, nourri au quotidien par l’envie de bien faire et de gagner en légitimité auprès de son groupe, François Manardo explique comment le joueur, complètement bouffé émotivement par une envie de protéger un vestiaire déjà parti en vrille au moment même où il avait été nommé capitaine, a ensuite progressivement perdu les pédales pour une histoire qui s’est terminée comme chacun sait. Ironie du sort ou pas, ces propos de Fergie, Moyes ou Manardo – sortant donc tous de la bouche de personnes ayant côtoyé le joueur au quotidien – regardaient tous dans le même sens. Loin, très loin de la sémantique nerveuse que les chroniqueurs ou commentateurs du quotidien avaient servi au même moment. La réalité ou les projections fantasmées…
Pourquoi les Français ressassent Knysna ?
Car oui, là où il vit et passe donc l’essentiel de son temps, Patrice Évra jouit d’une excellente réputation. Comme l’explique Andy Lyons, boss du magazine anglais When Saturday Comes : « Patrice Évra est très respecté en Angleterre. Premièrement parce qu’il est un très bon joueur dans une excellente équipe qui a connu de nombreux succès. Ensuite parce que les Anglais se sont pris de sympathie pour lui au moment de l’incident avec Luis Suárez. Ils ont le sentiment depuis que le racisme doit être davantage médiatisé. Lorsqu’Évra a été conspué par les fans de Liverpool, beaucoup de gens ont trouvé cela profondément injuste. » Ian Herbert, correspondant à Manchester pour l’Independent ne dit pas autre chose : « Outre le fait que les supporters de United le respectent parce que c’est un très grand professionnel, Patrice Évra est très respecté ici parce que c’est quelqu’un qui parle librement, de façon directe, et sans langue de bois. En Angleterre, il existe moins de proximité qu’en France entre journalistes et footballeurs, et les joueurs des grands clubs refusent souvent de parler de choses personnelles. Dans ce contexte, Patrice Évra, qui est un grand blagueur, est particulièrement apprécié. » En ce qui concerne l’épisode de Knysna, il n’a été perçu que de manière très brouillonne par l’opinion publique anglaise, explique Andy Lyons : « Il y a une sorte de confusion ici à propos de Knysna. Les gens se demandent pourquoi cette histoire de grève lors de la Coupe du monde 2010 est toujours sujet à conversation en France. » Caricature du footballeur écervelé ici, Patrice Évra est donc là-bas un joueur respecté, notamment pour avoir soulevé le problème du racisme en Angleterre. Un monde d’écart donc.
Humour anglais
Quant à « l’affaire » de la playmate de février dernier, pas mentionnée, elle n’a visiblement pas laissé d’empreinte dans l’inconscient collectif anglais. Sans doute parce qu’elle n’en est qu’une parmi des dizaines au Royaume-Uni. Aussi parce qu’elle s’inscrit dans la culture de la presse à scandales anglaise. En France, elle avait été pourtant l’occasion d’un énième déferlement de haine envers les footballeurs de la part de l’ensemble de la presse. Pourquoi ? Ian Herbert propose un premier élément de réponse : « En Angleterre, les affaires de mœurs sont relayées seulement dans la presse tabloïd, ce qui évite de leur donner trop d’importance… Et de façon plus générale, la Premier League est vécue ici comme une grande comédie où les joueurs sont des bons ou des mauvais garçons dont on attend ou non des conneries. » Et de conclure : « Il y a quand même beaucoup plus d’humour dans le foot anglais que dans le foot français. »
Par Antoine Mestres