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Paris, Aulas et lutte des classes

Par Adrien Candau
6 minutes
Paris, Aulas et lutte des classes

Voilà plusieurs saisons que Jean-Michel Aulas peste contre le financement du PSG par le Qatar, quitte à carrément parler dernièrement de « lutte des classes » entre l'OL et le club francilien. Un raccourci un tantinet caricatural ? Oui, non, peut-être ? Un peu de tout ça à la fois.

Il faut croire que ça lui démangeait les mandibules. Avant ce PSG-Lyon, Jean-Michel Aulas a décidé de charger frontalement. Cette fois-ci, à coups d’emprunt à la rhétorique marxiste : « Le PSG est dans l’irréel, et nous allons jouer contre un État… Contre nous, c’est sa lutte des classes, le PSG est clair, et entend nous écraser, montrer qu’il y a un gros écart… Je suis contre le modèle dégagé par le PSG. Je suis contre ce financement d’État, qui attribue un titre de champion, qui qualifie automatiquement le PSG pour la Ligue des champions. » En résumé, du Aulas dans le texte, qui mêle une pointe de vérité, une pincée d’exagération et une petite cuillerée de provocation, histoire de bien laisser mijoter la marmite avant le choc de dimanche soir.

La révolution

Peut-on vraiment parler de lutte des classes entre les Parisiens et les Lyonnais? La métaphore est sans doute un peu osée venant d’un club qui culmine à 285 millions d’euros de budget, ce qui en fait le second chef-lieu économique de la Ligue 1 derrière le PSG. Alors, non, impossible de catégoriser l’OL comme le champion d’une classe populaire qui engloberait les 18 autres clubs de Ligue 1 contre la grande bourgeoisie parisienne. D’autant plus que les intérêts de l’OL ne s’alignent pas toujours avec ceux des autres clubs du championnat. Illustration en 2017, où Aulas avait dénoncé à plusieurs reprises la concurrence déloyale que lui opposait le Paris Saint-Germain, alors que d’autres présidents de clubs, comme Laurent Nicollin, préféraient dans le même temps souligner le fait que « le PSG participe à booster les droits TV et l’intérêt de la Ligue 1 à l’étranger » . Jean-Michel Aulas a-t-il pour autant tort de dénoncer un certain modèle dopé « au financement d’État » ? La question peut pousser au débat et les défenseurs de la préservation d’une forme d’équité sportive dans le football auront sans doute envie de taper sur l’épaule du président lyonnais, en lui disant de poursuivre son combat.

Plus classe que ton costard Celio.

Kapital spectacle

Outre titiller le PSG, le combat de Jean-Michel Aulas a aussi été de faire de l’OL ce qui ressemble à la seule puissance économique stable de la Ligue 1, avec Paris. Quand Monaco et Lille se sont condamnés à se transformer en usine à gaz à jeunes talents – une stratégie manifestement risquée comme en atteste l’actuel exercice des Asémistes –, que Marseille patauge financièrement et que Bordeaux vient d’atterrir entre les mains d’un fonds d’investissement américain, l’OL a tracé sa propre route. Une route qui l’a amené à devenir propriétaire de son stade, une rareté en France. « Aujourd’hui, Lyon est le seul club de Ligue 1 propriétaire de son stade, pose Lionel Maltese, maître de conférences à l’Aix-Marseille Université (AMU) et spécialiste de l’économie du sport. Maintenant, la force d’Aulas, c’est qu’il a déjà commencé à capitaliser sur cet actif physique. Le stade ne va pas être seulement utilisé dix-neuf fois dans l’année pour les matchs à domicile de l’OL. Il va aussi servir pour développer des activités « vache à lait » qui permettront de dégager des revenus qui seront réinjectés dans le foot. »

Petite chorégraphie, au calme.

