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Palestino, le soutien chilien
Alors que la vieille ville de Jérusalem fait face à de nouveaux heurts opposant manifestants palestiniens et forces de l’ordre israéliennes, un club de football a décidé de prendre les devants : le CD Palestino. La formation chilienne a été la première à réagir face à ces événements tragiques. Une cause pour laquelle ses dirigeants se battent depuis plus de 80 ans.
Ce dimanche 9 mai, le Club Deportivo Palestino affrontait Colo-Colo pour le compte de la septième journée du Campeonato Nacional. À la victoire sportive (1-2) est venu s’ancrer un geste symbolique encore plus fort. Les joueurs du Tino sont en effet entrés sur la pelouse du Monumental de Macul vêtus de larges keffiehs blanc et noir, emblème historique de la résistance palestinienne. À des milliers de kilomètres de là, l’Esplanade des Mosquées s’embrase. Depuis une semaine, les heurts opposant civils et forces de l’ordre ont fait plus de 200 blessés parmi les manifestants palestiniens et plus d’une dizaine parmi les policiers israéliens. De manière incessante, les jets de pierres et de projectiles divers répondent aux tirs de flashball et aux bombes lacrymogènes. En cause : un projet d’expulsion visant plusieurs familles palestiniennes dans le quartier de Cheikh Jarrah.
Une poudrière par laquelle Tor Wennesland, coordinateur au Proche-Orient pour l’ONU, se dit « fortement préoccupé ». À ces quelques réactions menées par les Nations unies s’est ainsi greffée celle du CD Palestino. Un soutien logique pour le président du club, Jorge Uauy :« Les symboles palestiniens, comme le keffieh, nous permettent de garder un lien solide avec notre mère patrie, notre terre d’origine. Nous devons nous soulever contre l’oppression. »
Loin des yeux, près du cœur
La « mère patrie » , les immigrés palestiniens l’ont quittée depuis maintenant plusieurs décennies. Fuyant le régime autoritaire mis en place par l’Empire ottoman dans la région, des milliers de personnes s’installent au Chili à la toute fin du XIXe siècle, loin de tout. Seul point commun avec cette nouvelle terre : le christianisme. Marginalisés à leur arrivée, les Palestiniens se décident à fonder leur propre équipe et à s’intégrer tant bien que mal à la vie locale. Le « Palestino Football Club » voit alors le jour en 1920, dans la capitale Santiago. Disposant d’un statut amateur et devenue « Club Deportivo Palestino » , l’institution est finalement intégrée au giron du professionnalisme par la fédération (ANFP) en 1952. Promu dans l’élite la saison suivante, le club est sacré champion en 1955 et s’installe définitivement dans le paysage du football chilien. Une identité assumée, marquée d’un maillot blanc, vert, rouge et noir pour la plus grande diaspora palestinienne en dehors du Moyen-Orient et ses 500 000 ressortissants. Le club devient l’un des porte-drapeaux de la Palestine occupée et l’instigateur de plusieurs mouvements de protestation.
En 2002, le gardien de but Leonardo Cauteruchi avait ainsi arboré un maillot sur lequel le chiffre « 1 » prenait la forme d’une carte de la Palestine dans son intégralité. Une symbolique similaire sera utilisée le 4 janvier 2014, cette fois par toute l’équipe, à l’occasion de l’ouverture de la saison face à Everton de Viña del Mar. L’affaire atteindra les plus hautes sphères. Le président de la fédération de la communauté juive du Chili, Gerardo Gorodischer, se fondra d’un communiqué cinglant : « On ne peut pas admettre une revendication politique et importer le conflit du Moyen-Orient en utilisant le sport pour mentir et provoquer la haine. » La réponse de ses homologues palestiniens le sera tout autant, dénonçant « l’hypocrisie de ceux qui blâment cette carte, mais qui parlent d’un territoire occupé, d’un territoire contesté » ainsi que « des sionistes chiliens qui envoient des jeunes en Israël pour recevoir une formation militaire ». L’ANFP exhortera alors le Palestino à retirer ces maillots.
2021 : rien ne change
Nous revoilà donc en 2021. L’équilibre est toujours aussi fragile au Proche-Orient, et le CD Palestino fait de nouveau figure de pionnier. Tunique noire sur le dos et keffieh autour du cou : les Árabes s’expriment, malgré le huis clos. Une décision prise par « les joueurs eux-mêmes, qui souhaitaient avant tout montrer que jouer pour Palestino, c’était jouer pour la Palestine », clame Jorge Uauy. Une fierté défendue sur les réseaux sociaux par le capitaine de l’équipe, Luis Jiménez : « C’est une situation invivable, que je ne souhaite à personne. Nous représentons un peuple avec son identité, qui souffre depuis 1948. Nous ne baisserons pas les yeux devant ce qui se passe à Cheikh Jarrah. » C’est donc depuis le Chili que sont arrivées ces vagues de protestations, guidant par la suite celles des footballeurs du Vieux Continent. Et ces dernières ont été nombreuses.
Islam Slimani, Alaixys Romao, Tino Kadewere, Nuri Şahin et les éminents Sadio Mané, Riyad Mahrez, Paul Pogba ou encore Alphonso Davies – pour ne citer qu’eux – ont ainsi transmis leurs messages de soutien via les réseaux sociaux. Beaucoup souligneront que la mode des réseaux sociaux et les sempiternels hashtags ne permettront jamais de mettre fin à ce terrible conflit. Soit. Mais difficile de ne pas se réjouir de voir des footballeurs utiliser leur influence pour prendre position. Il est également évident que porter un keffieh ou un maillot en hommage à la Palestine n’aidera pas à ramener le calme au sein d’une région meurtrie. Cela permet en revanche de mettre la lumière sur certaines injustices et de donner un écho plus important encore à ces revendications. Alors, en attendant que la communauté internationale sorte un tant soit peu de ses poncifs, le football prend, une fois n’est pas coutume, un peu de recul sur un sujet sensible.
Par Adel Bentaha
Propos de Jorge Uauy et Luis Jiménez tirés de Middle East Monitor.
Propos de Tor Wennesland tirés d'un communiqué de presse.