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Parc des Princes : 1972, première séance

Par Nicolas Kssis-Martov
Parc des Princes : 1972, première séance

Le Parc des Princes a été légèrement rénové pour l'Euro 2016. Cette enceinte mythique, qui avait accueilli la finale du sacre de 1984, s'est en effet refait une petite beauté à cette occasion, un moyen aussi pour QSI d'améliorer l'écrin de béton de son précieux PSG. S'il paraît malgré tout désuet et possède presque la stature d'un monument historique, on oublie souvent que le vaisseau de la porte de Saint-Cloud incarnait lors de sa « naissance » en 1972 une France moderne et innovatrice, soucieuse d'en imposer au reste du monde par son audace architecturale. Toutefois, contraste très hexagonal, ce bijou d'avant-gardisme fut inauguré, avec un sens certain du fossé culturel, par un France-URSS amateur devant un public d'écoliers.

Début des années 1970. Georges Pompidou a pris la suite du Général et entend bien tourner la page du gaullisme de papa. Bref, il veut passer du noir et blanc de l’ORTF aux couleurs du pop art. N’a-t-il pas d’ailleurs confié le 26 août 1970 à Robert Bordaz, ancien résistant et haut fonctionnaire fidèle parmi les fidèles, la lourde tâche de la réalisation « du centre du plateau Beaubourg » qui portera un jour son nom en hommage posthume ? Dans le même ordre d’idée, Paris ne dispose toujours pas d’un « grand » stade digne de son rayonnement mondial, et surtout capable de rivaliser avec les autres capitales européennes.

Si le tout jeune Paris Saint-Germain FC évolue dans l’élite depuis peu, c’est toutefois encore du côté du Red Star et de Saint-Ouen que bat le vrai poumon du foot francilien. Sinon, pour le spectacle, il faut se déplacer à Yves du Manoir à Colombes, dans le 92 (depuis 1968, l’ancien département de la Seine a été divisé), vénérable maison dont l’éloignement et la vétusté ne suffisent plus à porter les rêves de grandeur que caressent la presse sportive et les quelques politiques qui s’intéressent à la chose sportive. La question d’implanter intra muros « le » stade se pose d’autant plus urgemment que le prestige national est en cause.

Un Parc des Princes… du Vélo

Il existe certes déjà un Parc des Princes, planté dans le 16e arrondissement, à son emplacement actuel, qui reçoit régulièrement les honneurs des Bleus, du Stade français, puis du Racing Club de Paris. Cependant, il garde encore la marque de son empreinte cycliste, notamment imposée par ses premiers concessionnaires, les journaux L’Auto puis L’Équipe (qui lui succède après l’interdiction du premier pour une ligne légèrement collabo pendant l’occupation). Ainsi, le tour de France y termine traditionnellement son périple devant des dizaines de milliers de fidèles de ce grand culte patriotique.

Néanmoins, au fil du temps, les installations paraissent de plus en plus insuffisantes au regard de l’évolution du foot pro, surtout quand il s’agit de réceptionner de grandes rencontres internationales (la finale du premier championnat d’Europe des nations s’y était déroulée en 1960, avec la victoire soviétique des camarades de Yachine). Lorsque le 28 février 1962 débarque un match d’appoint de Coupe d’Europe des clubs champions entre le Real et la Juventus (après deux matchs nul successifs à domicile), les 40 000 places, contrainte induite par la piste cycliste, trouvent vite preneurs. L’Équipe du jour s’amuse à noter un puissant effort pour se hisser au niveau de l’événement : « Des porte-manteaux ont été disposés et des tapis en caoutchouc aménagés sous les douches. »

Un enfant du périphérique…

Devant cette situation indigne pour notre foot tricolore, une volonté politique et une opportunité urbanistique vont se conjuguer pour accoucher du nouveau Parc des Princes. Depuis plus de dix ans, le périphérique parisien se finalise tronçon par tronçon. À l’orée des seventies, il approche du stade, qui se trouve sur la courbe routière. Rapidement, le Parc des princes se trouve amputé de deux tribunes pour permettre l’avancée des travaux. À partir de 1967, la grande boucle lui dit adieu (Poulidor sera le dernier à l’honorer en vainqueur). Désormais pour le meilleur et le pire, l’enceinte sportive et le fleuve de voitures ont destin lié, une indissociable parenté qui finalement déracine symboliquement, comme s’il flottait au-dessus de la coulée de phares allumés, ce temple de la ferveur populaire d’un 16e arrondissement si propret. Les plans du nouveau stade sont dévoilés dans France Football, qui annonce avec confiance : « Ceci n’est pas un poisson d’avril. »

