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Pape Diakhaté : « La Ligue 1 des années 2000 me manque »
Pape Diakhaté est aujourd'hui l'entraîneur de Strasbourg Koenigshoffen en National 3. Mais avant de passer sur le banc, le géant sénégalais a surtout été l'un des défenseurs marquants de la Ligue 1 du début de siècle. Entretien en détente.
Après un an avec les U21 de Virton, tu pars pour un nouveau défi ?
Oui, je suis arrivé à la fin en Belgique. J’aurais aimé que ça continue, mais bon, les aléas professionnels ont fait que je devais trouver un nouveau challenge*. Je n’ai pas envie de griller les étapes. Pour moi, on ne peut que mieux transmettre ses idées à des jeunes ou des joueurs amateurs. Je vois beaucoup de joueurs de ma génération se lancer directement dans le monde professionnel et se casser les dents. Moi, je veux prendre autant de temps que possible pour que ça ne m’arrive pas.
On dit qu’avoir été un bon joueur ne fait pas de vous un bon entraîneur. Tu le penses ?
Tu peux être aussi connu que tu veux, quand tu passes de joueur à entraîneur, c’est une remise à zéro. Les générations ont changé, donc la moitié ne sait pas qui tu es. Surtout, quand tu es joueur, tu penses en grande partie à toi. Quand tu deviens coach, c’est l’inverse. Il n’y a plus que le collectif qui compte, et ton passé de joueur ne te sert plus à rien, si ce n’est peut-être pour gonfler ton ego.
Ton style de coaching est à l’image du joueur que tu as été ?
Moi, j’étais un défenseur assez rude, mais j’essaye de proposer un jeu plutôt fluide. Ton identité de joueur ne se calque que rarement sur ton style d’entraîneur. Guardiola était 6, mais le fait d’avoir évolué dans le Barça de Cruyff a complètement transformé sa façon de voir le football. Si on pensait tous nos méthodes d’entraîneur selon le poste qu’on occupait, alors aucun gardien ne serait sur un banc aujourd’hui.
Il se dirait quoi, le petit garçon de Dakar que tu étais en te voyant aujourd’hui ?
Le bonhomme de Dakar se dit surtout qu’il a une chance infinie d’avoir réussi à disputer ne serait-ce qu’un seul match en professionnel. Mon rêve absolu, c’était juste un match en pro sur ma page Wikipédia. Aujourd’hui, j’en ai près de 500. J’ai débuté à l’ES Ouakam, un club en périphérie de Dakar. Mais c’est en sélection que je suis repéré, avec les U17. Je sortais d’un match merdique contre le Burkina Faso, je crois. Je rentre aux vestiaires énervé, et je tombe sur deux messieurs en chemise, trempés de sueur. Je crois même que je les accueille super mal. Ils m’expliquent vite fait le projet, et je comprends que ce sont des dirigeants de Nancy. Je les invite chez mes parents, et on signe le contrat le soir même.
Tu as aussi vécu la fameuse épreuve du froid qu’ont affrontée la majorité des joueurs africains ?
Mais les Européens ne comprennent pas que c’est vraiment une folie pour nous ! Je me souviens que le matin de mon départ, j’avais décidé d’être « beau gosse ». Donc je mets un T-Shirt blanc, un petit gilet par-dessus et un jean. J’arrive à Nancy en novembre, j’avais envie de me foutre une droite. De la neige, du vent et rien d’autre.
Tu te souviens du premier visage que tu vois à Nancy ?
Quand je descends de la voiture devant le centre, un mec me guette par la fenêtre et se met à courir vers moi. Il me lance une parka du club pour que je me réchauffe, sans même me dire bonjour. Ce mec, c’était Olivier Sorin, qui deviendra l’un de mes meilleurs potes dans le football.
Elle existait encore, cette innocence, quand tu arrives à Lyon dix ans plus tard ?
On avait 16 ans, on était cons, c’était beau… Et puis tu arrives à Lyon, dix ans plus tard, tu te retrouves dans l’un des meilleurs clubs de France, mais qui est en même temps une lessiveuse avec pas mal d’égoïsme.
Des exemples ?
