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PAOK-Beşiktaş, fraternité gréco-turque
Mardi, le club de Thessalonique accueille celui d’Istanbul en tour préliminaire de la Ligue des champions dans un contexte géopolitique tendu entre la Grèce et la Turquie. Mais pour les supporters des deux clubs, ce match offre surtout l’occasion de revendiquer une fraternité qui dépasse les frontières.
Certains contre-pieds sortent des limites du terrain. En pleine – et énième – dispute entre la Grèce et la Turquie sur fond de délimitation territoriale et d’appropriation d’hydrocarbures, le PAOK de Thessalonique et le Beşiktaş d’Istanbul se retrouvent pour la première fois de leur histoire en compétition officielle, mardi soir.
« Les mêmes personnes »
Dans un stade de la Toumba d’ordinaire si bruyant, mais désespérément vide pour cause de Covid-19, les deux équipes jouent sur un match leur qualification en troisième tour préliminaire de Ligue des champions. L’occasion pour les supporters des deux clubs d’envoyer un message à l’opposé de ceux distillés par leurs gouvernements respectifs. « Les tensions entre pays ne sont pas à cause des gens, mais à cause des ressources en Méditerranée et des jeux politiques », se lamente Murat. Ce trentenaire turc, dont la grand-mère était grecque et dont la famille vit à cheval sur les deux pays, a créé en 2009 un groupe Facebook en l’honneur des deux clubs « Beşiktaş Istanbul & PAOK Thessaloniki ». Rejoint aujourd’hui par plus de 10 000 personnes, il a permis le développement d’échanges entre supporters des deux clubs et la mise en place de nombreuses rencontres en Grèce et en Turquie. « Ces liens s’élèvent au-dessus des religions et des nations. Nous ne sommes ni des fanatiques orthodoxes grecs, ni des fanatiques musulmans turcs. Des deux côtés de la Méditerranée, on boit les mêmes alcools, on mange la même nourriture… On est les mêmes personnes ! », insiste Murat, qui arbore deux tatouages pour l’illustrer. Sur le bras gauche l’emblème du Beşiktaş, sur le bras droit, un « Constantinople » écrit en lettres grecques.
Antifascisme et anarchisme
Les liens qui unissent la Gate 4 du PAOK et le Çarsi du Beşiktaş s’appuient sur une vision politique de la société fait d’anarchisme et d’antifascisme, où les frontières entre pays sont considérées comme des entraves à l’émancipation des peuples et à leur rapprochement. Fondé en 1982 dans un quartier d’Istanbul traditionnellement universitaire et intellectuel, le Çarsi – dont la lettre « A », rouge et entourée, représente celle de l’anarchisme – a d’emblée véhiculé un discours et un engagement de gauche. Campagnes de solidarité et militantisme politique ont accompagné l’histoire de ce groupe de supporters parmi les plus importants de Turquie, qui n’hésite pas à s’opposer régulièrement au président Recep Tayyip Erdoğan. « Nous avons récemment fait un communiqué pour dénoncer la transformation de la basilique Sainte Sophie en mosquée par Erdoğan, un islamiste qui entretient le sentiment de l’Empire ottoman perdu », appuie Murat. À Thessalonique, la Gate 4, première association de supporters du PAOK fondée en 1976, est résolument antifasciste dans ses fondements et maintient cette orientation depuis longtemps. « Dans les années 1970, la gauche était beaucoup plus forte dans les tribunes, dans le sillage de la légende Giorgos Koudas, joueur emblématique et fils de communiste », explique Yannis Androulidakis.
Elle subit aujourd’hui les évolutions d’une société où l’extrême droite et le nationalisme semblent dopés partout en Europe. « Il faut comprendre que la Gate 4 n’est pas seulement le nom d’un groupe, c’est aussi le nom du virage qui accueille tous les ultras du PAOK. Et au sein de ce virage cohabitent plusieurs groupes de supporters aux sensibilités politiques différentes et parfois antagonistes », résume ce supporter et anarcho-syndicaliste, qui enchaîne : « Dans ce contexte, il est important de mettre en avant l’amitié entre le PAOK et le Beşiktaş. C’est un symbole très important. »
Istanbul mère-patrie
Depuis sa création en 1926, l’histoire du PAOK est indissociable de la Turquie. « La plupart des fondateurs du Club sportif panthessalonicien des Constantinopolitains sont des Grecs d’Istanbul, turcophones, arrivés à Thessalonique après la Grande Catastrophe de 1922 et les échanges de population entre les deux pays », retrace Lukas Tsiptsios, historien et spécialiste du PAOK. Pour de nombreux supporters du PAOK, Istanbul, anciennement Constantinople, représente une filiation naturelle et la nostalgie d’un Empire byzantin disparu. Les couleurs du deuil et de l’espoir, le noir et le blanc, et l’emblème de l’aigle bicéphale ramènent inlassablement le PAOK et ses supporters à la terre d’origine de ses fondateurs.
Des couleurs et un emblème que partage Beşiktaş. S’ils n’ont pas la même signification des deux côtés de la mer Égée, ils permettent une identification facile pour les supporters des deux clubs. « L’attachement du PAOK à la Turquie, la « patrie perdue », est tellement fort que le premier slogan du club s’exprime en turc : Bizim PAOK, notre PAOK », rappelle Lukas Tsiptsios. En préambule du match entre les deux clubs, le président du Beşiktaş, Ahmet Sur Çebi, a tenu à envoyer un message clair à l’adresse du PAOK : « Nous partageons les mêmes emblèmes et les mêmes couleurs. Nous sommes unis. » Un message dont pourraient s’inspirer les dirigeants des deux pays.
Par Alexandros Kottis