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Paris Saint-Germain : Thomas Tuchel, la friture sur toute la ligne
Jusqu'aux événements qui auront mené à son licenciement, Thomas Tuchel s’est fait remarquer à Paris par une communication souvent dissidente et parfois offensive à l’encontre de ses dirigeants (notamment ses directeurs sportifs). Les signes visibles d’un rapport tout particulier à la hiérarchie, mais aussi d’un agacement profond qui l’aura gagné au fur et à mesure de son aventure parisienne.
Thomas Tuchel a beau avoir remporté ce qui restera donc comme son dernier match sur le banc parisien 4 buts à 0 (contre Strasbourg, au Parc des Princes), son ultime fait d’armes en rouge et bleu ne sera pas celui-ci. Du moins pas celui que les gens retiendront. Ces derniers se concentreront plutôt sur ces quelques mots balancés à la chaîne allemande Sport1 qui auront été, a priori, le petit coup de pouce dont avaient besoin ses dirigeants pour décider de lui indiquer la direction de la porte : « En toute honnêteté, au cours des six premiers mois, je me suis dit :« Suis-je toujours entraîneur ou suis-je un politicien du sport, un ministre des Sports ? »Où est mon rôle d’entraîneur dans un tel club, maintenant ? J’aime juste le football. Et dans un club comme celui-ci, ce n’est pas toujours juste du football. » La dernière de nombreuses saillies sur l’organisation sportive du Paris Saint-Germain.
Le football, il ira donc l’aimer ailleurs. Et pour son successeur – sans doute l’Argentin Mauricio Pochettino -, l’avertissement est donné : à Paris, sans doute un peu plus qu’ailleurs, un entraîneur n’est pas seulement un entraîneur. Car ce qu’il fait sur le terrain a autant d’importance, si ce n’est moins, que ce qu’il y fait en dehors : chaque déclaration, chaque choix, chaque bruit de couloir, chaque rumeur est décortiqué et amplifié à l’échelle de la fascination que représente le Paris Saint-Germain dans le paysage footballistique français. Une réalité, magnifiée dans le contexte de la relation qu’il a dû entretenir avec ses deux directeurs sportifs, qui aura eu raison de Tuchel dont le passage à Paris est jalonné de ces moments médiatiques et petits éléments de communication qui ont montré l’évolution de son état d’esprit.
Pas copain avec Antero, pas plus avec Leo
Pourtant choisi par Doha, Tuchel – entraîneur qui aime avoir la main sur toutes les décisions du sportif, et qui s’était déjà fritté avec Michael Zorc lors de son passage à Dortmund – s’est pourtant vu coller dans les pattes deux directeurs sportifs (Antero Henrique, puis Leonardo) avec lesquels il ne s’est jamais vraiment entendu. Ou du moins avec lesquels il n’a jamais fonctionné, ce qui transparaît évidemment de cette déclaration récente sur l’aspect « politique » de son job à Paris. Entre les blessures, les suspensions et les mercatos qui lui échappaient, Thomas Tuchel a passé deux ans à réclamer des joueurs en conférence de presse en sapant au passage l’autorité de ses DS. Ça a commencé quelques semaines à peine après son arrivée, alors que la capitale découvrait et apprenait à aimer le sémillant Thomas. Celui qui chantait du Pharell couvert de champagne avec ses joueurs, après la victoire lors du Trophée des champions, tirait déjà à balles réelles sur le mercato du PSG via RMC Sport en septembre 2018 : « Pour être franc avec vous, je ne suis pas satisfait à 100% du mercato. C’est un secret de Polichinelle que l’on recherchait un numéro 6. »
La question du mercato, et notamment celle de la recherche éternelle du 6, sera une marotte tout au long des deux ans et demi de Tuchel à Paris. Et un immense point de crispation avec Antero Henrique, lors de la première saison de l’Allemand sur le banc. Sur le mercato, il y a notamment eu sa sortie concernant l’arrivée retardée de Leandro Paredes le 27 janvier 2019 (« On l’attend depuis quelques jours, maintenant. J’ai cherché partout dans le vestiaire, mais je ne l’ai pas trouvé. ») Ensuite, la gestion des cas Adrien Rabiot (placardisé une bonne partie de la saison, alors que Paris en avait cruellement besoin) et Lassana Diarra. Puis encore le 15 avril, après la débâcle à Mauroy contre le LOSC (5-1) : « On manque de joueurs, il nous manque des Rabiot, Diarra… Mais tout le monde accepte, parce qu’on gagne. » Une situation qui l’avait notamment amené, en février 2019, à s’en prendre en frontal à Antero Henrique pour la première fois : « J’ai mes avis, et il a les siens. Je ne sais pas si attendre les deux derniers jours est la meilleure solution pour trouver des joueurs. »
