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- Édito
Parce que la France
L'Allemagne, l'Espagne, l'Angleterre et l'Italie vont donc finir leur saison. Mais pas la France. Pour y parvenir, elle aurait plus eu besoin d'unité et de panache que de ce brouhaha indigeste et permanent qui a régné depuis le début de la crise sanitaire. Pour « les cinq grands championnats », on repassera.
On n’a jamais assez répété qu’être championne du monde n’offrait pas à une nation le titre de « pays de foot » . Redevenue reine du monde depuis l’été moscovite 2018, la France est en train de rappeler qui elle est sur la scène européenne : pas grand-chose. On ne s’achète pas une culture du jour au lendemain. Alors on se tait, on tourne la tête et on regarde ce que l’Allemagne, puis l’Espagne, l’Angleterre et l’Italie ont fait : bien au-delà d’avoir acté la reprise de leur championnat, ces quatre grands pays ont eu le mérite de tenir un discours audible qui a permis de rappeler à leur gouvernement que si « le sport n’est pas une priorité » dans le contexte d’une telle pandémie, il y avait toutefois tout un tas de nuances dans cette formulation que la France a prise au pied de la lettre. Il faut dire que le fait que cette phrase ait été prononcée par la ministre des Sports en personne n’augurait déjà rien de bon. Disons que si faire corps avec son gouvernement est une chose honorable, 2020 a confirmé que Roxana Maracineanu était plus à l’aise pour se mouiller il y a vingt ans, aux JO de Sydney.
Dès lors, qu’on arrête pour de bon de parler des « cinq grands championnats européens » ! Cela n’a jamais rien voulu dire compte tenu du parcours européen des clubs français et cela a encore moins de sens si l’on parle du niveau et de la cohérence de nos instances. Que les choses soient claires : rien n’est parfait dans le football que prône chacun de ces quatre géants, et l’idée n’est pas de faire l’apologie de l’œuvre de Javier Tebas ou de l’ensemble des dirigeants qui exercent au-delà de nos frontières. Reconnaissons en revanche que le spectacle offert par la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football a relevé du pathétique, avec en point d’orgue la FFF qui a piétiné le peu de crédibilité qui restait à la LFP en invalidant sa décision de créer une Ligue 2 à 22 clubs la saison prochaine. Un symbole de la cacophonie qui règne depuis le début de la crise sanitaire et qui n’a pas contaminé que les grandes instances.
Chacun pour sa gueule
Au moment de se regarder dans la glace, l’écrasante majorité des présidents de clubs auront aussi le droit de se tapoter la joue et d’avoir du mal à assumer leur regard. Voilà près de trois mois que chacun prêche pour sa paroisse. Jean-Michel Aulas a été le plus actif pour la reprise du foot, mais aussi le plus brouillon, ses intérêts personnels noyant la sincérité de sa démarche et les bienfaits collectifs qu’il espérait. De son côté, Bernard Joannin a été surexposé médiatiquement parce qu’Amiens a commis le crime d’être 19e au moment où le virus a débarqué. On peut légitimement se demander si son combat – aussi fondé soit-il – lui aurait autant tenu à cœur si un autre club s’était retrouvé à cette place. Symbole du ventre mou de Ligue 1, Laurent Nicollin, président de Montpellier, s’est offert de la sympathie à peu de frais quand il a préconisé la « décence » et la « dignité », en mettant en face des intérêts personnels de ses confrères le fait que des personnes décédaient chaque jour du virus. Qui pour jurer que son discours aurait été le même si Montpellier n’avait pas été 8e, mais 19e au soir de la 28e journée ?
Le gouvernement français a peut-être raison de ne pas permettre aux championnats de reprendre. Chaque pays a beau affronter le virus à sa manière, il convient néanmoins d’admettre que la France était confrontée exactement au même dilemme que ses quatre voisins concernant l’équilibre à trouver entre le risque sanitaire et l’obligation de rejouer pour freiner la récession.
La décision d’Edouard Philippe de siffler la fin de la récréation est arrivée très tôt, mais dans un pays qui aime le foot, nos acteurs auraient mesuré la nécessité de ranger les flingues et de s’unir, plutôt que de s’inventer de nouveaux ennemis au nom d’une « équité sportive » qui n’avait pas grand-chose à faire au premier plan dans les débats. L’enjeu dépassait évidemment tout cela. Malheureusement, le brouillard qui décore la France depuis plus de deux mois a empêché les présidents des clubs et des grandes instances de voir au-delà de leur nombril. L’équité sportive est une jolie formule qui cache une vilaine mentalité : il n’y a pas une journée dans le foot français où on ne cherche pas à savoir qui a volé qui et comment réparer cette odieuse injustice. Cela crée des fous, des paranos, des complotistes, des gens qui se trompent de combat, mais n’oublient pas de le mener.
Coline Zéro
L’histoire de la saison 2019-2020 va donc se terminer comme ça, avec une défaite du football et une victoire des gens qui le déprécient sans le connaître. Au début du confinement, alors qu’on ne lui avait rien demandé, la réalisatrice Coline Serreau avait débité des âneries, jouant sur les émotions en mettant en face des petits salaires du corps hospitalier les footballeurs, « de jeunes crétins arrogants qui sont payés 10 millions d’euros par mois pour mettre un ballon dans un filet ».
On peut aisément deviner ce à quoi on a échappé grâce à cette non-reprise du foot dans l’Hexagone : « Ah ok, on peut rejouer au foot, mais tout le reste non… Ah ok y a des tests et des mesures concrètes pour les footeux, mais pas pour nous. » Des propos que Coline Zéro et ses amis auraient entonnés avec énergie, mais qui n’ont pas lieu d’être, donc. Mais qu’elle se rassure : le foot va effectivement trinquer. Toutefois, ce sont naturellement les petits boulots des grands clubs qui vont disparaître – ou au moins morfler – et le monde amateur qui aura le plus de mal à se remettre de cette crise.
Le foot français a encore perdu, c’est aussi simple que ça. Il n’y a plus grand-chose à comprendre, tout est à peu près en train de rouvrir sous certaines conditions, les restaurants, les bars, mais pas les stades, surtout pas les stades. Et puisque même les piscines vont rouvrir, Roxana Maracineanu devrait en profiter pour léguer une pataugeoire à tous ces grands dirigeants du football français. Attention quand même à la noyade.
Par Matthieu Pécot