Durant les travaux qui débutent en 1969, quelques matchs s’y déroulent malgré tout dans des conditions précaires. Le dernier, en juin 1970, devant à peine 2000 acharnés, entre les Pierrots de Strasbourg et l’USM Montbéliard pour la finale du championnat de France amateur. Désormais, le sort en est jeté. L’architecte, Roger Tallibert, grand passionné de sport, a décidé d’en faire un modèle et une révolution : « Ce défi urbain m’a tout de suite plu » confiera-t-il ensuite. Il ose casser les codes précédents. Pas de pylônes, mais 50 portiques de 25 tonnes chacun, en porte-à-faux, reliés entre eux par un bandeau horizontal à 28 mètres de hauteur. L’éclairage tombe du toit directement. La dimension omnisports est enterrée. Pas de piste d’athlé ni de vélo, et le pari d’une proximité des spectateurs. De tels choix heurtent. Les discussions sont vives au conseil de Paris où, par ailleurs, l’alourdissement de la facture – qui double jusqu’à atteindre 150 millions de francs – passe mal. L’impératif national s’impose.

Les « Rouges » premier vainqueurs

Deux ans de travaux seront encore nécessaires. Une fois terminé, il faut bien l’inaugurer. Enfin, façon de parler. Plutôt un galop d’essai, étrenner la pelouse. Les officiels et autres attendront la finale de la Coupe de France entre Marseille et Bastia pour bénir de leur présence ce cadeau de la République et de la ville de Paris. Pour le moment, en ce beau jour du 25 mai 1972, ce sont les « Bleus » amateurs qui ont le privilège de roder cette merveille encore intacte face à l’URSS pour un match de qualification pour les JO de Munich. L’affiche n’attire pas grand monde. Les tribunes peuvent recevoir 50 000 personnes. Ils ne sont pourtant que 35 000 dans les gradins, dont… 30 000 écoliers invités pour remplir les sièges vides. Les 5000 « vrais » spectateurs ont déboursé 5 francs pour vivre un instant qu’aucun a du mal à percevoir comme historique. « Un peu cher » se plaindra même un spectateur interviewé par l’ORTF.

Mais même si c’était un nouveau stade dans un nouveau lieu, je n’ai pas le souvenir que c’était si festif que ça. Il n’y avait pas eu d’inauguration particulière.

Pierre Mankowski, actuel entraîneur des Espoirs et alors capé « amateur » , racontera ensuite un sentiment assez identique d’indifférence polie. « À ce moment, il y avait peu d’enceintes comme celle-là de cette grandeur et de cette beauté. Mais même si c’était un nouveau stade dans un nouveau lieu, je n’ai pas le souvenir que c’était si festif que ça. Il n’y avait pas eu d’inauguration particulière. » Il faut admettre que sur le terrain, la confrontation s’avère des plus inégales. Les Soviétiques alignent un effectif d’un tout autre calibre par rapport aux amateurs français, grâce à la complaisance du CIO qui ne s’amuse pas à regarder avec trop d’acuité le statut des joueurs de l’Est. « Le socialisme réel » n’en était pas à un mensonge près, et les pays communistes trusteront longtemps les médailles d’or en ballon rond. C’est de la sorte que pour ce « vernissage » du Parc des Princes, le grand Blokhine du Dynamo Kiev donne le tournis à la défense tricolore, qui évite le naufrage grâce à la témérité de son gardien de but, André Lannois, fidèle portier du RC Lens. La défaite 3-1 est logique.

Mais l’essentiel est ailleurs. Désormais, Paris possède un vrai stade de foot dont il peut être fier, unique en son genre. Norbert Bouc, entraîneur de Mantes-la-Ville, qui évolue alors en D2, résume bien l’impression générale : « Un régal pour les yeux. » Le 10 novembre 1972, le PSG y dispute son premier match contre le Red Star en D2. L’histoire peut (re)commencer.

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