- Serie A
- Lazio/AS Roma
Passion et haine
A 15h, Rome s'arrête de vivre. Comme deux fois chaque année, c'est l'heure du derby entre la Lazio et l'AS Rome. Ce n'est pas pour rien qu'en Italie, on l'appelle "la Madre di tutte le partite". Comprenez, "la Mère de tous les matches". Sauf que là, la maman a mal fait son boulot : les deux gosses ne peuvent pas se blairer.
18 avril 2010. 19h34. Sergio Floccari, avant-centre de la Lazio, pose le ballon sur le point de penalty. La Lazio domine et mène 1-0 face à une AS Rome lancée vers le Scudetto. En cas de succès, les Biancocelesti sortent de la zone rouge et anéantissent les rêves de la Roma. Floccari peut tuer le match. Mais son tir des 11 mètres est repoussé par le portier de la Roma. Le match bascule. Les Giallorossi reprennent confiance et Vucinic, en dix minutes, dégaine un doublé éclair. La Lazio s’incline 2-1 et dégringole dangereusement vers la Serie B. Totti va fêter ça avec ses supporters en faisant le fameux signe du pouce, cher à Jules César, comme pour signifier la mise à mort de son rival. Scènes de liesse, klaxons, banderoles pour chambrer les vaincus : “L’an prochain, derby Lazio-Frosinone en Serie B”. Deux semaines plus tard, la Lazio se laisse battre par l’Inter Milan à domicile, pour que les Nerazzurri conservent un point d’avance sur la Roma. Accepter de perdre pour empêcher que l’autre ne gagne. Preuve ultime d’une haine sans limite. Depuis, toutes ces images tournent en boucle dans les têtes des tifosi des deux camps. Personne n’a oublié. « Le derby commence le 1er janvier, se termine le 31 décembre et ne prend jamais de vacances » confesse Piero, un vieux supporter laziale qui campe au stade depuis les années 60, avec un brin d’ironie. Un brin seulement.
La rivalité entre la Lazio et la Roma est née dans le berceau. La Lazio est fondée en 1900, sur les bords du Tibre. Dans les premières années du siècle, elle partage le monopole de la Capitale avec la SGC Fortitudo, la Roman FC, l’Audace CS, la SS Alba et l’US Romana. Tous disputent le Championnat régional Laziale. Mais à la fin des années 20, les prémices d’un championnat national se dessinent. Se rendant compte de leurs faiblesses, les dirigeants évoquent l’idée d’une fusion entre l’Alba, la Fortitudo et la Lazio, délaissant la Roman, pour donner naissance à une seule équipe romaine, qui pourrait défier les grosses écuries de l’époque. Mais la fusion capote. La Fortitudo et l’Alba auraient voulu qu’en fusionnant, la Lazio, aidée financièrement par le régime fasciste, éponge leurs dettes. La Lazio, elle, aurait voulu englober les autres équipes en gardant son nom. Trop d’ego, pas de compromis. Du coup, l’idée retombe dans les bras de la Roman FC, qui, grâce au financier Renato Sacerdoti, trouve les fonds nécessaires pour prendre en main cette fusion. C’est la revanche du petit poucet que toutes les autres équipes avaient écarté du projet. Du coup, en 1927, l’Alba, la Fortitudo et la Roman fusionnent, donnant naissance à l’AS Roma, sous l’œil bienveillant de la Lazio. A peine née, déjà détestée. « Nous sommes les premiers de la Capitale, depuis 1900 » clament les uns. « Vous étiez les premiers et vous n’avez même pas pensé à vous appeler Rome » rétorquent les autres. Ah, les diners de famille…
Depuis, chaque rencontre entre les deux clubs figure le terrain d’oppositions idéologiques, politiques et sportives. Oppositions si fortes que bien peu de joueurs ont, dans l’histoire, osé passer d’une équipe à l’autre. Mais le derby est également le théâtre de drames, comme ce 28 octobre 1979, où Vincenzo Paparelli, fan de la Lazio, est frappé en plein visage par une fusée de détresse lancée par un supporter de la Roma. Il décède quelques heures plus tard, ne faisant qu’augmenter la haine entre les deux entités. Le 21 mars 2004, à la mi-temps du derby, des supporters de la Roma traversent le cordon de sécurité et viennent prévenir Totti qu’un gamin a été tué par la police. Totti avertit à son tour l’arbitre qui fait suspendre le match, créant des scènes de panique dans le stade, puis des affrontements en dehors. En fait, personne n’est mort ce soir-là. Il s’agissait juste d’une personne qui avait eu une crise d’asthme à cause des gaz lacrymogènes. Ou quand le téléphone arabe devient le téléphone romain.
A Rome, on dit que le derby est « partita a se » . Un match à part. On peut rater sa saison, mais la sauver en gagnant juste cette confrontation. On peut devenir un héros en marquant, comme Lucas Castroman, qui égalisa pour la Lazio à la 95ème minute en 2001 ou Marco Delvechhio, auteur de neuf buts dans la “stracittadina”. Paolo Di Canio, tant décrié à cause de ses orientations fascistes, marqua l’histoire du derby en inscrivant un but décisif en 1989, suivi d’une course folle sous le virage adverse. Il récidiva seize années plus tard, en 2005, lors de son retour dans la Capitale. Mais surtout, un derby est éternel. Les supporters de l’AS Rome évoquent toujours avec fierté la raclée (5-1) en 2001-02, lors de laquelle la tornade Montella avait frappé quatre fois. Ceux de la Lazio se vantent encore des quatre derbys remportés lors de la saison 1997-98 (deux en championnat, deux en Coupe). Coïncidence ou non, légende romaine ou non, les deux équipes ont très rarement été au top en même temps. « Une décennie par club » , dit-on dans la Ville Éternelle. Les années 30 pour la Lazio, 40 pour la Roma, et ainsi de suite… Jusqu’aux années 90, largement dominées par la Lazio de Cragnotti, et aux années 2000, avec l’avènement de la Roma de Totti. En ce début de saison, la Lazio cartonne et pointe en tête du classement. L’AS Rome est à la traine, même si les dernières prestations sont rassurantes. Ce derby sera-t-il celui du passage de pouvoir, pour ouvrir un nouveau chapitre, coloré de bleu ciel ?
Eric Maggiori
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