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Oxmo Puccino : « Aujourd’hui, le foot, ce n’est que de l’argent »
La quarantaine approchant, le Black Popeye prépare la sortie de son dernier opus Roi sans carrosse. En attendant, il regarde le monde du ballon rond évoluer. Pour, lui, pas de doute, dans le foot, l'amour est mort.
Dans quel état d’esprit tu te situes au moment de la sortie de ton nouvel album Roi sans carrosse ?
Heureux, serein, tranquille, cool, fatigué, affamé. D’habitude, une sortie d’album, c’est une grosse pression, mais là, c’est un relâchement parce que celle-ci s’inscrit dans une continuité que je suis arrivé à maintenir au fur et à mesure de mes disques. Plus j’avance, plus je m’appuie sur des grands musiciens, ce qui me permet d’avoir une approche différente.
Pourquoi ce nom, Roi sans carrosse ?
Parce que le plus important n’est pas dans l’apparat, parce que n’est pas roi qui veut, n’est pas forcément roi celui que vous croyez. Parce qu’il y a cette chanson, Zé do Caroço de Seu Jorge, que j’écoutais avec Vincent Cassel, Kim Chapiron et Pierre Grillet, qui est une chanson qui cristallise beaucoup de choses pour moi. Parce que je voulais l’emprunt des sonorités de cette chanson dans le titre. Parce que cet album a été écrit au Brésil entouré d’amis très proches.
Ce n’est pas plus personnel que ça ?
Ça l’est un peu aussi. C’est vrai que je n’ai pas de voiture, ça ne m’intéresse pas, donc roi qui s’en fout, roi de lui-même, roi qui a le temps, roi qui n’a pas besoin de cour.
Quel est ton rapport au football ?
Il est médiatique, sociologique, c’est un sujet d’études me concernant. Je l’ai pratiqué longtemps, au club du coin, dans le stade Jules Ladoumègue porte de Pantin, et je me suis rendu compte grâce à ce sport collectif que j’étais fait pour les sports individuels. J’ai tout de suite eu un problème politique avec le football, les favoritismes, les fils de coach, ceux dont les pères voulaient qu’ils fassent carrière, les goûters collectifs le dimanche… je ne me retrouvais pas individuellement là-dedans. C’est un travail d’équipe, en tant que libero, je devais être aussi responsable du défenseur droit, ça m’a gavé, et j’ai arrêté à 15 ans. Je suis un fou de PES et j’adore vraiment le football. Mais tel qu’il est aujourd’hui, c’est vraiment compliqué, ce n’est que de l’argent.
En tant que parisien, tu supportes le PSG ?
Non, pas plus que ça, je n’ai pas un regard de supporter, je n’arrive pas à allier l’entité PSG et les joueurs qui sont là après négociations, et qui n’ont pas d’affection particulière pour les Parisiens. Je n’arrive pas à créer le récit pour être un supporter de cette équipe. Il y a pourtant des mecs passionnés qui créent une énergie autour d’un symbole dont les acteurs principaux sont complètement décontextualisés, je n’y arrive pas. L’identification s’y prêtait quand les joueurs restaient longtemps dans un club de région, et qu’il existait un rapport fort. Je suis quelqu’un qui écrit des chansons, je ne vais pas changer de crémerie du jour au lendemain. C’est compliqué d’y voir une cohérence. Le PSG actuel, c’est quoi ? Une location temporaire, rien d’autre. On parle plus du salaire des joueurs que du jeu. Partout où il y a autant d’argent, c’est compliqué. Mais l’argent, il ne faut pas le reprocher aux joueurs, il faut le reprocher aux gens qui le mettent. Si un footballeur est payé à un tel prix, c’est qu’il le mérite. Il ne s’est pas construit du jour au lendemain. Je connais la difficulté des centres de formation.
T’aurais pu côtoyer les centres de formation ?
Non, j’ai toujours eu ce problème avec la discipline. J’observe de très près la carrière de mon frère Mamoutou Diarra (joueur international de basket ndlr). Elle est faite de beaucoup de solitude. On est loin de sa famille et la politique entre tout le temps en jeu. Les logiques d’une carrière dépassent de loin le cadre du sport. Hélas, on ne passe pas une carrière à être jugé sur son shoot. Dans notre famille, on a un rapport particulier avec les institutions comme l’équipe de France, et on est très fiers de son parcours, de ses sélections. Il a toujours fait son boulot, mais ça ne suffit pas toujours, il faut être bon ailleurs.
