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Pallois, crâne de cristal
Une allure de colosse, le silence d'une armoire, l'assurance d'un repêché, Nicolas Pallois est pourtant devenu en un peu moins de trois saisons l'un des défenseurs les plus utilisés de Ligue 1. Tout simplement car il est avant tout de ceux qui ne lâchent jamais. Et, en France, c'est déjà immense. Voyage sur la face verso d'un mec qui protège sa face recto, entre les chevilles de Giuly et une entreprise de menuiserie.
Quand on lui parle de son ascension, Nicolas Pallois découpe froidement : « Je sais que le foot va très vite. Aujourd’hui, je mesure la chance que j’ai eue. Personne ne se dit un jour qu’il va vivre du foot. Je suis passé par la petite porte. » Puis, il se relève et ne change pas de l’homme qui est devenu en moins de trois saisons l’un des meilleurs défenseurs centraux de Ligue 1. Droit. « Au départ, jouer au foot, c’était pour le plaisir, pour m’amuser avec les copains. Mes qualités, on ne les a vues que plus tard. J’apprends encore et j’apprendrai toujours. On grandit chaque année, avec chaque équipe. » Casser la capsule de l’enfant d’Elbeuf n’est pas simple, regarder à son verso encore moins. L’homme semble se protéger et serait progressivement entré dans l’ère de la communication cadrée de plus en plus pilotée par les clubs français.
Son ancien entraîneur à Quevilly, Régis Brouard, éclaire alors la personnalité d’un joueur souvent réduit à un rôle de déménageur de surfaces. À tort. « Le truc, c’est qu’il ne se laisse pas emporter par les choses. Nicolas aime les choses simples. Il ne faut pas en rajouter avec lui, il faut lui parler vrai. Il aime qu’on lui parle simplement, peut-être avec des mots forts parfois, mais simplement. » Première piste : la vie. Ce que Pallois résume ainsi : « Je me suis construit en tant qu’homme et ensuite en tant que footballeur. » C’est ce que raconte aussi la courbe du défenseur des Girondins de Bordeaux, où il a débarqué à l’été 2014. Longtemps, dans sa tête, le foot n’était pas un boulot, mais simplement une passion. Alors, il faut creuser et écouter ceux qui l’ont croisé pour comprendre qui est vraiment Nicolas Pallois. Un mec qui serait avant tout « un hypersensible » derrière le squelette imposant selon Pascal Gastien, son coach pendant deux ans à Niort.
Les grosses cuisses et les casiers
L’histoire de Pallois, c’est avant tout l’histoire d’une « enfance normale » entre le foot et les potes. Un temps, il s’essaye à l’athlé, sur 400 mètres. « Finalement, j’ai toujours préféré le foot à courir sur une piste » , coupe-t-il. Puis, à la fin du collège, il faut choisir une voie. Pour lui, ce sera la menuiserie : « J’aimais beaucoup le bois, la matière, donc j’ai passé un BEP et un bac pro. Le foot, c’était en plus de la menuiserie. » Sur un terrain, Nicolas Pallois se fait remarquer, intègre le centre de formation du Stade Malherbe de Caen, mais n’est pas conservé à l’issue de la saison 2005-2006. Celui qui a alors été replacé en défense en benjamins à cause de sa grande taille a déjà appris le « plaisir de défendre » , mais doit revenir à l’US Quevilly.
« Il a toujours dit qu’il n’avait pas été conservé parce qu’il n’avait pas le niveau, replace Grégory Beaugrard, aujourd’hui au FC Rouen et ancien coéquipier de Pallois à Quevilly. Il ne prenait pas ça pour une injustice. Il ne se morfondait pas là-dessus et je ne suis même pas sûr qu’à vingt ans il pensait jouer au foot toute sa vie. » Non, à vingt ans, le défenseur partage ses journées entre son entreprise de menuiserie et l’entraînement. « Quarante-cinq heures par semaine. Je commençais très tôt, je mangeais en une demi-heure le midi et à dix-sept heures, je commençais ma deuxième journée avec le foot. C’est quelque chose qui m’a fait grandir » , explique-t-il. De ses mains sortent notamment les casiers du vestiaire de l’US Quevilly. Brouard rembobine : « Il avait un côté qui m’attirait. Certaines choses se passent avec certains joueurs, on ne peut pas toujours l’expliquer. » Les deux hommes se rencontrent à l’été 2008.
