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Papy Faty, cœur brisé
Poussé par son rêve, celui de participer à la Coupe d'Afrique des nations 2019, Papy Faty est décédé jeudi dernier d'une crise cardiaque sur un terrain de football en Eswatini (ex-Swaziland), alors que toute l'Afrique savait qu'il jouait sa vie à la roulette russe à chaque match. Ironie macabre : la veille, il affirmait dans un journal que ses soucis de santé étaient derrière lui.
Il était parti en Eswatini parce que plus personne ne voulait de lui en Afrique du Sud. Sa réputation le précédait. Il s’appelait Papy, et avait un cœur prêt à s’éteindre. C’était une certitude depuis bientôt cinq ans, alors que lui en avait vingt-trois, et ce malaise en plein match du Bidvest Wits FC, conduisant son coach d’alors, Gavin Hunt, un ancien arrière droit international mis sur la touche à cause de problèmes au talon d’Achille, à lui faire passer des test médicaux complets. Le cardiologue l’avait alors convoqué seul dans son cabinet, blouse blanche et mains croisées, pour lui traduire des résultats sans équivoque : « S’il joue, il meurt. »
Son ventricule droit gonflait dangereusement pendant l’effort. Mais Papy voulait continuer à courir, ici ou ailleurs, le conduisant ce jeudi 25 avril 2019 sur le terrain du Malanti Chiefs FC, dans un match de championnat comptant pour la 23e journée de MTN Premier League, le championnat local. En face, à la 15e minute, les joueurs de Green Mamba l’ont vu s’effondrer sur lui-même, et ne jamais se relever. Il a été emmené à l’hôpital sans avoir pu être réanimé, et est mort dans l’ambulance avant même d’arriver sur place. Crise cardiaque. La veille, le journal local Soccer Laduma plantait sa photo en Une, accompagné de la citation suivante : « Le médecin a dit que je pouvais mourir » .
Hier, dans un magazine de sport qui est apparu en Afrique du Sud, on y trouve une interview de Papy Faty. La derniere. Cc @AntoineKaburahe @KabazaWebTV @akezanet @IntumwaNews #RIPPapyFaty pic.twitter.com/TIu7ddScpd
— Ngendakumana J. Patrick (@ngendapatrick) 25 avril 2019
Une course à la mort
L’histoire de Papy Faty est douloureusement banale et banalement douloureuse à la fois. Tout le monde savait. Tout le monde l’avait mis en garde. Et pourtant, pliant face à sa volonté de continuer à jouer au football, tout le monde fermait les yeux en attendant la dépêche qui annoncerait que ça y est, la poitrine avait lâchée. Après coup, lire ses derniers mots à Soccer Laduma devient difficile. Il y raconte avoir, à plusieurs reprises, « perdu connaissance sur le terrain » lorsqu’il jouait sous le maillot du club qu’il avait défendu pendant sept ans, celui des Wits, racontant comment il s’effondrait pour mieux jouer quatre-vingt-dix minutes le week-end suivant. « C’était un soldat, remet par téléphone Valéry Nahayo, ancien capitaine de l’équipe nationale du Burundi. C’était un petit que j’avais recueilli dans la sélection, parce que je l’avais connu tout petit, à Cibitoke, c’était un ami de mon petit frère. On s’est parlé jeudi matin, il devait être 8h, je venais de me réveiller. Il avait commenté des photos de moi en me taquinant, puis il m’a expliqué qu’il jouait l’après-midi, un match en retard, à 15h. On s’est promis de s’appeler après. Je lui ai souhaité bonne chance. »
Papy courait en effet ces derniers mois après un rêve : celui de disputer la CAN 2019, dans deux mois. Il avait refusé de se faire opérer en février dernier, allant contre toutes les préconisations médicales, pour pouvoir être disponible pour son pays. Et le 23 mars dernier, à l’occasion du dernier match de qualification pour la compétition contre le Gabon, il avait été appelé. Mieux, il avait honoré sa 29e sélection, près de trois ans après la dernière, le 4 septembre 2016 face au Niger.
À Kickoff, il racontait alors : « Mes problèmes de cœur sont derrière moi. Le pays avait besoin d’un point pour assurer la qualification, et de joueurs expérimentés qui se sont déjà battus pour notre nation. C’est la raison pour laquelle le coach (Alain Olivier Niyungeko) et la Fédération m’ont appelé et questionné sur ma santé. Je leur ai dit ce que je viens de vous dire. » Il faut le dire, ses soucis de cœur, Papy n’y croyait qu’à moitié. « Il pensait que des gens étaient jaloux de sa réussite et de sa famille, explique Valéry Nahayo, il croyait que c’était un‘diagnostic d’africain’, et qu’il allait bien. » Les résultats, tombés en 2014 alors qu’il était au pic de sa forme, lui avaient fermé les portes de « trois grands clubs en Afrique du Sud » . Le mot avait tourné, on était désormais réticent à lui faire signer un contrat. Fut un temps, Papy avait même consulté un « sangoma » , nom local désignant un guérisseur, pour « vérifier » s’il était ou non victime d’une malédiction. Et concernant son cœur, il disait simplement croire aux « herbes traditionnelles » . Gavin Hunt, son coach aux Wits, avait accepté sous son impulsion de signer un contrat exonérant son club de toutes charges si jamais le gars venait à mourir, avocat à l’appui. « Fils, je t’aime trop, je ne veux pas te perdre » , avait dit l’entraîneur, stylo à la main. Puis Papy l’avait rassuré, et il avait signé.
« Je regrette de n’avoir rien fait »
D’ici, on est probablement un peu trop loin pour l’affirmer, mais il semblerait que le football ait perdu un type bien. Un blagueur, qui n’avait de problèmes avec personne. Un gars « spécial, un petit avec un grand cœur » , confie Nahayo. L’actuel capitaine de la sélection burundaise, Karim Nizigiyimana, n’a rien pu lâcher de plus qu’un : « J’ai mal… » avant de fondre en pleurs au téléphone, incapable de trouver les mots pour exprimer sa peine et rendre hommage à celui qui était en passe de participer à la première CAN de l’histoire du pays. La qualification, arrachée en contenant les pieds de Pierre-Emerick Aubameyang (1-1) et coupant la tête de Daniel Cousin, l’avait « surmotivé » , dit-on. « On est dans un bon groupe, on peut faire quelque chose » , avait déclaré Papy en apprenant que son pays allait affronter le Nigeria, la Guinée et Madagascar dans un groupe B abordable.
Tout aurait donc pu être parfait, sans ces « choses qu’il voyait, indescriptibles » , quand il levait les yeux au ciel pendant les matchs, et qui dansaient devant ses yeux. Alors, à qui la faute ? Les employeurs qui l’ont poussé à la mort ? Sa propre folie ? La Fédération qui a attisé le feu sur les cendres de son rêve impossible ? Son entourage ? « Je regrette de n’avoir rien fait, avoue Valéry Nahayo.Maintenant je suis en contact avec ses frères, ils essayent juste d’avoir assez d’argent pour ramener son corps au Burundi. J’espère qu’on va l’enterrer au pays, avec tout les honneurs qu’on lui doit. » Et rendre hommage à un Papy qui s’est sacrifié pour son pays, au sens propre.
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD