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Papa est mon entraîneur
Autant les rejetons de footeux sont nombreux à fouler les pelouses, autant il est rare qu’ils se retrouvent sous les ordres de leur père. La cohabitation est bien entendue possible, et peut s’avérer fructueuse. Tout en étant compliquée.
Grosse surprise samedi dernier, au coup d’envoi de la rencontre de 25e journée de Ligue 1 opposant Bastia à Nice. Grégoire Puel, 21 ans, débute sur la pelouse du Furiani, pour un bouillant derby du Sud. Avec la blessure de Lloyd Palun, son coach de père a décidé de le lancer dans le grand bain, pour son premier match pro. Et celui qui évoluait jusqu’alors comme attaquant en CFA2, réalise un excellent match sur le flanc droit de la défense. Malgré son inexpérience, malgré l’ambiance hostile aux Aiglons. Sitôt les 90 minutes passées, le papa doit évidemment se coltiner la question fatidique : « Si j’éprouve de la fierté en tant que père ? Je ne souhaite pas mélanger les genres. Mes choix ne sont pas dictés par les sentiments. C’était une décision professionnelle. Si j’ai décidé qu’il devait jouer, c’est qu’il le méritait. » Point barre. Alors oui, lancer son propre fils n’est pas une décision évidente. Et si Puel a cela de particulier, il n’est cependant pas le premier à coacher son gamin. Brian Clough, Sir Alex Ferguson, Kenny Dalglish, Johan Cruyff et bien d’autres, sont passés par là avant lui. Et ont dû faire abstraction de leurs paternités.
Pas de papa qui tienne
Parce qu’elle est là, la difficulté de la situation. Quel que soit le boulot en effet, tous les psychologues s’accorderont pour dire qu’il est nécessaire, lorsque père et fils bossent ensemble, de mettre les sentiments de côté. Autrement dit, bien dissocier les sphères familiales et professionnelles : passés le portique du centre d’entraînement ou l’entrée d’un stade, les notions de père et de fils doivent disparaître, pour laisser place à celles d’entraîneur et joueur. Ce que confirme Jean-Michel Cavalli, père de Johan, qu’il a coaché un peu plus de deux saisons, entre Créteil et Nîmes : « On ne peut pas considérer qu’on entraîne un « fils ». Le mot « fils » ne fait pas partie du vocabulaire d’un entraîneur. Parce que si vous commencez à penser que c’est votre gamin que vous entraînez, vous ne vous en sortez plus… » Oui, l’entraîneur doit se comporter avec son fils comme avec n’importe quel autre joueur. Mais oublier ce lien de parenté n’est évidemment pas simple. Et il se traduit parfois par l’inverse total du favoritisme, quelque part supposé par la situation : « Pour être honnête, on est malhonnête avec notre enfant quand on l’entraîne. Mais pas malhonnête dans le mauvais sens. Par exemple, il m’est souvent arrivé de sortir mon fils alors qu’il ne méritait pas du tout de sortir. Le match était plié, et je préférais donner du temps de jeu à un autre joueur. C’était pour moi une façon de démontrer que je pensais aux autres. D’autres méritaient plus de sortir, mais c’était une façon de leur montrer que j’étais là pour les aider » , poursuit Cavalli.
Lancer le rejeton quand il est prêt… ou même après
Faire jouer ou pas son fils est une autre thématique dans le sujet. Et en cela, le cas Puel est d’autant plus intéressant puisque, fait rare, c’est le papa qui a lancé le fiston dans le professionnalisme. Dans ce cas-là, tout est question de « bon moment » . Comprendre, le moment où le gosse est prêt. Coach Cavalli a une théorie là-dessus : « Avant même de mettre votre fils sur un terrain d’entraînement, il faut considérer ses qualités. Elles doivent être supérieures non pas à tout le groupe, mais à une bonne moitié. » Derrière cette phrase se cacherait une attente particulière. Et peut-être une plus grande patience à l’égard de son enfant. Le Corse de continuer : « Posez la question à tous les entraîneurs de France : est-ce qu’il y en aurait un seul, qui oserait faire jouer son fils en professionnel à 16 ans et demi ? Moi, je ne pense pas. Alors ce qu’a fait Puel avec Maupay, et ce que peut faire Furlan avec Jean, et bien imaginez-vous une seconde avec leur fils… Ouais, on est d’accord. » Oui, ok. Mais cela veut donc dire que si Maupey avait été le fils Puel, ce dernier ne l’aurait pas lancé ? Bah tiens, elle est peut-être là, la complexité de la relation père-coach/fils-joueur.
Reste donc à trouver le pourquoi. La peur du crash peut-être, celle de lancer son gamin trop tôt, de le voir échouer. L’intérêt des médias pour ce genre d’histoire aussi, les canards ayant la curieuse tendance à rappeler le lien de parenté en cas d’échec. Ou alors est-ce ce sentiment paternel souvent décrit par les spécialistes, qui voudrait qu’un père a tendance à infantiliser son enfant, à ne pas le voir adulte – ce qui retarde, du coup, le fameux « bon moment » . Pour Cavalli, qui a dirigé son fils alors que ce dernier avait déjà une belle expérience, c’est encore ailleurs : « On est plus papa avec les autres qu’avec son propre fils. On arrive à leur faire prendre conscience de plein de choses, leur montrer le bon chemin… Ne pensez-vous pas que Puel ou Furlan, en balançant des gamins comme Maupay ou Jean sur la pelouse, ne deviennent pas leurs pères, sur le moment ? Ils se disent: « S’il passe au travers », « Si on me le casse », « S’il se fait mal »… Ils ont envie que la partie se termine vite. Mais quand elle est finie, et que le gamin a livré la prestation du niveau qu’ils attendaient, et bien c’est ça, les meilleurs retours de la carrière d’un entraîneur. » En attendant, en plus d’avoir bénéficié de l’effet de surprise, Claude Puel a semble-t-il choisi ce bon moment.
Par Alexandre Pauwels