Bascule. « Au départ, je ne le connaissais pas. Et lors de ma première séance, je me dis : « Mais qu’est-ce qu’il fait là ? » Je décide d’attendre et de découvrir. Rapidement, je tombe sur un jeune rempli de talent. Il est bon défensivement, offensivement, rapide, possède un bon jeu long, un bon jeu de tête, il est agressif, toutes les caractéristiques d’un bon défenseur, dessine Régis Brouard. On a eu une discussion informelle. Là, il m’explique qu’il est bien à Quevilly, qu’il a sa famille et ses copains. Le mec tranquille, sans ambition. Je l’ai écouté, laissé faire et après plusieurs entretiens, j’ai essayé à mon niveau de lui faire comprendre que c’était un réel gâchis. » Dans le groupe, Pallois est alors décrit comme un type « simple, qui arrivait, n’hésitait pas à chambrer, faisait son job et rentrait chez lui. Il débarquait tous les jours en survêtement, se marre aujourd’hui son ancien coéquipier, Hicham Rhoufir. On le taquinait nous aussi. Le truc, c’est que c’était un mec costaud, avec de grosses cuisses, mais qui n’avait aucun cul, on ne comprenait pas ! Après, j’ai rarement vu un arrière gauche comme ça. » Sur le côté gauche de la défense, Nicolas Pallois impressionne déjà en CFA, sur des pelouses défoncées, dans des stades vides. Rhoufir : « La CFA, c’est difficile, mais on savait que ce mec-là était bon. Après, sans la Coupe de France, il serait peut-être encore à ce niveau. »
« Coach, j’ai compris »
Février 2010. Quelques semaines plus tôt, Quevilly a déjà fait parler de lui en dégageant Angers, alors en Ligue 2, dès les seizièmes de finale de la Coupe de France. Cette fois, c’est la tête du Stade rennais qui roule sur la pelouse de Robert-Diochon, à Rouen. Après la rencontre, Nicolas Pallois vient voir Régis Brouard. « Là, il me dit : « Coach, j’ai compris, j’ai pris conscience que je pouvais jouer à ce niveau. » Je suis rentré chez moi le soir en me disant : « J’espère qu’il a compris. » » Autour de lui, les lignes ont déjà bougé. « Quand on était au restaurant, on parlait souvent, mais à partir du huitième, son téléphone n’arrêtait pas de sonner. Son agent lui disait de ne pas répondre. L’OM l’appelait, tout le monde. Lui, il restait tranquille » , complète Hicham Rhoufir. Mais Nicolas Pallois a compris alors qu’il bosse depuis quelques mois au Leclerc du président.
Le parcours de l’US Quevilly ne s’arrêtera qu’en demi-finale, à Caen, face au PSG. Un match où le latéral gauche normand explose définitivement malgré l’élimination. « Dès le premier impact, il a fait comprendre à Giuly qu’il n’y aurait rien pour lui, note Rhoufir. Si le mec ne sautait pas, il n’avait plus de chevilles. » Changement de monde. Devant sa porte, Bordeaux, l’OM, mais ce sera finalement Valenciennes. Le VA de Philippe Montanier : « C’était bien pour lui de se retrouver dans une structure familiale. Il lui a fallu intégrer les conceptions de l’entraîneur, la charge de travail. Il était alors la doublure de Gaëtan Bong et devait devenir titulaire à moyen terme. Des mecs comme lui, c’est simple. Ils ont bossé avant, le foot est une forme de bonus, donc ils sont plus impliqués et mesurent la chance de faire ce métier. »
Quatorze matchs chez les pros. Régis Brouard continue de le suivre. « Le travail, le professionnalisme, c’est des choses qui lui passaient au-dessus de la tête. Je pense qu’il n’avait pas encore fait le deuil d’une certaine vie. Au départ, ça a été compliqué. » La vie d’amateur est terminée, les soirées à jouer au poker chez Beaugrard et l’insouciance aussi. Pallois est prêté un an à Laval. Nouvelle galère, entre un retard de cinq jours pour la reprise et un entraîneur, Philippe Hinschberger, qui racontait il y a quelques années dans les colonnes de L’Équipe ces « premiers matchs où il tentait des petits ponts dans la surface. On n’était pas rassurés, mais il s’est toujours accroché » . L’intéressé, lui, l’explique ainsi : « Je n’avais peut-être pas encore la tête pour comprendre. » Va alors intervenir une seconde prise de conscience.
En juin 2012, Nicolas Pallois file à Niort, un club qui lui « correspond davantage, plus tranquille, où il n’y a jamais de vent » . Il rencontre Pascal Gastien, à la barre de l’équipe première depuis 2009 : « On cherchait un mec bon dans les duels, costaud dans les un-contre-un vu qu’on avait un jeu à risque. Une fois qu’il est arrivé, il manquait de constance dans ses performances, ça manquait d’exigence. Il pouvait faire de gros matchs, mais aussi avoir de gros oublis. » Alors, en novembre 2013, Gastien va voir Pallois dans le vestiaire. « Je lui ai dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça, que c’était un bon joueur, mais qu’il n’allait plus jouer. Il se permettait certaines choses qu’un défenseur central ne pouvait même pas envisager une seconde. Je lui ai expliqué qu’il n’avait aucune chance d’atteindre le haut niveau s’il ne prenait pas conscience qu’il fallait plus d’investissement, tout simplement. »
La suite est connue. À l’issue de la saison, Nicolas Pallois place sa tête dans l’équipe type de la saison et signe à Bordeaux. Comme souvent, il ne part pas titulaire, mais devient rapidement « une bonne surprise » pour Willy Sagnol. Il y aura une première grosse saison, une seconde bousillée par les blessures et voilà la troisième où Pallois est redevenu Pallois. Un mec solide, fidèle, fiable, capable encore de coup de folie comme lorsqu’il a couché sur ippon Bernardo Silva en décembre dernier. Aujourd’hui, Jocelyn Gourvennec en a fait l’un de ses hommes de base et n’hésite plus à parler de la « maturité » du colosse. Un souvenir commun permet de situer la relation entre le coach et son défenseur. En novembre 2015, Bordeaux vient chercher un nul héroïque à Rennes (2-2), mais Nicolas Pallois termine le voyage entre une sale blessure et une grosse suspension après avoir bousculé un arbitre assistant. Puis, en octobre dernier, avant le déplacement des Girondins au Roazhon Park, Gourvennec file se balader avec Pallois. « On a parlé ensemble durant quinze minutes de ce match, expliquait l’entraîneur bordelais à l’époque en conférence de presse. C’est un mauvais souvenir pour lui, mais là, il n’a pas commis d’erreur. Il a été sérieux, efficace. » Au point d’égaliser pour les siens. Comme un symbole. Le foot va vite, mais il a encore une justice. C’est aussi ça, grandir.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB.