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Ousmane Dembélé, l’anti-cyborg
À une époque où les nouvelles stars du foot sont comparées à des cyborgs, la renaissance d'Ousmane Dembélé, plus humain que robot, fait un bien fou.
L’entrée dans une nouvelle décennie s’accompagne souvent d’une flopée de petites appréhensions. Dans la vie comme dans le foot s’impose la crainte d’une nostalgie, celle qui signifie que c’était mieux avant. Il y a la peur, aussi, des évolutions et des révolutions qui actent le passage d’une époque à une autre. Dans le monde du ballon rond, on a compris que cette décennie sera celle des cyborgs. Après les extra-terrestres Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, il faut laisser la place aux nouvelles stars, mi-humaines, mi-androïdes, que sont Erling Haaland et Kylian Mbappé. Il est même de bon ton de les opposer, les mettre en concurrence afin de créer une rivalité de toutes pièces et d’entretenir une superficialité devenue insupportable. Loin et près de tout ça à la fois, il y a un joueur comme Ousmane Dembélé, aussi talentueux qu’imparfait, pour nous rappeler que tout n’est pas mécanique et robotique dans le foot d’aujourd’hui. Alors, merci pour ça.
Vive les imperfections !
Ce lundi soir, au bout d’un Barça-Valladolid serré, Ousmane Dembélé est celui qui a offert un succès capital aux Catalans dans la course au titre, à cinq jours du Clásico à Madrid. 90e minute : l’attaquant de 23 ans profite d’une déviation de Bruno pour surgir au deuxième poteau, claquer une volée de la cheville gauche, et débloquer le compteur dans cette partie. Un grand sourire et un câlin de Messi plus tard, l’ancien Rennais a eu droit à des vagues d’amour sur les réseaux sociaux, où les marques d’affection ont récemment chassé les vieilles moqueries de l’époque. À Barcelone, l’international français a aussi regagné les cœurs.
Ceux de la presse catalane, dithyrambique au moment de parler du « héros » de la veille, mais aussi ceux de son entraîneur et des coéquipiers. Le principal intéressé expliquait cet hiver à quel point Lionel Messi avait pu l’aider à comprendre certaines choses, il peut maintenant se féliciter d’être un élément essentiel du Barça dans l’esprit de Ronald Koeman. « Vous êtes surpris par sa performance ? Pas moi. Quand les blessures le laissent tranquille et qu’il va bien physiquement, il nous donne beaucoup, s’est réjoui le technicien néerlandais après le pion salvateur de son protégé. La clé de cette saison, ça a été sa régularité au travail. Si ça ne tient qu’à moi, j’aimerais qu’il reste avec nous. »
Des vannes sur ses retards
En fin de contrat en 2022, il aura peut-être le luxe d’avoir l’embarras du choix, entre prolonger l’aventure au Barça, le club de ses rêves, ou filer vers une nouvelle destination. Ousmane Dembélé n’a pas le curriculum vitæ atypique de Jérôme Hergault ou le parcours cabossé de nombreux joueurs, mais dans cette autre dimension dans laquelle il est entré en rejoignant le Barça en 2017, il détonne. Le champion du monde a des failles, comme n’importe qui, et cela ne devrait jamais être une honte. Sur cette planète foot où les jeunes pépites n’ont plus le temps de fauter, d’apprendre, de mûrir, d’évoluer, Dembélé est la preuve que ne pas leur parler d’âge est une erreur. Tout est allé vite, très vite, pour le gamin d’Évreux, entre son éclosion à Rennes en 2016 et sa signature au Barça l’année suivante.
Il y aura eu des vannes sur ses retards, des critiques sur son hygiène de vie, et surtout une énorme frustration de voir un talent de cette trempe passer à côté de son histoire catalane. Puis il y a cette renaissance (dix buts, quatre passes décisives, et une place de titulaire au Barça cette saison) qui fait plaisir. Celle d’un jeune adulte qui a grandi et changé des petites choses dans son quotidien de sportif de haut niveau. Celle d’un gars aussi rafraîchissant sur le terrain qu’en dehors, tout simplement parce qu’il n’est pas dans le calcul permanent. Ses sorties médiatiques, souvent drolatiques, sont presque toutes cultes et doivent être chéries dans ce monde aseptisé. « C’est comme un Anelka, nous confiait récemment son ancien éducateur Romaric Bultel. C’est un garçon difficile à cerner, qui ne se met pas dans les rails, mais il faut apprendre à l’apprécier. » Au milieu des machines de guerre froides et cyniques, Ousmane Dembélé est plus proche de l’humain que du robot. Et bordel, ça fait du bien.
Par Clément Gavard