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Pablo Contreras : « Bielsa nous intimidait »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
Pablo Contreras : « Bielsa nous intimidait »

Au cours de sa longue carrière, Pablo Contreras a connu de nombreux coachs. De Claude Puel à Leonardo Jardim, en passant par Michel ou László Bölöni. Mais celui qui l’a le plus marqué c’est indubitablement Marcelo Bielsa, qui l’a dirigé trois ans durant à la tête de la sélection Chilienne.

Tu as eu une longue carrière et de nombreux coachs, lesquels t’ont le plus marqué ?Gustavo Benítez m’a lancé et m’a donné la chance de débuter à 17 ans à Colo-Colo. Nelson Acosta qui me convoque en sélection à même pas 20 ans.

Au niveau tactique, Marcelo m’a appris tellement de choses. Je suis éternellement reconnaissant d’avoir pu travailler avec lui.

En France, avec Claude Puel on travaillait très bien, Claude m’a installé en tant que latéral droit, alors que j’avais l’habitude de jouer stoppeur. Et évidemment Marcelo Bielsa que j’ai eu la chance de connaître quand j’avais 32, 33 ans. J’étais déjà un joueur expérimenté. Je ne pensais pas avoir la chance d’être entraîné par Marcelo, mais mes coéquipiers qui l’avaient eu en sélection argentine m’en parlaient beaucoup. Marcelo Gallardo que j’ai connu à Monaco disait que c’était un type intense, ensuite Berizzo, Gustavo Lopez, Caballero au Celta de Vigo me parlaient tous toujours de lui. Je me suis dit que si c’était aussi bien qu’ils le disaient, il fallait que je m’imprègne de ses conseils. Et effectivement, au niveau tactique, Marcelo m’a appris tellement de choses. Je suis éternellement reconnaissant d’avoir pu travailler avec lui.

Qu’a changé Marcelo Bielsa quand il est arrivé ?Quand Marcelo arrive, théoriquement il doit continuer à faire confiance aux types de ma génération, mais il change tout, il convoque des joueurs qui n’ont jamais joué en première division comme Mauricio Isla. Généralement, au Chili, les joueurs non européens appelés en sélection viennent uniquement de la U de Chile, Colo-Colo et la Catolica, lui il appelle des mecs de la U de Concepcion, de Santiago Wanderers, de O’Higgins. Et surtout, il lance la meilleure génération de l’histoire du Chili.

Et Bielsa avait conscience d’avoir affaire à une génération d’exception ?Je crois, oui. Il était dur avec Alexis, Arturo, les plus doués. Il aimait énormément Matías Fernández, c’était son chouchou. On dit que les parents exigent toujours plus de leur fils préféré, c’était pareil pour Marcelo avec Matias. C’est avec lui qu’il était le plus critique, le plus exigeant.

C’est comment de travailler avec Marcelo Bielsa ?

Tout ce qu’il faisait était réfléchi, il y avait des idées derrière, on faisait des exercices de détente avec un élastique à 2m10 du sol ; mais c’était pour faire travailler le centreur qui devait mettre le ballon au niveau exact de l’élastique.

Marcelo est complet, le travail était très schématique, mécanisé, des exercices de passes entre les lignes tel jour, un 6 contre 2 pour faire travailler les défenseurs centraux et les attaquants un autre. Tout ce qu’il faisait était réfléchi, il y avait des idées derrière, on faisait des exercices de détente avec un élastique à 2m10 du sol ; mais c’était pour faire travailler le centreur qui devait mettre le ballon au niveau exact de l’élastique. Il alliait toujours le travail technique, tactique et physique. Marcelo disait toujours qu’il n’avait rien inventé, qu’il n’y avait rien à inventer dans le football, que tout ce qu’il nous faisait faire il l’avait vu en match. Et il donnait des noms aux mouvements. La « Jarita/Orellana » par exemple, c’était quand Jara envoyait un ballon aérien pour Fabian qui démarrait à ce moment-là dans le dos du défenseur. On répliquait des choses vues en match et analysées à la vidéo et on les connaissait pas cœur. Par exemple, s’il nous disait : on va faire la « Arruabarrena/Riquelme » , on savait ce que c’était.

