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Ousmane d’emblée
Il n’a même pas 20 matchs de Ligue 1 dans les jambes et est à peine majeur ? Tant pis. Le Rennais Ousmane Dembele doit disputer l’Euro 2016. Car la France de demain et d’après-demain, c’est lui et personne d’autre.
Dans un monde idéal, il n’y aurait même pas de débat. Ousmane Dembele serait déjà en train de plier son linge et préparer le reste de sa valise pour l’Euro. Mais à une époque où les discussions autour de la machine à café relèvent plus de la confrontation d’avis arrêtés que du vrai dialogue et où une argumentation doit pouvoir se tenir en 140 caractères et pas un de plus, le cas Dembele divise. D’un côté, il y a ceux qui appellent à la prudence, traumatisés par les carrières hasardeuses des « futurs Zidane » , ces joueurs sur qui on projetait plus d’espoir qu’on ne décelait de génie. Ceux-là sont convaincus qu’au regard de la densité aux postes offensifs, mieux vaut gaspiller de la salive pour les clivants dossiers Benzema, Ribéry, Payet, Gignac ou Ben Arfa, et laisser à Dembele le temps de gagner en maturité. Sauf qu’ils oublient qu’on gagne plus en maturité en jouant un Euro dans son pays à 19 ans (il les aura le 15 mai prochain, ndlr) qu’en passant son été sur une plage de Bandol à faire des châteaux de sable. Ce ne sont pas des anti-Dembele, simplement des gens qui considèrent qu’à 18 ou 19 ans, on n’est pas vraiment un homme et qu’on ne le devient qu’à coups de matchs de Ligue des champions, oubliant au passage l’effet de surprise que pourrait apporter un joueur dont l’Europe connaît au mieux le nom, mais pas encore les dribbles briseurs de hanches. Et puis de l’autre côté, donc, il y a ceux qui s’emballent à raison. Si la loi autorise encore le débordement d’enthousiasme et l’utilisation de superlatifs, alors il ne faut pas se gêner. Oui, Ousmane Dembele est l’homme qui peut rendre la France compétitive, créative et récréative.
Et s’il était en sous-régime ?
Sa famille, son agent et son club ont autant le droit de protéger leur poulain que les spectateurs et les médias ont le devoir d’écarquiller les yeux et hurler leur amour à chacune de ses fulgurances. Car le brûlant début de carrière de Dembele ne doit pas être banalisé. Pour tout dire, l’Ébroïcien ne donne pas l’impression d’être euphorique. Qui peut d’ailleurs assurer qu’il n’est pas carrément en sous-régime ? Pour l’heure, on se contente des faits, des impressions. Et chaque prise de balle, plus soyeuse que la précédente, garantit qu’il n’y a aucune limite. Les statistiques disent déjà de belles choses quant à la précocité de cet affamé du dribble, et à propos de qui « avoir les deux pieds » est une expression qui signifie enfin quelque chose – lui-même se définit comme « un gaucher qui tire mieux du droit » . Au-delà des chiffres (18 matchs : 9 buts, 4 passes décisives) et de l’élégance, il y a cette capacité à briller dans le money time jamais négligeable dans une compétition comme une phase finale d’Euro et qui a déjà été entraperçue cette saison. D’abord à Lille, où aucun de ses coéquipiers trentenaires n’a eu le cran de tirer le penalty égalisateur (1-1, 89e, pied droit, 24e journée), puis à Toulouse, où c’est avec l’intérieur de son pied gauche qu’il a égalisé, puis offert le but de la victoire à Grosicki (1-1 90e et 1-2 92e, 27e journée).
Gignac, Savidan et Thil
Tout ça, c’était avant le triplé inscrit en une mi-temps face à Nantes (4-1, 28e journée), une démonstration de force qui a permis au Haut-Normand de prouver qu’il pouvait autant être un poète qu’un bûcheron. Alors oui, ce n’étaient « que » Lille, Toulouse et Nantes. Mais marquer au moins trois buts aux Canaris dans le même match n’est pas donné à tout le monde. Ces dix dernières années, il y a aussi eu le Lorientais Gignac en août 2006 (3-1), le Valenciennois Steve Savidan en février 2007 (2-5, quadruplé), puis le Boulonnais Grégory Thil en L2 en novembre 2007 (4-0). Cela s’appelle marcher sur les traces des géants.
Par Matthieu Pécot