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Pakistan, le néant a duré trois ans

Par Adrien Candau
5 minutes
Pakistan, le néant a duré trois ans

Paralysé depuis 2015 par une lutte institutionnelle, banni en octobre 2017 par la FIFA, pour qui la Fédération nationale de football subissait les ingérences du pouvoir en place, le foot pakistanais a finalement réintégré le giron de la Fédération internationale. Mais reste profondément marqué par trois ans de chaos interne, qui ont achevé de plomber un championnat local et une sélection condamnés à faire du surplace.

Tout a donc pu vraiment redémarrer le 4 septembre dernier. L’équipe senior du Pakistan entamait alors le championnat d’Asie du Sud face au Népal et l’emportait 2-1. Un succès inespéré : voilà trois longues années que la sélection n’avait pas disputé le moindre match. La faute à une Fédération nationale de football embourbée dans une interminable lutte de pouvoir. Une baston interne remportée par un homme, Faisal Saleh Hayat, président de l’instance depuis 2003 et qui a enquillé un quatrième mandat de rang à la tête de l’institution. Drôle de victoire, alors que le foot pakistanais, lui, a plus que jamais la peur du vide.

Guéguerre politique

À l’origine du mal, une simple élection pour la présidence de la Fédération (PFF). En 2015, Faisal Saleh Hayat, vieille figure de la scène politique pakistanaise, décide de rempiler pour garder la main sur une institution qu’il pilote depuis 2003. Problème : son bras droit, Zahir Ali Shah, décide de lui damer le pion en se présentant contre lui. Une faction dissidente, qui aurait été soutenue par divers membres de la Ligue musulmane pakistanaise, le parti alors au pouvoir, peut être désireux de raffermir son contrôle sur une Fédération où Hayat pèserait un peu trop à son goût. « On peut supposer que le gouvernement voulait avoir plus d’influence au sein du PFF, avance Ali Ahsan, journaliste, co-rédacteur en chef du site FootballPakistan.com et auteur d’une rétrospective sur l’histoire du football pakistanais pour le quotidien national Dawn. Deux camps se sont formés et Hayat a organisé et remporté des élections aux résultats contestés. Tout ça s’est fini devant la Haute Cour de Lahore, qui a nommé un administrateur pour superviser les affaires de football dans le pays. »

Trois ans d’irréflexion

Une décision qui n’est pas du tout du goût de la FIFA, qui ne tolère aucune ingérence gouvernementale dans la gestion des fédérations qui lui sont affiliées. La Fédération internationale donne alors deux ans au PFF pour se remettre la tête à l’endroit. Deux années où rien ne se passe ou presque : les deux factions restent campées sur leurs positions et le championnat local, la Pakistan Premier League, est suspendu, faute de Fédération fonctionnelle pour organiser les matchs et planifier l’ensemble. La sélection nationale ne peut, elle, disputer aucun match officiel. En parallèle, la FIFA reste étonnement passive. « Habituellement, la FIFA nomme un comité de normalisation pour ré-organiser des élections ou trouver une voie de médiation, peste Ali Ahsan.Ils l’ont fait au Ghana et en Thaïlande récemment. Mais pas au Pakistan… Après, Hayat s’est construit un solide réseau au sein de la Confédération asiatique de football (AFC), ils ont peut-être pu fermer les yeux sur les potentielles irrégularités qui ont pu entourer son élection. »

Hasard ou pas, l’AFC validait en effet la victoire d’Hayat en juillet 2015. En octobre 2017, la FIFA décidait de faire bouger les lignes, en bannissant le Pakistan de ses rangs. Dans l’impasse totale, le PFF ré-institue alors en mars dernier Saleh Hayat, le Pakistan réintègre la FIFA et tout ce beau monde se décide à passer l’éponge, histoire de se donner la possibilité de repartir de l’avant. Pas évident, alors que ce vide du pouvoir de trois ans a sérieusement affecté le football pakistanais. « On a perdu trois précieuses années, reprend Ali Ahsan. La sélection a chuté à la 199e place au classement FIFA… Pour les clubs, ce n’est pas mieux… Au Pakistan, les équipes appartiennent à des départements publics (le champion en titre, le Karachi Electric FC est par exemple propriété du fournisseur public d’électricité du pays, N.D.L.R.), avec de nombreuses sections sportives. S’il n’y a pas de championnat, il n’y a pas de raisons d’allouer de budget aux clubs de football… » Et si la première division pakistanaise a enfin repris fin septembre, le mal est fait : « Beaucoup de joueurs sont partis évoluer dans d’autres championnats en Asie. Surtout, le PFF n’a toujours pas de vision à long terme pour le football… Je veux dire, on parle quand même d’une Ligue qui a débuté en 2004 dans son format actuel, mais dont les droits de diffusion TV sont inexistants…. »

L’Inde, le contre-exemple

Un contraste saisissant avec le voisin indien et son Indian Super League, pourtant beaucoup plus jeune, dont la création remonte seulement à 2013. Un dernier né dont les équipes sont propriétés d’investisseurs fortunés ou d’entreprises privées et qui a su attirer un joli lot de vedettes en fin de carrière depuis sa création. « Ils ont fait leur transition économique pose Ahsan. Maintenant, le football est géré comme un business là-bas. Le Pakistan se limite lui grosso modo à toucher les financements de la FIFA. » Une absence de progression, voire une régression, qui n’attrape pas l’attention médiatique, toujours beaucoup plus focalisée sur le cricket. « Le cricket est de loin le sport numéro un, mais c’est aussi parce qu’il a le soutien des élites du pays… Mais le football reste un sport populaire au sein de la classe ouvrière pakistanaise, nuance Ali Ahsan. Je pense à certains endroits comme Lyari, un quartier de Karachi, où l’on dénombre plus de cent clubs de foot recensés et qu’on surnomme le mini Brésil. »

L’élection mi-août dernier au poste de Premier ministre du Pakistan d’Imran Khan, une ancienne star du cricket, ne devrait cependant pas rebattre les cartes : « Il devrait naturellement plus se concentrer sur le cricket. » En attendant, le football pakistanais devra donc continuer de composer avec Faisal Saleh Hayat. Et tant pis si ça ne lui a pas franchement réussi ces quinze dernières années.

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Par Adrien Candau

Propos de Ali Ahsan recueillis par AC

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