L’analyse vidéo était très poussée, non ? Les sessions vidéo étaient folles, on analysait nos matchs précédents. Les 90 minutes par tranche de 15 minutes chaque jour. Les 15 minutes duraient une heure, une heure et demie. Il interagissait, posait des questions : « Qui n’est pas arrivé à temps au second poteau ? » , « Vous estimez que vous avez bien fait ? » Et il était toujours très pointilleux. Un jour, on fait une session vidéo, et il nous dit : « Très bien messieurs, belle élaboration, super enchaînements » , et puis il s’arrête sur un centre qui file au second poteau et personne pour le reprendre. Il dit : « Ici, il manque quelque chose. » Nous, on se dit : « Merde, il nous manque quoi ? » et là, il dit : « Mais bordel, où est Rodrigo Tello, il n’apparaît pas sur l’écran ? » Et on ne pouvait pas rire, le type était sérieux. Si tu riais, il arrêtait la vidéo et mettait fin à la séance, il l’avait déjà fait. Extrêmement rigoureux.

Rigoureux à quel point ? Marcelo était toujours assis devant face à l’écran et nous derrière lui. Je ne sais pas s’il avait des yeux bioniques, mais un jour, un de nous, Pedro Morales, étend ses jambes sur la chaise devant lui et se met à l’aise. Marcelo se retourne et lui dit : « Vous vous asseyez comme ça à la maison, quand vous dînez avec votre femme ? Alors pourquoi le faites-vous ici ? » Il nous vouvoyait en permanence. Dans le domaine sportif, ultra-rigoureux aussi. On s’entraînait avec le profe Bonini en déconnant, et Marcelo arrivait ensuite. Bonini nous disait : « Marcelo vient d’arriver, j’espère que vous êtes prêts. » Marcelo demandait à Bonini : « Profe, ils sont prêts ? » , Bonini répondait : « Oui Marcelo. » Et si le travail n’était pas bien fait, Marcelo s’énervait avec le second entraîneur : « Mais vous m’aviez dit que l’exercice était déjà compris, on fait comment ? » Il s’en allait et il revenait dix minutes plus tard.

Il y a aussi cette anecdote avec Gary Medel…Oui ! C’était l’époque où Gary était exubérant dans sa manière d’être. Marcelo lui dit : « Gary, j’ai l’impression que vous avez pris 3 kilos. » Gary répond : « Non coach, je suis nickel. » Marcelo lui dit : « Montez sur la balance, Gary. » Et Gary avait pris 3 kilos exactement. Incroyable.

Marcelo Bielsa vous impressionnait ?Marcelo nous intimidait, avec ses mots, ses gestes. Vraiment. Je te jure qu’il nous faisait peur, qu’il nous impressionnait, même moi qui étais déjà « vieux » . Souvent on disait au profe Bonini : « Profe, on est fatigués » , parce que c’était si intense qu’on avait les adducteurs en feu, les ischios qui tiraient. Et Bonini nous dit : « Ok, je le dis à Marcelo. » Marcelo vient nous voir : « Le profe m’a signalé que vous étiez fatigués. » Il se tourne vers Gonzalo Jara et lui demande : « Gonzalo, vous êtes fatigué ? » Jara lui répond que ça va. Il me demande : « Pablo vous êtes fatigué ? » J’étais le plus vieux, j’étais cramé, et je réponds : « Non Marcelo, je suis impeccable. » Plus personne n’était fatigué ! Bonini vient nous voir et nous dit : « Vous êtes vraiment des poules mouillées, bande de salopards, quand le type est en face de vous, vous flippez. »

Tu as eu l’occasion de faire une séance vidéo individuelle avec lui ? En 2008, on joue en Équateur, mon compagnon de chambre Ismael Fuentes est expulsé, j’entre à sa place, on perd 1-0, mais je fais un super match. Le match suivant était contre l’Argentine à domicile. On jouait à 21h, on s’entraîne le matin très dur. On s’entraînait toujours le jour du match avec Marcelo ; et il m’avait dit que j’allais être titulaire et qu’il allait m’appeler pour qu’on fasse une session vidéo ensemble. On s’entraîne le matin, on déjeune et on va faire une sieste l’après-midi. De 14 heures à 19 heures, on n’avait rien de prévu.