Du rire au rire jaune
Une rengaine qui n’est pas sans rappeler l’incident entre Tuchel et Leonardo, en ce début de saison. Tout le mois de septembre, l’Allemand réclame ses recrues en conférence de presse : « On a un effectif trop petit, on doit recruter », « On manque d’attaquants » ou encore « J’essaye d’être confiant, mais c’est déjà tard ». Puis, le 1er octobre, une sortie très offensive sur la qualité globale de l’effectif (« On a un effectif moins fort que l’année dernière, c’est la réalité. Peut-on revenir en finale de la Ligue des champions avec cet effectif ? Si on reste avec ce groupe, on ne peut pas demander la même chose ») et sur la gestion des fins de contrat (« On perd trop de joueurs sans indemnité. Ça a commencé avec Rabiot, un grand joueur qui est parti libre, ça a continué cette saison et ça peut continuer l’été prochain ») qui avait valu à l’Allemand des remontrances publiques de la part du Brésilien, beaucoup plus mordant que son prédécesseur portugais.
« On n’a pas aimé la déclaration, le club n’a pas aimé. Personnellement, je n’ai pas aimé. Si quelqu’un n’est pas content, on parle. Mais s’il décide de rester, il doit respecter la politique sportive et les règles internes », répliquait Leonardo, après la large victoire du PSG contre Amiens le 3 octobre. Un premier clash grandeur nature entre Tuchel et Leo, alors que l’on décrivait déjà les relations entre les deux hommes comme tendues depuis un moment. Les semaines suivantes, la guerre froide s’est cristallisé autour du cas Danilo Pereira, Tuchel s’obstinant à l’utiliser en défense centrale comme pour désavouer le choix de son directeur sportif et l’absence d’un remplaçant à Thiago Silva (dont il n’avait pas souhaité le départ).
99 points positifs, 1 problème
Ses bisbilles avec ses directeurs sportifs ont accompagné l’évolution générale de l’état d’esprit de Thomas Tuchel au fur et à mesure que son aventure parisienne avançait. L’épisode Manchester, dès mars 2019, a été un sacré coup sur la carafe pour l’Allemand qui s’est par la suite montré d’autant plus irritable qu’il ne parvenait pas à refaire son crédit auprès des médias ou des supporters. Sur la fin d’année 2019, il a multiplié les signes d’agacement envers les journalistes, de son embrouille avec Laurent Paganelli à son exaspération face aux questions d’Olivier Tallaron sur le 4-4-2. Le 1er août 2020, alors que Paris prépare son Final 8 et se défait péniblement de Lyon en finale de l’ultime Coupe de la Ligue, une autre coupe est pleine : « Et quoi, et quoi ? répond-il, à l’évocation du faible nombre de buts inscrits par Paris lors des deux finales de coupes disputées. Oui, on a toujours de la chance, vous pouvez l’écrire. Pas de qualité, seulement de la chance. Pour moi, c’est clair, vous cherchez toujours le négatif. Il y a 99 points positifs, mais on cherche le centième, on doit trouver des problèmes… »
À ses débuts à Paris, son immense sourire et de ses accolades franches avec ses joueurs avaient marqué. Sauf que les mois ont passé, et toute l’atmosphère autour du club de la capitale aura eu raison de façon très visible de la bonne humeur et de l’optimisme de Thomas Tuchel. Plus les mois ont avancé, plus sa frustration et son amertume ont grandi face à cette ambiance flottante autour du Paris Saint-Germain et les problèmes extrasportifs qui venaient interférer avec le football. Il n’a évidemment pas été irréprochable ni sur le sportif ni sur le relationnel, mais il n’a peut-être pas non plus bénéficié du meilleur environnement pour exprimer au mieux son football. Ce qu’il disait d’ailleurs aussi dans cette interview à Sport1, qui aura précipité son renvoi : « Nous n’avons jamais eu le sentiment de convaincre les gens ni qu’ils appréciaient notre performance. Cela rend parfois un peu triste. » Comme la fin.
Par Alexandre Aflalo