La manière dont Claude Puel a été traité. Il était là depuis deux mois, nous n’étions qu’en septembre, et certains joueurs voulaient déjà le virer parce qu’ils ne l’aimaient pas. Je me souviens qu’on sort d’un nul contre Valenciennes (1-1, le 11 septembre 2010, NDLR). Certains joueurs demandent une réunion avec le président Aulas. Le lendemain, on se retrouve pour discuter, Monsieur Puel n’était pas présent. Il se fait allumer : « Puel n’a pas les épaules, Puel n’est pas fait pour entraîner un club comme l’OL, etc. » Moi, j’étais arrivé quelques semaines avant, donc je me retenais un peu de parler. Sauf qu’à un moment j’ai craqué, et j’ai aussi dit mes quatre vérités aux coéquipiers.
Elle s’est achevée comment cette réunion ?
Aulas a convoqué Claude Puel et les protagonistes pour qu’ils aient une explication. Et de ce qu’on m’a rapporté, les joueurs ont changé de version face au coach. Mais cet exemple, c’est pour vous illustrer que plus on monte, plus on lutte dans un environnement hostile.
On a l’impression que tu décris l’OL actuel.
Si Lyon peine à ce point aujourd’hui, ce n’est pas seulement dû à la direction de John Textor. C’est que forcément, au niveau sportif, il y a un problème entre les joueurs. Donc oui, aujourd’hui, je retrouve un peu de ce que j’ai vécu dans la période 2010 du club.
Entre Nancy et Lyon, tu as surtout écrit ton histoire au Dynamo Kiev. C’était l’eldorado idéal ?
J’ai signé pour deux critères : l’aspect financier et la Ligue des champions. Et puis Nancy avait besoin de vendre. Le jour même de ma signature à Kyiv (le 1er juillet 2007, NDLR), j’étais au téléphone avec Laurent Blanc. Il me voulait absolument à Bordeaux. J’avais même fait retarder ma signature exprès, en attendant de voir si Bordeaux allait augmenter son offre vis-à-vis du président Rousselot. Finalement non, je me suis excusé auprès de Monsieur Blanc et j’ai signé au Dynamo.
En Ukraine, le Shakhtar avait quelques Brésiliens, mais tu étais l’un des premiers Africains à signer là-bas. Tu n’as pas reçu de remarques désobligeantes ?
Tout le monde m’a dit ça, mais je n’y ai jamais accordé d’importance. Et j’en ai reçu des insultes, hein… Jamais à domicile, mais dans des petites villes à l’extérieur, ça arrivait qu’ils fassent des bruits « bizarres ». Après, en Ukraine, j’ai joué dans des endroits fous, où tu avais l’impression d’être encore dans les années 1970. Je me souviens d’une coupure d’électricité alors qu’on atterrissait à Lviv. Au moment où l’avion descend, plus rien. C’était la panique, on ne voyait personne, certains pensaient à une attaque militaire.
Ton meilleur moment à Kyiv ?
La Ligue des champions. Mon deuxième match, contre Manchester United, à Old Trafford. On a perdu l’aller 2-4. Dans le tunnel, j’étais à côté de Wayne Rooney, je le regarde, puis je regarde en face de moi et j’ai les larmes qui montent. C’était irréel pour moi de me retrouver là, alors que je galérais à Dakar quelques années auparavant. Le match commence, je dois défendre sur Cristiano Ronaldo. Il est trop fort. Tout ce que je vois, c’est des passements de jambes et ses crampons qui vont dans tous les sens. Je tiens pas mal le coup, mais ils nous écrasent, 4-0.
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Et le pire ?
Mon embrouille avec Valeri Gazzaev, mon dernier coach. C’était en fin d’année 2009. Je revenais d’une rupture du ligament croisé, et le médecin avait été clair : je ne pouvais jouer qu’une heure. Pour mon match de reprise, je demande donc le changement après une heure. Le coach ne veut rien savoir. Mon genou recommençait à me faire mal, donc je m’assois au sol pour forcer le changement. Je sors, enfin. Dans les vestiaires après le match, Gazzaev fonce vers moi : « Tu sors quand je le décide ! » Je lui explique que la douleur était revenue, mais lui m’insulte en russe. Dans un excès de colère, je l’attrape par le cou et le plaque contre le mur. C’était mon acte de départ.
C’est sûr qu’à Nancy, c’était plus calme.