Il me dit : « J’aimerais que nous voyions des vidéos de vos matchs. » Il me met un laser dans les mains, met la vidéo et me dit : « Dites-moi où vous êtes Pablo. » Je pensais qu’il me faisait une blague.

À 16 heures, on toque à ma porte, j’étais en pleine sieste, hyper nerveux de jouer contre l’Argentine, qu’on n’avait jamais battue en match officiel. C’était un assistant de Bielsa, il me dit : « Marcelo veut te voir. » Je me dis : « Putain, qu’est-ce que j’ai fait, je ne vais pas jouer ? » Je vais dans la chambre de Marcelo, j’avais la trouille, les yeux encore gonflés par le sommeil. Il me dit : « J’aimerais que nous voyions des vidéos de vos matchs. » Il me met un laser dans les mains, met la vidéo et me dit : « Dites-moi où vous êtes Pablo. » Je pensais qu’il me faisait une blague, on voit un match du PAOK où je jouais à l’époque et je suis mon image avec le laser comme un idiot, je lui dis : « Je suis là Marcelo. » Il me montre une image et me dit : « Sur cette action, il vous semble que vous avez pris la bonne décision Pablo ? » Je ne savais pas quoi dire, je lui dis : « Marcelo, je crois que je me suis trompé, je suis intervenu trop tôt » , et il me dit : « Non, c’était parfait. » Il me montre une autre action, où je tacle et je gagne mon duel. Il me demande : « Et là Pablo ? » Je lui réponds que j’ai bien défendu, que j’ai taclé au bon moment. Il me dit : « Oui, mais vous n’avez pas pris la bonne décision, il se passe quoi si vous ratez votre tacle ? L’adversaire sera seul face au but. » Il disait toujours le contraire de la réponse que j’attendais.

Et du coup, le match contre l’Argentine ?Le match le plus grandiose de l’histoire du football chilien. Alfio Basile a dit après le match qu’il avait l’impression qu’il y avait 14 Chiliens contre 11 Argentins. Parce qu’on n’a pas dominé par phases, ça a été 93 minutes de football parfait et de domination totale.

Et concernant les relations avec les joueurs en dehors du football, comment était Marcelo Bielsa ?Marcelo avait très peu de relations avec nous, juste l’entraînement et le jour du match. Et le jour du match, il n’y avait aucune discussion tactique, on avait déjà tout vu auparavant, juste un petit discours de motivation. Mais en dehors du football non, cela nous arrivait de faire des asados, mais Marcelo ne parlait pas, il mangeait et il lisait ; il ne disait rien. Il lisait des livres, des journaux ou des magazines, sur le foot, mais pas uniquement. On était tous là, et lui mangeait en lisant seul.

Il se détendait de temps en temps ?Marcelo faisait des blagues très occasionnellement. Mais comme il était toujours sérieux, on ne savait pas s’il fallait rire. Un jour en Slovaquie, Marcelo commence à parler, fait une blague et il se met à rire comme un dément, comme s’il y avait 20 clowns face à nous ! Il rit, et nous, on se regarde et on se demande si on doit rire. Au bout d’un moment, il dit : « Carajo, pour une fois que je fais une blague, personne ne rit, on va s’entraîner. »

Quelles sont les limites de Marcelo Bielsa ?

C’est un entraîneur de sélection plus que de clubs. Parce qu’au quotidien, cette intensité est quasi impossible à tenir sur plusieurs années.

Marcelo est un type très intense, les entraînements ne sont pas très longs, 45, 50 minutes, rarement plus, mais c’est d’une exigence folle. Je pense que c’est un entraîneur de sélection plus que de clubs. Parce qu’au quotidien, cette intensité est quasi impossible à tenir sur plusieurs années, c’est le cas de Sampaoli aussi. Leur méthode de travail exige un renouveau constant, soit ils changent de clubs, soit les joueurs changent, mais ils ne peuvent pas entraîner sur des cycles longs.

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Propos recueillis par Arthur Jeanne

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