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Pako Ayestarán : « J’ai un concept qui s’appelle WRAP »

Par Matthieu Rostac
8 minutes
Pako Ayestarán :  « J’ai un concept qui s’appelle WRAP »

Ancien assistant de Rafael Benítez, Pako Ayestarán fait désormais les beaux jours du Maccabi Tel Aviv, actuel second de Ligat Ha'al, à deux points du leader. Le Basque parle métier, entre possession de balle, John Wooden, citations de cinéma et ce fameux WRAP.

Lorsque vous avez signé au Maccabi Tel Aviv, vous avez dit ne pas avoir été étonné par ce que vous y avez trouvé. Pourquoi ?

Parce que j’ai retrouvé ici les mêmes conditions que celles que j’avais à Valence, par exemple. C’est pas forcément le même niveau qu’en Europe mais les structures sont très bonnes, ils respectent très bien les procédures et le club met toutes les chances de son côté pour être compétitif. Surtout, ici, ils ont la passion. Et selon moi, le plus important, ce sont les ressources humaines à disposition plutôt que les ressources matérielles. Parfois, tu n’as pas besoin de plus pour construire quelque chose.

La technologie, c’est pas votre truc ?

Non non non non, c’est pas ça. Quand il s’agit d’analyser nos adversaires, je m’en remets aussi aux statistiques. Je crois à la technologie et à l’analyse des données. C’est juste que l’humain est plus important à mes yeux.

Vous êtes le troisième coach ibérique d’affilée au Maccabi Tel Aviv. Vous savez d’où vient cette tendance au club ?

Le propriétaire du club, qui vit au Canada (Mitchelle Goldhar, ndlr), a décidé qu’il voulait amorcer de grands changements au sein du club, notamment le rendre plus « européen » . C’est pour ça qu’il a nommé Jordi Cruijff en directeur sportif. Et comme Cruijff est connu en Espagne du fait de son passage au FC Barcelone, c’est plus facile pour convaincre des coachs espagnols de venir. Nous, les Espagnols, on adore le football bien maîtrisé, bien fait. Et on voulait être le premier club israélien à passer ce cap. Ils avaient entendu parler de moi après mon passage aux Tecos UAG, au Mexique, et ils se sont dit que la philosophie que j’appliquais pouvait également s’appliquer au Maccabi Tel Aviv.

D’ailleurs, le Mexique, c’était comment ?

C’était une expérience incroyable. J’y suis allé parce que l’ancien directeur sportif de Pachuca avait fait ses études à Liverpool et à l’époque, on se côtoyait pas mal, il aimait la façon dont s’entraînait les joueurs de Liverpool. Par la suite, il a essayé de me faire venir plusieurs fois au Mexique sans succès et j’ai fini par signer aux Tecos UAG en 2013. Je suis arrivé en plein milieu du tournoi d’ouverture, le club était bien bas dans le classement. Quand je suis reparti, à la fin du tournoi de clôture, on était dans les premiers. On s’est qualifiés pour les play-offs, on a remporté le tournoi. Du coup, je me suis dit que j’avais pris la bonne décision. Et la passion des Mexicains est incroyable… Tous les pays sont fans de foot, globalement. Mais honnêtement, au Mexique, c’est encore plus fort. J’aime ressentir ça. Le football, c’est fait pour les supporters avant tout. Il ne faut pas l’oublier. Il y a deux semaines, on a joué devant 45 000 personnes et l’atmosphère était géniale. C’est ça que je recherche dans le football.

Quel est le niveau de la Ligat Ha’al ?

C’est drôle, j’ai eu la même question de la part de Marca il y a quelque temps. Disons qu’une équipe de seconde division espagnole pourrait tout à fait s’installer confortablement en Ligat Ha’al. Et je dis ça alors que les neuf ou dix équipes de seconde partie de tableau en Liga peuvent toute descendre d’une année à l’autre. Et d’un autre côté, le Maccabi Tel Aviv pourrait s’installer durablement en Liga. Le Maccabi est la meilleure équipe du pays et quelques autres peuvent contester cette suprématie. Et le football est très tourné vers l’offensive, ici. En jouant beaucoup sur les ailes avec des arrières latéraux qui montent énormément. Mais parfois, avec des petits soucis de timing. Nous, on essaie de construire un football de possession et de domination avec un bloc très haut, qui joue depuis la ligne médiane dès qu’il le peut. On essaie d’être proactifs sur le terrain, en fait.

Y a-t-il un système de jeu que vous affectionnez plus particulièrement ?

Selon moi, la forme ou le système de jeu adopté par une équipe n’est pas si important que ça. Tu peux jouer différents footballs avec un même système de jeu comme tu peux jouer le même football dans différents systèmes de jeu. Cette année, je joue majoritairement en 4-3-3 et j’ai testé trois ou quatre fois un 4-2-3-1. Mais au Mexique, il m’est arrivé de jouer 3-2-2-3, en 5-3-2. Quand je suis arrivé là-bas, je tenais absolument à jouer en 4-2-3-1 parce que je croyais que mes ailiers adoraient prendre les espaces. Après quelques semaines, je me suis rendu compte que le jeu rapide que je voulais déployer n’était pas possible parce que, notamment, mes ailiers n’étaient jamais dans le bon timing. Ou parfois n’étaient pas des ailiers de métier. Il faut juste savoir jongler avec ton effectif, quelles sont tes meilleurs options. Bon, dans l’absolu, je préfère le 4-3-3. Mais ça dépend surtout des joueurs que tu as à disposition et surtout, du jeu que tu déploies.
John Wooden est un modèle. Pep Guardiola en est un autre.

