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L'Ouzbékistan a d'incroyables talents
Prête à lancer ses Jeux olympiques en défiant l’Espagne, la sélection ouzbèke n’a jamais été aussi sûre de ses forces. Au cœur de cette confiance au pays de Tamerlan, un projet de formation initié dans les années 2000 et dont Bunyodkor, club de Tachkent, est devenu le symbole.
Paris 2024 sera-t-il un succès pour les Loups blancs ? À Tachkent, c’est la question que tout le monde se pose, mais à laquelle on est assez confiant pour répondre positivement. Depuis quelques années, le football ouzbek se développe tous azimuts. Après s’être imposé lors de la Coupe d’Asie U20 en 2023, l’Ouzbékistan faisait forte impression huit mois plus tard au Mondial U17, allant jusqu’à éliminer l’Angleterre en huitièmes de finale. Parmi les artisans de ces succès et ceux qui feront peut-être celui des JO 2024, des noms tels que celui du Lensois Abdukodir Khusanov, du Romain Eldor Shomurodov ou du joueur du Rubin Kazan Umarali Rakhmonaliev. Tous ont fait leurs classes à Bunyodkor. Club de la capitale dans l’ombre du géant national du Pakhtakor, il a su s’en émanciper en devenant une référence nationale grâce à son académie.
La Masia de Tachkent
Enrichi pendant des siècles par le commerce de la soie, l’Ouzbékistan a ensuite tourné son économie vers le sous-sol de son territoire qui constitue sa principale richesse. Aux quatre coins du pays, de puissantes compagnies puisent pétrole et gaz. Parmi elles, Zeromax, l’une des plus importantes du pays, dirigée par des fans du FC Barcelone. Désireux de créer un Barça à l’ouzbèke, ils fondent Bunyodkor en 2005. Grâce à leurs pétrodollars, ils attirent à Tachkent des stars internationales comme Rivaldo ou Zico. Le club ouzbek devient même partenaire du FC Barcelone, tandis que Joan Laporta pose lui-même la première pierre du nouveau stade de Bunyodkor en 2009.
Offrant une concurrence féroce au Pakhtakor qui dominait sans conteste le championnat depuis l’indépendance du pays en 1991, le FC Barcelone d’Asie voit son ascension s’arrêter net avec la banqueroute de Zeromax. Faute de pouvoir assouvir ses goûts de luxe, le club suit son modèle catalan et se tourne vers la formation. « Bunyodkor prospecte dans toutes les régions du pays pour y dénicher des talents, explique Narzulla Saydullaev, rédacteur en chef de Championat Asia, principal média sportif ouzbek. Une fois trouvés, ils intègrent ce qui est, pour moi, la meilleure et la plus moderne des académies ouzbèkes ». Dès six ans, des centaines d’enfants rejoignent cette institution où l’on sert du plov, plat national composé de riz et d’agneau, entre deux séances d’entraînement. À Bunyodkor, l’accent est mis sur la pluridisciplinarité. « Nos entraîneurs de football et nos joueurs travaillent au quotidien avec des entraîneurs issus d’autres disciplines, détaille Murod Otajanov, directeur de l’académie. On complète le football avec de la gymnastique, de la lutte ou de la natation pour que nos joueurs deviennent des athlètes complets qui développent leur agilité, leur combativité ou leur respiration ».
Au fil du temps, Bunyodkor s’est trouvé pour vocation d’envoyer un maximum de joueurs vers les championnats européens, après les avoir recrutés dans ses succursales disposées d’un bout à l’autre du pays. Pour mieux les exporter, le club apprend à ses pensionnaires à jouer partout, par tout temps. « Souvent, on emmène nos jeunes en altitude dans les montagnes, atteste Murod Otajanov. Savoir jouer dans différents contextes géographiques, c’est un vrai plus quand on veut partir à l’étranger. » Pour démarquer son académie de celles de ses concurrents, le club de Tachkent renonce aussi à certaines retombées économiques. « Contrairement au Pakhtakor [Tachkent] ou au Nasaf [Qarshi] qui demandent d’importantes contreparties financières pour libérer leurs joueurs, Bunyodkor les laisse souvent partir libres, souligne Narzulla Saydullaev. Ça permet aux joueurs d’avoir plus de visibilité auprès des grands clubs en signant en Europe de l’Est. » C’est, en particulier, la trajectoire connue par Abdukodir Khusanov, recruté l’été dernier par le RC Lens en Biélorussie.
Une académie au cœur du projet « Ouzbékistan 2030 »
Si Zeromax n’est plus, Bunyodkor reste très largement financé par les énergies fossiles. Les cinq actionnaires qui se partagent aujourd’hui le club sont tous liés à l’industrie pétrolière ou gazière. Ils sont aussi propriétés de l’État ouzbek, qui investit massivement dans le football depuis 2016 et la mort de l’autocrate Islam Karimov, qui coïncide avec l’ouverture du pays sur le reste du monde. « Plus que jamais, l’État accompagne la modernisation du football ouzbek pour l’aider à être compétitif et obtenir des résultats sur la scène internationale », témoigne Narzulla Saydullaev. Dans cette perspective, un décret du président Chavkat Mirzioïev détaillait en avril dernier un projet « Ouzbékistan 2030 », destiné à faire du pays de Tamerlan un géant asiatique du football. En s’inspirant du modèle croate, l’Ouzbékistan souhaite financer des académies et en ouvrir de nouvelles afin de former des joueurs destinés à faire rayonner le pays sur la scène mondiale, malgré une population et une économie très modestes. Bunyodkor et ses académies de Tachkent, Boukhara, Kokand ou Ourguentch se veulent un pilier solide de ce projet.
À Paris, les Loups blancs entraînés par Timur Kapadze tenteront de faire passer un premier cap à ce vaste programme. « Je pense qu’il est plutôt réaliste d’espérer une médaille de bronze pour l’Ouzbékistan, estime le rédacteur en chef de Championat Asia. On a de très bons joueurs, des jeunes, mais aussi des plus expérimentés comme Shomurodov ou Orunov. Et on est tout un peuple derrière eux. » Un tel succès de Khusanov et sa bande pourrait accélérer le projet Ouzbékistan 2030, en motivant les jeunes pousses ouzbèkes à s’inscrire dans des clubs de foot. Et peut-être feront-ils partie des futures stars du FC Barcelone tout court.
Par Amaury Gonçalves
Propos recueillis par AG.