Nancy, ça n’a rien à voir, c’était ma famille… J’arrive à 16 ans, et à 18 ans, je me retrouve en pro avec ma bande de potes du centre de formation. Moi, Michaël Chrétien, Olivier Sorin, Cédric Bockhorni, Moncef Zerka. En deux saisons, on monte en Ligue 1, on gagne la Coupe de la Ligue et on se retrouve en coupe d’Europe. Qui peut rêver mieux ?
Tu retiens lequel de ces trois événements ?
La finale de Coupe de la Ligue contre Nice en 2006 ! Je ne retiens même pas la victoire, mais le contexte. Notre dernier match de championnat contre Nice s’était terminé en bagarre générale, donc il fallait gagner. Et puis il y a eu ce discours d’Elie Kroupi. Il a appris qu’il était sur le banc. Quand on revient aux vestiaires après l’échauffement, je le suis du regard parce qu’il était au bord des larmes et que j’avais peur qu’il pète un câble. Finalement, il nous réunit et nous dit : « Putain les mecs, vous ne savez pas à quel point j’ai la haine d’être sur le banc. Donc pour moi et tous ceux qui ne joueront pas aujourd’hui, gagnez, s’il vous plaît ! » Voir un grand gaillard comme lui laisser aller ses émotions… Cette Ligue 1 des années 2000 me manque un peu.
Vous avez fêté ça comme il faut ?
Nous sommes sortis en boîte. Moi je ne bois pas, donc je les voyais tous partir dans les vapes. (Rires.) J’étais tellement fatigué à cause du match que je me suis endormi sur un canapé. Quand je me réveille, il était 9 heures du matin, et je vois Kim et André Luiz en train de danser. Ils n’avaient pas dormi. En arrivant à Nancy dans l’après-midi pour célébrer, ils se sont mis derrière moi et m’ont dit : « Pape, ne bouge pas, cache-nous. » Ils n’arrivaient plus à tenir debout pour la photo. Ils n’ont jamais quitté leurs lunettes de soleil.
Tu parlais de Ligue des champions, mais ton premier souvenir d’Europe, c’est la Coupe de l’UEFA…
Et c’était n’importe quoi. (Rires.) On passait de Marcel-Picot à des stades de fou. Avec les mecs, on se sentait comme des gamins en excursion. Chaque semaine, on découvrait un nouveau pays, une nouvelle ville. Aucune pression sur nos épaules, c’est pour ça qu’on a fait un beau parcours. Je me souviens du regard des joueurs de Schalke 04, qui passaient de leur stade de Coupe du monde à un petit stade de province. Ils étaient complètement déboussolés, et bam : le piège de Picot s’est refermé sur eux !
Le rôle de Pablo Correa était évidemment essentiel ?
Pablo, c’était le chef de meute. Sans lui, pas sûr que les gens parleraient encore de Nancy. Je me souviens d’une causerie improbable au Mans. Il sentait que nous n’étions pas dedans, donc il a improvisé. Il a pris une chaussette et l’a foutue sur sa tête. On ne comprenait rien. D’un coup, il se retourne, nous mime une mitraillette et crie : « Personne ne bouge, c’est un braquage », avec son accent latino. Silence dans le vestiaire, il enlève sa cagoule et dit : « Aujourd’hui, vous n’êtes pas prêts. Donc pour gagner, il faudra les braquer. » Résultat : on marque, on se met derrière le reste du match, et on gagne 2-1. En rentrant aux vestiaires, on se tirait dessus avec les mains. C’était Pablo Correa, un meneur d’hommes exceptionnel.
Pour finir : tu as un regret ou une fierté ?
L’un de mes regrets, c’est peut-être de n’avoir rien fait de grand avec le Sénégal. Mamadou Niang, Souleymane Diawara, Moussa Sow, Demba Ba, Papiss Cissé, on avait une génération dingue. Mais les histoires de primes et les trucs habituels en Afrique nous ont tués… Mais j’ai quand même eu la chance de faire un parcours plein. Récemment, je regardais une vidéo de Paul Scholes. Mon fils s’est mis à côté de moi et m’a dit qu’il trouvait ce monsieur roux très fort. Je lui ai donc expliqué qui il était, en précisant que son papa avait joué contre lui. Et en voyant son sourire, j’ai compris que j’avais réussi ma carrière.
Propos recueillis par Adel Bentaha
* Cet entretien a été réalisé quelques jours avant la nomination de Pape Diakhaté comme entraîneur de Strasbourg Koenigshoffen.