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Pape Thiaw : « J’imaginais plutôt avoir un parcours à la Omar Daf ou Habib Beye »
Avant sa victoire surprise au CHAN, comme sélectionneur, Pape Thiaw était à jamais "Le Talonnier" au Sénégal, surnom hérité de sa talonnade décisive sur le but en or d'Henri Camara, en 8es de finale du Mondial 2002. Entretien avec un coach qui ne manque pas de talon.
CAN, Chan, CAN U20, beach-soccer… Comment expliques-tu que le Sénégal domine à ce point le continent africain ces derniers mois ?
Le Sénégal a toujours eu des joueurs talentueux, mais il récolte les fruits d’un travail de fond. La fédération est stable et la direction technique nationale a fait un super boulot en donnant aux sélections des infrastructures – le centre technique Jules-François Bocandé – et les moyens financiers – stages et matchs amicaux à l’étranger – qui permettent de travailler dans d’excellentes conditions. Ces investissements et l’excellent travail de formation des clubs ou des académies locales, comme Génération Foot, Diambars ou le Dakar Sacré-Cœur, permettent à nos joueurs d’être prêts techniquement et tactiquement pour le niveau international.
La victoire lors de la CAN 2021 a-t-elle aussi permis de se libérer d’un poids ?
Elle a tout débloqué. Le football sénégalais courait depuis trop longtemps après son premier titre. En gagnant la CAN contre l’Égypte (0-0, 4-2 TAB), deux ans après une défaite douloureuse en finale contre l’Algérie (0-1), Aliou Cissé a réalisé le rêve de tout un pays. Et son équipe a fait preuve d’un caractère incroyable. Un mental parfaitement illustré lors de la finale par Sadio Mané, le plus grand joueur de l’histoire des Lions, qui inscrit le tir au but décisif alors qu’il avait raté un penalty. Un symbole, car pendant longtemps, on perdait ces séances. Aliou Cissé a mis dans la tête de cette génération que marquer un penalty était une qualité technique et n’avait rien à voir avec la chance.
Qu’est-ce que ça fait d’avoir remporté le deuxième plus beau trophée de l’histoire du football sénégalais un an plus tard ?
Ça fait plaisir de donner du plaisir au pays. Et même s’il est vrai que nos clubs ne brillent pas au plan continental, cette victoire au CHAN contre l’Algérie (0-0, 5-4 TAB) onze ans après notre dernière participation, met le football local en lumière. Le Sénégal a un vivier incroyable. Il manque seulement des moyens à nos clubs pour pouvoir conserver leurs joueurs et freiner la fuite des talents vers les pays du Maghreb, mais aussi la Tanzanie ou le Soudan.
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Ce titre est d’autant plus surprenant que tu étais à la base adjoint de Joseph Koto, que tu as remplacé après son décès… Comment as-tu vécu les doutes à la suite de ta nomination ?
Je suis depuis assez longtemps dans le football pour savoir que personne ne fait l’unanimité. Lorsqu’on m’a proposé le poste, je savais très clairement ce que je voulais faire, dans la continuité de l’excellent travail de Joseph Koto. Et où je voulais aller. Depuis ma retraite, j’ai décroché tous mes diplômes d’entraîneur en France et j’ai lancé ma carrière de coach au Sénégal en 2018 totalement par hasard. J’étais en vacances à Dakar et deux jours avant mon vol retour, Niary Tally, le club de D1 de mon quartier, m’a appelé pour me demander de remplacer son entraîneur, qui venait de démissionner. Je n’ai pas pu refuser, alors qu’après avoir notamment entraîné un club de R1 en Ardèche, j’imaginais plutôt avoir un parcours à la Omar Daf ou Habib Beye.
Est-ce que cette victoire a aussi un goût de revanche alors que tu as souvent été dans l’ombre des stars de la génération 2002 ?
Ce titre au CHAN n’est pas la revanche du Talonnier. Je ne serai jamais revanchard envers mon pays et suis très fier de ma carrière en sélection (16 sélections, 5 buts). J’ai toujours mouillé le maillot et respecté la hiérarchie qu’imposait l’entraîneur. Si Bruno Metsu n’avait pas eu confiance en moi en 2002, il ne m’aurait pas fait jouer un huitième de finale de Coupe du monde.
C’est d’ailleurs de ta talonnade pour le but en or d’Henri Camara contre la Suède (2-1) que tu tiens ton surnom de talonnier, connu de tous les Sénégalais. Cela t’a-t-il agacé qu’on te ramène toujours à ce geste ?
Cette talonnade a même été peinte sur un mur à Dakar. Alors oui, ça m’a parfois agacé que ma carrière soit résumée à ce geste, alors que j’ai par exemple marqué un doublé contre la Namibie (5-0) lors du match qui nous qualifie à la Coupe du monde, mais ce surnom va rester à vie lorsqu’on évoque le Mondial.
Qu’est-ce que cette génération de 2002 t’évoque ?