Tu as posé ta voix sur une pub qui retraçait le parcours de Mamadou Sakho…
J’ai posé ma voix sur un pub pour Mamadou Sakho, parce qu’il m’était familier de par son apparence, de par ses codes. D’une manière ou d’une autre, je me sentais proche de lui, même si je ne le connais pas personnellement. Il dégageait suffisamment de choses pour que je me reconnaisse dans ce qu’il fait.
Tu penses quoi de cette équipe de France, qui n’est jugée pas tant sur ce qu’elle produit sur le terrain mais pour ce qu’elle est censée représenter ?
Cette équipe de France, on l’a méritée. C’est bien fait pour nous, il fallait mieux les supporter. Lorsqu’un match est perdu, tous les problèmes sociaux sont abordés, c’est le signe d’un manque de discernement et d’un pays qui ne va pas très bien. En ne les soutenant pas tout le temps, on œuvre contre elle. J’accepte seulement d’écouter quelqu’un qui soutient celui qui le représente quoi qu’il en soit. Là, c’est du supportariat à géométrie variable, ça n’a pas de sens. S’il y avait plus de recul par rapport à une équipe de sportifs, il y aurait évidemment de meilleurs résultats, et des joueurs plus cohérents. On oublie que ce sont juste des sportifs, pas des politiciens, ni des gens de médias. Nasri qui insulte un mec de L’Équipe, c’est juste un type qui en a marre qu’on le juge, voir là-dedans les problèmes des banlieues et soulever des questions identitaires, c’est n’importe quoi. La France a un problème d’acceptation avec elle-même. Je l’ai ressenti au plus fort lors de la Coupe du monde 98, lorsque j’étais proche de Stéphane Meunier qui a tourné Les yeux dans les bleus. Notre équipe était lapidée, c’était dur, il fallait se mettre à la place de ces mecs qui étaient donnés perdants chez eux avant même les phases de poules, sans parler de l’entraîneur qui était humilié alors qu’il avait été choisi pour une mission. On se souvient de la progression de l’équipe, et on se rend compte que l’entraîneur tient, ils font bloc tous ensemble, les victoires arrivent et on assiste alors à un retournement de veste national. Ça aurait dû servir de leçon. On a oublié tout ce qu’on avait dit un mois plus tôt. Personnellement, je suis un gros supporter des Bleus quoi qu’il advienne. Je vais porter le maillot, je sais que ça va faire parler, mais tous ces questionnements sont destructeurs. S’ils étaient soutenus quoi qu’il en soit, ils entreraient sur le terrain avec un autre rapport au monde extérieur.
Tu n’es donc pas du genre à responsabiliser le joueur ?
Il faut aussi se mettre à la place de quelqu’un qui gagne autant d’argent à 19 ans. Est-ce qu’il comprend quelque chose à ce qu’il gagne ? Non, rien du tout. Une fois qu’il a mangé, qu’il s’est habillé, à un âge de passer le bac, qu’est-ce qu’il peut en faire ? C’est aussi des jeunes qui ont quitté leurs familles pendants plusieurs années et qui sont souvent très seuls. Je l’ai observé avec mon petit frère, il y a plein de mecs tordus qui te tournent autour, des parents qui voulaient juste des enfants qui s’en sortent dans la vie et qui sont aussi complètement perdus, avec ces possibilités qui dépassent tout le monde. Des parents ne savent même pas ce que c’est qu’un avocat. C’est un jeu tronqué.
T’es un supporter de l’équipe du Mali ?
Là encore, j’ai du mal. C’est une équipe avec beaucoup de joueurs qui viennent de France, de l’étranger. Il faut être fidèle à quelque chose de profond, pas quelque chose de superficiel. Drogba à Chelsea, c’était fort, le mythe était plausible, comme Cantona à Manchester. Quand un mec ne joue pas de la même façon avec son club dans lequel il joue toute l’année et son pays d’origine, ça se sent. J’ai besoin de quelque chose qui transcende.
T’as des potes dans le monde du foot ?
Encore une fois, c’est dur, c’est comme avoir des amis dans le monde de la musique… Quand un ami traverse une période de succès, je prends de la distance, car les rapports deviennent complexes, il y a trop d’intermédiaires, et la personne ne se trouve pas dans un état d’ouverture. Une amitié dans le foot, ça aurait été récupéré médiatiquement. J’étais en contact avec Anelka à une époque. Il a concentré dans sa personne tout ce qu’on a reproché à l’équipe de France et subi toutes les projections des médias, de la haine au désir refoulé de ce que doit être un footballeur.
Propos recueillis par Antoine Mestres