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Gaza : le rêve impossible d’un retour au foot
Après un an et demi de bombardements israéliens, la pratique du football dans la bande de Gaza est comme tout le reste : en ruine. Et si la sélection palestinienne tente tant bien que mal d’exister dans les qualifications pour le Mondial 2026, l’avenir du ballon rond reste lui en suspens.

« Quand tout cela va-t-il s’arrêter ? Quand les gens vont-ils bouger ? Nous n’avons ni les yeux bleus, ni les cheveux blonds, mais nous sommes des êtres humains. Notre péché, c’est d’être occupé par des Israéliens », tels sont les mots de Rami Abou Jamous. Dans son livre intitulé Journal de bord de Gaza, ce journaliste palestinien (mais également fixeur pour les journalistes étrangers dans la bande de Gaza) a tenu – comme son nom l’indique – une chronique des sanglants derniers mois. Depuis plus de 15 mois, les Gazaouis vivent sous les bombes et les massacres de l’État israélien, comme ce fut jadis le cas en 2006, 2009, 2012 ou plus dernièrement en 2021. Un peuple anéanti. Bilan provisoire : plus de 50 000 morts selon l’Unicef, pour près de 111 000 blessés et près de 11 000 disparus. Des chiffres qui, selon The Lancet, pourraient être sous-estimés de 40%.
Le secrétaire général adjoint du Comité olympique palestinien m’a dit qu’il va falloir au moins dix ans pour voir les compétitions sportives repartir comme avant.
Si un cessez-le-feu a été prononcé en janvier, l’armée israélienne fait sa loi et a décidé de rompre cet accord dans la nuit du 17 au 18 mars, avec des bombardements qui ont fait plus de 1 000 morts en 24 heures. Et alors que Donald Trump a évoqué un projet infâme de faire de la bande de Gaza la « nouvelle French Riviera », sur place, la situation est toujours aussi chaotique. Près de 80% des bâtiments ont été fortement endommagés ou détruits. Et parmi ces infrastructures, des terrains de football. Si à l’heure actuelle, le ballon rond n’est pas la priorité, néanmoins, les quelques milliers de Palestiniens passionnés de football n’attendent qu’une chose : retrouver les terrains et les copains, même si de nombreux ont perdu la vie. En effet, selon le Comité olympique palestinien, ce sont pas moins de 560 sportifs (dont 250 footballeurs) qui ont été tués par les attaques génocidaires de l’armée israélienne.
265 installations sportives détruites
« Je suis désolé, c’est compliqué de se connecter à Internet ces derniers temps. Internet est coupé, on s’appelle dès que j’ai un peu de connexion. » Adham Abu Samra a 25 ans et joue au football en club depuis ses 6 ans, au poste d’attaquant. Mais depuis plus d’un an, ce dernier a dû ranger au placard sa paire de crampons et son maillot. Un crève-cœur. « C’est difficile. Le football me manque, les terrains me manquent. Certes, ce n’est pas la priorité, mais on espère un jour pouvoir rejouer », introduit le joueur du Shabab Rafah SC, club de première division. Adham s’estime « chanceux », car son club, situé dans la ville de Rafah, au sud, dispose encore de ses infrastructures, pas encore détruites par l’armée israélienne. « La majorité des stades à Gaza ont été ciblés. On a de la chance, nous, on a encore notre stade », souligne-t-il. Il ajoute : « Malgré le cessez-le-feu, c’est beaucoup trop risqué de reprendre les entraînements. Israël occupe Rafah, ce n’est pas sécurisé à 100%. »
Chaque fois que l’équipe nationale joue, cela nous rappelle que nous existons, que nous avons un drapeau, une équipe et une nation qui refusent d’être effacés.
