- Angleterre
- Premier League 2015/16
Partir dans le ventre mou de la Premier League : une bonne idée ?
C'est une véritable déferlante : André Ayew et Tabanou à Swansea, Gueye et les trois Jordan (Amavi, Ayew, Veretout) à Aston Villa, Cabaye à Crystal Palace, Payet à West Ham... Les bons, voire très bons joueurs de Ligue 1 s'envolent vers le ventre mou de la Premier League. Une tendance pas nouvelle, mais qui s'accélère. Le départ outre-Manche est-il une si bonne idée ?
Ils partent tous, les uns après les autres. C’est devenu une bien curieuse fatalité : tout bon joueur de Ligue 1 (hors PSG), qu’il soit un élément expérimenté ou une star en devenir, semble être voué à plier bagages, direction la Premier League. Normal : le championnat anglais est situé bien au-dessus de la Ligue 1 dans la hiérarchie européenne. Mais à y regarder de plus près, l’évidence s’efface devant les doutes. Dimitri Payet franchit-il un palier en passant de l’OM à West Ham ? André Ayew se donne-t-il les moyens de confirmer son talent en partant pour Swansea ? Aston Villa est-il vraiment le club proprice à l’explosion de jeunes pépites comme Amavi ou Veretout ? La vérité est implacable : le ventre mou de la Premier League est devenu la destination incontournable pour les bons joueurs de Ligue 1, d’autant que ces clubs ont les moyens d’aligner des sommes considérables pour s’offrir les valeurs sûres de notre championnat. Mais l’Angleterre semble malheureusement n’être qu’un Eldorado de façade.
Un mythe entretenu par le marketing ambiant
Pourtant, la Premier League a beaucoup à offrir à ceux qui se sont laissés séduire par ses délices… Beaucoup d’argent. C’est triste à dire, mais la motivation économique figure bien souvent au premier rang des motifs d’exil vers la Perfide Albion. Il faut dire que les chiffres donnent le vertige : le salaire moyen d’un joueur de Premier League en 2014 était de 247 000 € par mois… et ce n’est pas parti pour baisser, étant donnée la puissance financière croissante des clubs anglais, bien aidés par des droits TV records. En comparaison, la paie mensuelle d’un joueur de Ligue 1 avoisine les 100 000 €. Des salaires gigantesques pour un citoyen lambda, mais qui apparaissent faibles quand ils sont comparés à ce qui se pratique quelques encablures plus au nord…
D’autant que, contrairement aux retraites dorées proposées par les championnats exotiques du Golfe et d’ailleurs, la Premier League offre un environnement sportif cinq étoiles : partir en Angleterre, c’est se retrouver dans un pays qui vit le football à fond. Les stades sont pleins, les pelouses parfaites, les clubs sont des institutions… Mieux, la passion du ballon rond n’est pas attifée d’excès gênants, comme cela peut être le cas dans des contrées plus latines ; les supporters respectent les joueurs et les laissent relativement tranquilles, les débordements sont rares, et la ferveur est sagement cantonnée dans les limites de la raison… Certains remarqueront avec raison que cette gentrification progressive du championnat anglais enlève tout charme à son élite, et que les ambiances bouillantes de la Grande-Bretagne ne sont plus qu’un mythe savamment entretenu par le marketing ambiant. Peut-être, mais cette aseptisation n’est pas pour déplaire à des footballeurs souvent en recherche de tranquillité, tant que cette dernière ne confine pas à l’ennui.
Tremplin idéal et cirage de banc
Ce n’est pas tout. Le joueur de Ligue 1 arrive systématiquement en Premier League avec une ambition footballistique : le championnat anglais, ultra-médiatisé, NBA du football européen, est un tremplin idéal pour viser plus haut. Quoi de mieux que de se révéler dans les chocs face aux géants d’outre-Manche, les Manchester United, Arsenal, Chelsea ou Manchester City ? Une solide saison chez un club anglais moyen, c’est l’assurance de voir sa cote monter en flèche et de pouvoir être attrapé par un gros poisson. Après tout, les exemples récents sont nombreux : Mathieu Debuchy est parti à Arsenal, Morgan Schneiderlin vient de signer à Manchester United, même Yohan Cabaye aurait pu signer chez les Red Devils mais a préféré le PSG en janvier 2014. Alors, la Premier League, tremplin idéal ?
