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Palermo : Je suis une légende

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Palermo : Je suis une légende

Novembre 2007, Boca – Sao Paulo, «Coupe sud–américaine», sorte d'UEFA du pauvre. Dans la queue pour rentrer au stade, histoire de tuer le temps, je demande au type qui m'accompagne pourquoi Russo (1) s'entête à faire jouer ce gros pataud de Palermo en attaque. Très mauvaise remarque. Tous les hinchas qui ont entendu ma connerie s'indignent et commencent à énumérer à toute vitesse les exploits du grand blond. Ce but contre River et cette tête en 2006, ce penalty par-ci et ce quadruplé par-là. Au milieu de cette cacophonie générale, un petit vieux intervient et, de toute sa sagesse, met un terme au débat d'un parfait «{Martin ne se discute pas}». Histoire d'une légende.

Le pibe de La Plata

Il était une fois un petit enfant né en 1973 à La Plata qui entama sa carrière footballistique au poste auquel semblaient le destiner son gabarit et sa technique balle au pied. Gardien de but. En réalité, le petit Martin, c’était un peu le vilain gaucher toujours choisi en dernier quand on tirait les équipes à “Pain – Fromage” (2), le bouche-trou quoi. Pire, dans la cour d’école, on le faisait rentrer en jeu pour que le petit Schelotto s’amuse un peu avec lui, un petit pont par-ci un passement de jambe par-là. Non, Palermo n’a jamais été la petite perle de l’équipe, le grand espoir, encore moins le nouveau Maradona. Lui, c’était plutôt le lent, le type à la technique proche de celle de Djibril Cissé avec la jambe cassée, le pas doué. Mais Palermo s’en foutait et continuait inlassablement de se battre et d’enquiller machinalement les buts dans les stades de quartier de La Plata puis dans les divisions inférieures d’Estudiantes. De la tête, du gauche, du tibia.

Bon, faut pas déconner non plus, avec un CV pareil, Martin commence sa carrière pro au poste que lui avait réattribué le destin. Coupeur de citrons, porteur d’eau. Même si lors d’une froide soirée d’hiver 1992, il débute en équipe première à 18 ans sous les couleurs du “Lobo” Estudiantes, jusqu’à fin 1995, il s’emploie avant tout à cirer le banc. Il faut dire qu’un type qui arrive à peine à enchaîner dix jongles à l’entraînement, ça fait pas vraiment rêver. Et quand il rentre sur le terrain, ce n’est pas folichon non plus. Contrôles foirés, tirs dans les nuages, triste époque. Les hinchas sifflent, crachent, insultent. Putain, des « concha de su madre » (3), il a dû en entendre le brave Martin. Un soir où il est particulièrement pathétique, son coach de l’époque, Osvaldo Zubeldia, en vient même à le changer de côté pour lui épargner les injures des petits vieux de la platea : « Vingt ans que je regarde des matchs de foot, jamais vu ça » .

Au cours du marché estival, quand Estudiantes présente ses bêtes de foire sur la grande place du village, Palermo se retrouve donc en plein milieu de l’estrade. San Martín de Tucuman craque pour le grand costaud et “El Tren” (4) s’entraîne même quelques jours avec le club. Le truc, c’est qu’à Tucuman, ils n’ont pas une tune. Même pas les 20 000 petits pesos quasi symboliques que demande Estudiantes. En Argentine, il se dit, il se chuchote, que le Lobo n’a pas été loin d’accepter un échange Palermo – Jeu de chasubles + ballons…Quoi qu’il en soit, le troc ne se fait pas, Martin retourne couper les citrons. Difficile début de carrière…

La naissance d’ « El Loco »

Et puis arrive le “prof Cordoba”, le premier mentor, le sauveur qui « l’incorpore a sa croisade biblique » (5). Génial mais sacrément dérangé ce Daniel Cordoba. Quand on l’interroge sur le futur de Palermo à Boca, il répond, très sérieusement : « Si son nouveau club sait extraire de son esprit et de son corps la même chose qu’a su en extraire Daniel Cordoba, il triomphera, sans aucun doute » . Le pire étant que Cordoba se plante rarement.

En effet, sous la houlette du “prof”, Martin explose. En 96, il plante 11 buts, dont un doublé contre River, et finit second meilleur buteur du championnat. “Le train”, “la bête”, c’est du passé. Désormais, appelez le “El Loco”. Pour le match de la Super Copa contre Colo-Colo, il étrenne sa légendaire et affreuse coupe blond platiné. Dennis Rodman du football argentin, il se déguise en drag queen, baisse son short devant les supporters en furie du Gimnasia La Plata lors du clasico 97. Pas de mariage avec Carmen Electra, mais une liaison avec la sulfureuse actrice argentine Marixa Balli. Mais, attention, Palermo n’en oublie pas pour autant ce qu’il sait le mieux faire au monde : enfiler les buts. De la tête, du gauche, du tibia.

« Boca, mi buen amigo »

Lors du mercato d’été 1997, le nouveau phénomène médiatique est convoité par Racing et Boca. Macri, alors président de Boca, met 4 millions de dollars sur le tapis pour attirer le grand blond à la Casa Amarilla, où, depuis le départ de Batigol en 1991, se succèdent « sans peine et sans gloire » les attaquants. Sanguin, increvable, empreint de cette douce folie, de cette “alegria” que revendiquent les supporters xeneizes, Palermo a le profil idéal pour réussir à Boca. Car, au fond, pour lui aussi, la vie est un carnaval.