On était une vraie famille ! Et on a fait vibrer notre pays avec une finale de CAN perdue contre le grand Cameroun (0-0, 2-3 TAB), une victoire contre les champions du monde français (1-0) et un quart de finale (0-1, contre la Turquie) pour notre premier Mondial. On avait des joueurs incroyables : l’artiste El-Hadji Diouf, le gaucher Khalilou Fadiga, le tueur Henri Camara, le leader Salif Diao… Et le coach Bruno Metsu. Avant les matchs, il lui arrivait de nous passer des vidéos de personnes malades qui fêtaient nos exploits au Sénégal. Il nous regardait et nous demandait : « Êtes-vous prêts à assumer l’arrêt de cette joie ? » Son coaching participatif, basé sur le dialogue, m’a énormément inspiré. Et elle explique je pense le fait qu’autant de joueurs de cette génération soient devenus coachs ou soient restés proches des Lions. Aliou Cissé est sélectionneur, Lamine Diatta manager général, El-Hadji Diouf présent à chaque compétition… On a partagé notre expérience pour que les jeunes qu’on a fait rêver ne commettent pas les mêmes erreurs.
Tu fais partie de la première vague de joueurs sénégalais qui ont commencé à s’exporter en masse, en France, à la fin des années 1990… Comment s’est passée ton arrivée ?
Je suis arrivé à Saint-Étienne en novembre 1997 grâce à Abdoulaye Touré qui a été un des premiers à recruter pour les Verts des Sénégalais prometteurs (Frédéric Mendy, Pape Sarr, Alassane N’Dour). J’avais 17 ans et je me rappelle avoir passé les fêtes de Noël tout seul au centre de formation, à pleurer pour rentrer chez ma famille. C’était très difficile sur le plan personnel, mais heureusement, sur le plan sportif, l’acclimatation s’est très bien passée. Dès la première saison, on remporte la coupe Gambardella au Stade de France avec Julien Sablé et Sylvain Armand (1-1, 5-3 TAB contre Paris). La saison suivante, on retourne en finale contre l’AJ Auxerre de Philippe Mexès et Djibril Cissé (0-0, 4-5 TAB) et j’ai fait ma première et seule apparition en pro lors du titre en D2. Je voulais rester à Saint-Étienne, mais les clubs de D1 n’avaient droit qu’à trois étrangers (extracommunautaires, NDLR) dans leur effectif, et le club a recruté les Brésiliens Alex et Aloisio et l’Ivoirien Tchiressoua Guel. Robert Nouzaret souhaitait que je joue avec la réserve en CFA2, mais avec Pape Diouf, mon agent, j’ai préféré partir à Istres en National. Pape était comme un deuxième papa. Tout ce qu’il faisait était dans l’intérêt de ses joueurs.
Lausanne, Strasbourg, Moscou, Metz, Alavés, Créteil… Comment expliques-tu que tu n’aies jamais réussi à t’imposer dans la durée dans un club ?
Une carrière de joueur professionnel dépend aussi de la chance, et j’ai connu de nombreux coups du sort. J’aurais pu rester à Lausanne, mais le club avait des problèmes d’argent et j’étais le plus gros salaire, donc j’ai été prêté à Strasbourg, puis à Moscou… Après le Mondial, j’aurais dû aller à West Ham, mais je n’avais pas le nombre de sélections internationales nécessaires pour obtenir mon visa de travail, donc je suis resté en Suisse, et le club a fait faillite. J’ai pris la direction de Metz, un club qui a toujours bien accueilli les Sénégalais et dont je garde un magnifique souvenir. Je suis devenu le chouchou du public grâce à quelques buts décisifs, et le président Carlo Molinari souhaitait que je reste. Malheureusement, Jean Fernandez m’a fait comprendre que je passais derrière Toifilou Maoulida et Hervé Tum, donc j’ai préféré partir en D2 espagnole à Alavés. On est montés dès la première saison avec le Brésilien Néné et je suis devenu le premier Sénégalais de l’histoire à jouer un Liga. Puis, j’ai enchaîné les blessures. En 2006, Rafa Benítez, qui me connaissait un peu et cherchait un joueur au profil similaire de Djibril Cissé, blessé avec Liverpool, est même venu me voir jouer lors d’un match où je me suis fait les croisés…
Finalement que retires-tu de cette carrière sinueuse ?
Cela m’a permis de prendre du recul et de savoir très vite que je voulais devenir coach. Connaître les galères et les différents statuts d’un footballeur m’aide à la compréhension de tous les joueurs qui constituent un groupe et cela m’a aussi permis de maintenir un lien fort avec le football local. En 2007, à la fin de mon contrat avec Alavés et avant de rejoindre Créteil, je suis notamment rentré jouer un an avec l’équipe de mon quartier pour reprendre la forme. Je suis passé de Bernabeu contre les Galactiques et du Camp Nou contre Eto’o et Ronaldinho à un terrain en sable à l’autre bout du Sénégal. Gagner avec la sélection locale est donc un joli clin d’œil de l’histoire.
Propos recueillis par Ken Fernandez, à Dakar