Un exemple ? Ce concert de Céline Dion donné au Groupama Stadium en juillet 2017. « Ce genre d’activité, c’est ce qu’il y a de plus profitable pour l’OL en dehors des transferts, juge Lionel Maltese. Alors oui, à la base, ce n’est pas le métier de l’OL de fournir une salle de concert à Céline Dion, mais ça permet de réinvestir dans le football. » Et comme il n’y en a pas que pour le Québec, le Groupama Stadium devrait accueillir trois grands spectacles en 2019, puisque Ed Sheeran, Stars 80 et Phil Collins sont déjà inscrits au programme du stade rhodanien cette année. Rideau ? Sans doute pas. Car l’OL et Jean-Michel Aulas ont d’autres plans relatifs à l’industrie du divertissement. Fin décembre dernier, Aulas émettait ainsi, à la fin de l’assemblée générale de l’OL, l’idée de faire construire une salle de spectacle : « Il serait bien de diversifier notre offre du Groupama Stadium et d’avoir une salle fermée et de dimensions plus modestes que le stade. » Le président de l’OL aurait même déjà entamé des discussions avec Tony Parker, actuel propriétaire de l’ASVEL, pour faire construire près du Groupama stadium une salle polyvalente, pour les spectacles culturels comme pour le sport, à l’image de l’AccorHotels Arena de Paris.

Kapital humain

Résultat : économiquement, l’OL file droit. Bien que très endetté par la construction de son nouveau stade, le club n’en reste pas moins sur trois résultats annuels net positifs depuis 2015. « Oui, le club est très endetté, mais l’OL a toujours des liquidités potentielles en cas de coup dur grâce à son centre de formation, poursuit Lionel Maltese. Le club peut valoriser et vendre ses jeunes, qui sont performants, si besoin. Ça, c’est un autre point fort majeur qu’a su mobiliser Aulas : cet actif plutôt liquide, qui est la compétence, le centre de formation, les formateurs… Aulas investit des millions par an dans l’académie, mais il s’évite surtout d’acheter des joueurs chers ailleurs, comme le fait l’OM par exemple. Ces joueurs-là, il en a un paquet qu’il a déjà formé chez lui, en formation ou post-formation. » Vrai. Le plus gros transfert de l’histoire de l’OL ? Lisandro López, pour 24 millions d’euros. En 2009, déjà.

Bundesliga-ga de toi

Un accent mis sur la formation qui fait penser au modèle allemand. Pas un hasard. « Il n’a jamais caché que, pour lui, le Bayern était l’exemple à suivre, avance Lionel Maltese. D’ailleurs, là où Aulas a été malin, c’est qu’il a vraiment travaillé le rapport de l’OL avec ses fans B2B, c’est-à-dire les entreprises. Il y a beaucoup d’entreprises qui soutiennent l’OL : Véolia, Adequat, Alila – une boîte qui fait des logements sociaux, qui est super impliquée à Lyon et qui a vachement investi dans l’OL. Cette stratégie axée sur les partenariats s’inspire vraiment du modèle allemand. Eux, ils explosent vraiment tout le monde à ce niveau-là : le Bayern, sa plus grande source de revenus, ce n’est pas les droits TV, c’est les entreprises. »

Où est Jean Mi-Mi?

Une dépendance aux droits TV que Jean-Michel Aulas cherche précisément à réduire en cherchant des relais de croissance ailleurs. De quoi faire de l’OL l’anti-PSG d’un point de vue économique, alors que le club parisien est lui perçu comme un club sous perfusion des financements qataris ? « Est-ce que le PSG est trop dépendant des Qataris ? Sans doute. Mais est-ce que le soft power qatari n’est pas aussi dépendant de Paris ? La ville de Paris et le PSG sont devenus très importants pour eux en matière de relation et de lobbies » , nuance Lionel Maltese. Une quasi-certitude demeure : l’OL survivra à la retraite de Jean-Michel Aulas qui, à 69 ans, devra bien un jour passer la main. Et si le président de l’OL ne reverra sans doute pas de sitôt ses Gones lever l’Hexagoal, c’est sans doute ce modèle-là, le sien, qui restera sa plus belle victoire.

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Par Adrien Candau

Propos de Lionel Maltese recueillis par AC. Autres propos issus du Progrès et de L'Équipe.

Oui, c'est bien un OL-PSG à l'horizon !
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