Dans une interview, vous avez déclaré que votre philosophie de football reposait sur un concept important : le professionnalisme. Pourquoi ?

Parce que c’est la partie la plus importante dans le football. J’ai un concept qui s’appelle WRAP : work, respect, ambition and professionalism. Tu n’as pas ces quatre points, tu n’as rien. Sans le travail, tu n’obtiens rien. Sans l’ambition, tu ne peux pas repousser tes limites et devenir meilleur. Sans le respect, tu oublies que tu fais partie d’une équipe. Sans le professionnalisme – faire attention à toi, t’écouter, donner le meilleur à l’entraînement à chaque fois – tu ne peux pas mettre tout ça en pratique. Pour moi, c’est non négociable.

Dans ce cas-là, est-ce que vous appréciez des joueurs tels que Riquelme ou Pastore ? Des mecs capables du meilleur mais qui ne s’insèrent pas forcément dans votre méthode ?

Bien sûr ! Je pense surtout que ce genre de joueurs, n’importe quel coach dans le monde les aime. John Wooden, un des plus grands coachs de basket-ball universitaire, notamment avec UCLA, disait à ses joueurs : « Je vous aime tous mais je dois vous traiter chacun différemment. » Il en savait long sur la façon de diriger des hommes, comment exiger quelque chose de quelqu’un. Ceux qui ont la créativité travaillent peut-être un peu moins que les autres mais c’est comme ça, parfois.

Vous vous inspirez souvent d’entraîneurs hors football ?

Vous savez, je puise mes inspirations de tellement de choses… Bien sûr, je construis ma propre méthode mais parfois, c’est bien de prendre par-ci par-là. John Wooden est un modèle. Pep Guardiola en est un autre. Forcément, quand on voit ce qu’il a accompli. D’accord, il avait de très bons joueurs mais ces joueurs n’auront jamais été aussi bons que sous ses ordres. Je m’inspire aussi du handball pour sa continuité dans le fait d’attaquer. Tu te dois d’être sans cesse agressif pour briser la ligne de défense et sans cesse attaquer pour ne pas perdre la possession de la balle. Comme le faisait Rivera avec le FC Barcelona Handbol.

Vous étiez fitness coach sous les ordres de Benítez…

(il coupe). Non, j’étais assistant. Pour tout vous dire, j’ai arrêté le football jeune et j’ai commencé comme entraîneur au SD Beasain. J’avais même fait monter le club de la Tercera Division à la Segunda Division B. Par la suite, je me suis dit que je devrais peut-être faire autre chose parce que je ne voulais pas rester en Segunda Division B. J’ai fini mes études de coach et ensuite, je suis devenu l’assistant de Rafael Benítez. J’étais en charge des plannings, de la supervision des terrains. Le fitness, c’est un complément dans le football, mais ça n’est jamais le but ultime. C’est un outil pour jouer à un rythme plus soutenu et ça s’arrête là.

Quelle est la chose la plus importante que vous ayez appris de Rafa Benítez ?

On demande souvent quel est le grand truc de tel ou tel coach. Sauf qu’un coach peut vous apprendre plein de petites choses. Et Rafa m’a appris beaucoup de choses, hein… Je pense que la façon de veiller au mieux sur tes joueurs a été importante. Sans oublier ce besoin irrépressible de tout connaître en matière de jeu. Là-dessus, il apprenait de tout le monde. Même de moi, parfois !

Dans une interview, vous avez dit qu’il était impossible de jouer avec le même onze tout le temps, que le turnover était important. Que pensez-vous d’un entraîneur comme Bielsa, par exemple, qui a souvent un onze plus ou moins définitif ?

Bielsa est comme ça. Mourinho également. Ils n’utilisent pas trop la profondeur de banc mais il faut aussi se demander quelle équipe ils ont à disposition. Par exemple, je considère qu’il faut changer tes centraux après plusieurs semaines, il faut les faire souffler pour les garder à un certain niveau. Même chose pour les remplaçants : si tu veux qu’ils gardent un bon rythme, tu dois les faire jouer. Et puis, c’est assez injuste de se contenter de seulement onze, douze ou treize joueurs. Dans chaque équipe, tu dois pouvoir avoir seize ou dix-sept joueurs capables d’évoluer comme titulaire. Vous avez vu le film Whiplash ?

Non…

Je vous le recommande, c’est un excellent film. Dans le film, le professeur dit à son élève qui veut devenir le meilleur batteur de jazz : « Le prochain Charlie Parker n’abandonnerait pas ! » J’ai un joueur qui bosse dur à l’entraînement pour revenir dans le groupe après une blessure. Il en crève d’envie. Du coup, je lui ai dit : « Tu devrais voir ce film, Whiplash, ça pourrait t’aider ! » Au final, je lui en ai tellement parlé qu’il a décidé d’organiser une séance de groupe pour toute l’équipe. Bien sûr, je vais y retourner avec eux. Ce film donne tellement d’inspiration.

Vous allez souvent au cinéma ?

Ah oui, j’adore ça ! Je vous recommande également Pride. Un film qui se passe à l’époque du Thatcherisme, de la grève des mineurs en Angleterre. Un film magnifique sur l’entraide dont l’homme peut faire preuve parfois. À dire vrai, je me dirige vers le cinéma, là. Je vais à la séance de 19h. Je vais voir Mr. Turner.

Donc vous n’êtes pas le type d’entraîneur qui est branché foot 24h/24 et 7j/7 ?

Je dirais que je suis probablement branché 22h/24 et 7j/7. Le reste du temps, je vais au cinéma ! (rires)
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