Depuis plus de quinze mois, l’armée israélienne bombarde les infrastructures vitales, comme les hôpitaux, mais également toutes celles créant du lien social, à l’instar des stades de football, dont celui de Yarmouk. Situé à Gaza City, ce stade était le plus grand de la région, mais est aujourd’hui en ruine, utilisé comme camp de déplacés. Un exemple parmi les 265 installations sportives détruites dans la bande de Gaza. « Il ne reste quasiment plus rien », précise Abubaker Abed. Journaliste sportif gazaoui, il n’a cessé de documenter les conséquences de ces massacres avec de nombreux reportages : « Tout est à reconstruire, c’est un désastre. À l’heure actuelle, c’est difficile d’imaginer comment les choses pourraient aller mieux. Le secrétaire général adjoint du Comité olympique palestinien m’a dit qu’il va falloir au moins dix ans pour voir les compétitions sportives repartir comme avant. »
Families have left Al-Dora Stadium in Deir al-Balah, the sole standing across Gaza. However, the stadium needs a lot of repair at once, so it can be reused for football again. Reporting from the heart of the stadium. pic.twitter.com/hxCAUvo3Eh
— Abubaker Abed (@AbubakerAbedW) March 12, 2025
« Le football à Gaza est au bord de la destruction », souligne Dima Saïd, porte-parole de la fédération palestinienne de football. Elle ajoute : « Depuis plus d’un an, le football est à l’arrêt, les stades sont détruits, des joueurs ont été tués et le championnat n’a pas repris depuis octobre 2023. » Dans un tel contexte, la sélection palestinienne est bien plus qu’une simple équipe de football, n’en déplaise à Emmanuel Macron. Mal en point dans les qualifications au Mondial 2026 (les Lions de Canaan sont actuellement derniers de leur groupe), la Palestine compte bien honorer son peuple face à la Jordanie dans un match crucial dans la course à la qualification. Mais outre le résultat, le plus important est « l’honneur » précise Dima Said, qui argumente : « Chaque fois que l’équipe nationale joue, cela nous rappelle que nous existons, que nous avons un drapeau, une équipe et une nation qui refusent d’être effacés. L’occupation l’a bien compris, et c’est pourquoi elle s’en prend systématiquement au football palestinien. »
Le football comme outil de résistance
Bien que les compétitions officielles soient à l’arrêt depuis plus d’un an et demi et que les stades (en grande majorité) soient détruits ou utilisés par l’armée israélienne, les footballeurs gazaouis continuent de faire vivre leur passion entre les ruines. Il n’est pas rare de voir un regroupement d’une trentaine de personnes devant un poste TV pour regarder un match, comme ce fut notamment le cas en avril 2024 lors du Clásico Barça-Real. Des tournois et des matchs sont également organisés entre les ruines, certains par la fédération palestinienne directement. « On veut montrer à l’occupant que nous sommes toujours là et qu’on ne baissera pas la tête, jamais », précise Dima Saïd. « Ces tournois permettent aux jeunes joueurs de montrer leur talent, de rêver et d’avoir une raison d’espérer. En Palestine, le football est plus qu’un simple sport ; c’est un outil de résistance », ajoute l’ancienne capitaine de la sélection féminine de Palestine.
Des tournois auxquels participe Adham Sabu Samra. « Jouer au football m’aide à garder la tête haute, à s’évader l’esprit. Lorsque je joue au football, j’arrête de penser à mes problèmes », souligne ce fan du Real Madrid et de Cristiano Ronaldo. « C’est un remède, une source de soulagement et de joie pour de nombreux Gazaouis. Malgré les bombardements et les massacres, les Gazaouis continuent à jouer au football, à regarder les matchs et à en parler. Cela prouve que Gaza est une terre de football », ajoute le journaliste Abubaker Abed.
Aucun écho à l’étranger
En mai dernier, la fédération palestinienne de football a déposé une plainte auprès de la FIFA visant à suspendre les sélections israéliennes de toute compétition. Une plainte qui n’a pas été prise en compte par l’instance mondiale du football, alors qu’Israël commet « un génocide contre la population palestinienne à Gaza », comme le souligne Amnesty International. « Il y a un deux poids deux mesures qui est indéniable, si on compare à la Russie par exemple. En refusant de sanctionner Israël, la FIFA envoie un message clair : le football palestinien et les vies palestiniennes ne valent rien », fustige Dima. Un silence qui agace également Abubaker : « Nous sommes déprimés par l’absence d’actions de la part de la FIFA, mais également le silence des clubs et des joueurs. »
En refusant de sanctionner Israël, la FIFA envoie un message clair : le football palestinien et les vies palestiniennes ne valent rien
De son côté, Adham Abu Samra préfère garder en tête les nombreux messages de soutien de certains joueurs et de supporters des quatre coins du globe : « Ça nous touche et nous donne de la force. On se sent moins seuls », s’émeut-il, lui qui rêve d’un jour pouvoir jouer la Ligue des champions. Un vœu qui paraît inatteignable aujourd’hui. « C’est difficile pour un jeune joueur de s’épanouir et de progresser lorsqu’il est menacé par des bombes tous les jours, que son championnat et les stades sont à l’abandon. Ce n’est pas possible d’avoir un football ambitieux à Gaza alors qu’Israël nous menace continuellement », explique Adham. « Pour relancer le football à Gaza, il va falloir reconstruire les infrastructures détruites, cela nécessite des investissements financiers. Et pour ça, il faut une solidarité internationale. Jusqu’à présent, le soutien a été extrêmement limité. Le monde du football, y compris la FIFA et les principales fédérations, est resté largement silencieux. Le football palestinien n’est pas seulement laissé à l’abandon, il est ignoré à un moment où l’action est la plus nécessaire », constate amèrement Dima Said. Mais comme le souligne la porte-parole de la Fédé, à Gaza plus que nulle part ailleurs, « les joueurs, les éducateurs, les formateurs et les clubs gardent espoir et ne baisseront jamais les bras. » Si le ballon a du mal à rouler dans la bande de Gaza, il n’est pas encore crevé.
L’émouvante vidéo de la sélection palestinienne pour annoncer sa listePar Tristan Pubert
Propos de Dima Said, Adham Abu Samra et Abubaker Abed recueillis par TP.