Cette belle illusion est très vite dissipée par la réalité du terrain : la plupart des joueurs français rejoignant la Premier League part s’enterrer. Prestations insipides, cirages de banc, voire même mises au placard, le destin des exilés de la Ligue 1 est très souvent peu glorieux. Pourtant, ils étaient prévenus… Le premier écueil des taules de Premier League est toujours le même : rejoindre West Ham, Aston Villa ou Newcastle, c’est abandonner toute perspective de titre, et de Ligue des Champions. Peut-on parler de franchissement de palier quand on arrive dans un club en sachant qu’on n’a aucune chance de finir dans les quatre premiers du classement ? L’attrait de la livre sterling est une chose, c’en est une autre de renoncer à ce qui fait tout le sel du métier de footballeur. Et ce n’est pas comme si le chagrin de ne pas soulever de trophée était compensé par la qualité de jeu ; les formations de second rang de la Premier League sont au mieux des équipes solides et engagées, mettant l’accent sur le physique et l’intensité… Au pire, ce sont des additions d’individualités sans âme ni cohérence, à l’image de la catastrophe industrielle ambulante que sont les Queen’s Park Rangers.
Des départs anticipés
L’Angleterre peut aussi se révéler être un terrible piège : il suffit de se rappeler tous ces joueurs français, confirmés ou prometteurs, qui débarquent dans un petit club anglais en se pensant attendus comme des stars : ils tombent sur un coach britannique à l’ancienne, avec tout ce que cela comporte comme embûches : priorité à une philosophie de jeu ultra-basique du style « get on the ball first » , magouilles financières et forte préférence pour les joueurs british. Dans ce contexte-là, bon courage pour s’en sortir… Alou Diarra (West Ham), Olivier Dacourt (Fulham) peuvent en témoigner. Ousmane Dabo a lui vécu l’expérience anglaise à fond : en provenance de la Lazio, il débarque dans le Manchester City de Stuart Pearce, ne joue pas, et se fait passer à tabac par Joey Barton. L’Angleterre peut se révéler être un beau traquenard.
Et à y regarder de plus près, les sentiments de gâchis sont nombreux. Beaucoup de Français étaient de grands espoirs avant de mettre les voiles direction Britannia, et de voir leur carrière battre de l’aile. Qui se souvient qu’il y a quelques mois, on faisait d’Étienne Capoue et Rémy Cabella le futur de l’Équipe de France, tandis qu’Emmanuel Rivière ou Yoann Gouffran pouvaient prétendre y postuler ? Il faut l’admettre, pour certains d’entre eux, le problème est moins celui de l’adaptation à un nouveau championnat que celui du niveau réel. De ce point de vue, la Premier League est un impitoyable révélateur qui fait ôter très vite leurs illusions aux joueurs bénéficiaires d’une bienveillante enflammade dans les frontières de l’Hexagone. D’autant que les joueurs de Ligue 1 y débarquent de plus en plus jeunes, certains étant même encore en post-formation à leur arrivée dans un championnat peu réputé pour polir des talents inachevés. Parfois, il est plus sage d’attendre, de progresser, de confirmer, avant d’éventuellement faire le saut. Il est également peu recommandé de viser la Premier League comme l’unique destination viable. Alors, aux fuyards de la Ligue 1, aux évadés du mercato, on posera cette question déterminante : la Premier League pour l’amour du football british, ou pour ses salaires à six zéros ? L’avenir d’une carrière se joue souvent dans la réponse.
Par Hadrien Mathoux