En dépit des buts, de la gloire, du succès médiatique, Martin est resté, au fond de lui, un grand enfant. Justement, en débarquant à Boca, il retrouve le grand ennemi des cours de récré de La Plata. Le type en question c’est Guillermo Schelotto, ex star du Gimnasia La Plata et désormais idole de la Bombonera. Peu importe, Palermo n’est pas prêt à oublier si facilement des années de tirages de cheveux, de gnons et de rivalité en équipes de jeunes. Alors Martin boude. Pas question de serrer la main à celui avec qui il doit former la doublette d’attaquants stars, encore moins de lui adresser la parole. Les deux se détestent ouvertement, grosse ambiance dans le vestiaire.

Jusqu’au jour où le Bambino Veira décide de mettre un terme à ces enfantillages et envoie les deux gosses dans la même chambre lors d’un déplacement. Silence pesant, à peine couvert par le bruit de fond du poste de télévision. Pour briser la glace, “El Loco” lance un petit commentaire sur Fierita, le reporter un peu fou d’America TV. Avec son tact légendaire, Schelotto répond : « Quel couillon celui-là avec ses cheveux teints » . Faut imaginer ce qui peut alors se passer dans le cerveau de Palermo. Des trucs très glauques sans doute. Heureusement, ce brave Guillermo se rend compte de sa bourde et s’épargne sans doute la vie : « Enfin, teints en vert, je voulais dire » . Petit rire de Martin, début d’une grande amitié, d’une complicité sur et en dehors du terrain. Balle aux pieds, les deux se trouvent les yeux fermés, permettant à Palermo de trouver les filets à 20 reprises en 19 rencontres lors du championnat d’ouverture 98. Hors football, Martin devient le parrain du gamin de Schelotto, asados en famille le week-end.

Bref, malgré une petite période d’acclimatation, Boca – Palermo, c’est un mariage qui roule. En novembre 98, “El Loco” offre quasiment le titre aux Xeneizes grâce à son doublé face à Central, qu’il célèbre très modestement en hurlant au public rosarino « Je suis le meilleur, je suis le meilleur » , tandis que l’exposition médiatique de Boca lui ouvre les portes de la sélection.

Une liaison pimentée, à la hauteur de la folie du personnage et du club. Fin 1999, face à Colon, Martin marque son centième but en primera mais, sur l’action, se rompt les ligaments croisés. Six mois de rééducation, six mois de rupture pour le couple.

Pour son retour, Martin se la joue grand seigneur, tapis de roses, champagne, et nuit d’amour. On est le 24 mai 2000, Boca affronte River en quart de finale de la Libertadores. Après avoir perdu le match aller 2–1 au Monumental, la Bombonera s’apprête à vivre une grande soirée de coupe.

Alors que Palermo n’a toujours pas refoulé les pelouses depuis sa blessure, le magicien Bianchi annonce qu’il l’inscrira sur la feuille de match. L’entraîneur de River ironise et menace, lui, de faire entrer Francescoli, retraité depuis un bout de temps. A un quart d’heure de la fin, quand l’arbitre assistant soulève le panneau lumineux indiquant la rentrée de Palermo, la Bombonera gronde de plaisir et d’émotion.

Avant de sombrer dans une transe indescriptible quand, quelques minutes plus tard, “El Loco” reçoit une passe de Battaglia dans la surface, contrôle, se retourne et, sous les yeux d’un certain Mario Yepes, fusille le gardien. « Ce fut le but qui sera crié et célébré jusqu’à la fin des temps » (6). Martin était de retour.

Pourtant, quand on interroge le personnage sur le but le plus important de sa carrière, il ne choisit pas cette humiliation infligée à River, mais plutôt le doublé qu’il plante face au Real Madrid quelques mois plus tard au cours d’un match grandiose. Riquelme fait passer à Makélélé l’une des pires soirées de sa vie, Roberto Carlos plante un extérieur incroyable mais au final, c’est Palermo qui offre la victoire à Boca, qui s’installe de fait sur le toit du monde en remportant la Coupe Intercontinentale. Dès lors, Martin n’est plus simplement l’étrange attaquant à la coupe de cheveux atroce et à l’allure discutable. Son nom franchit l’Atlantique et se murmure particulièrement du côté de la Lazio et de l’Angleterre.

A suivre…

Par Pierre Boisson

1 – Alors coach de Boca.

2 – Allez savoir pourquoi, en Argentine, notre légendaire « chou fleur » des matchs en bas de l’immeuble a pris l’appellation « Pan y Queso » . Pour plus de détails sur les subtilités technico-tactiques de l’art en question, procurez vous le livre de Pablo Ramos, “L’origine de la tristesse”, récemment traduit en français. Succulent.

3 – Littéralement « la chatte de sa mère » , certainement l’insulte la plus usée par les supporters argentins.

4 – Son physique de camionneur donnera naissance à d’autres surnoms aussi mignons que “la bête” ou “le Titan”.

5 – Mistica, 7 juin 1997.

6 – El Grafico, Mars 2008.

Vidéo de Boca – Real :

Brest, capitale des Côtes d’Amour

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