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Ousmane Dembélé, effacer le souvenir de l’été
Le phénomène du moment en Ligue 1 se nomme Ousmane Dembélé, et c’est le Stade rennais qui en profite. Le grand espoir, auteur d’un triplé dimanche dans le derby face à Nantes, a pourtant bien failli ne jamais évoluer avec son club formateur. À l’issue d’un été 2015 très agité, il n’a signé un premier contrat pro qu’en octobre dernier, enchaînant depuis les performances. Retour sur cet imbroglio estival.
Les supporters rennais possèdent dans leur effectif l’enfant chéri revenu au bercail (Gourcuff), la pépite du football colombien (Quintero), un ailier frisson international (Ntep). Ils n’ont pourtant d’yeux, actuellement, que pour un jeune inconnu au bataillon il y a encore quelques mois : Ousmane Dembélé. Le gamin agite la footosphère, et voilà qu’on lui annonce même un avenir proche en sélection et dans un top club du type Barcelone. Les raisons ? Une fluidité impressionnante sur le terrain doublée d’une maturité rare pour un joueur qui fêtera ses 19 ans en mai prochain. Joueur à la conduite de balle folle, Dembélé est déjà très sûr de ses choix sur un terrain et hyper décisif offensivement : 9 buts en L1, 3 passes décisives, 1 but tous les 134 minutes alors qu’il n’est pas attaquant de pointe.
Des statistiques qui font aujourd’hui de lui le meilleur joueur dans sa catégorie d’âge, tous championnats confondus. Désormais titulaire indiscutable, Dembélé s’est révélé très vite indispensable, avec une ascension folle : première apparition en pro le 6 novembre avec 4 minutes de jeu à Angers, première titularisation lors du match suivant face à Bordeaux et premier but dans la foulée… Tout va très vite pour lui au Stade rennais, un club qui a pourtant été tout proche de le laisser filer pour à peine plus de 2 millions d’euros l’été dernier. Rembobinage obligatoire.
Contrat stagiaire pro, puis CFA2
Né dans l’Eure, Ousmane Dembélé est repéré en 2010 alors qu’il évolue au Évreux FC.
Pas mal de club pros le veulent, mais c’est le Stade rennais qui l’attire et Yannick Menu, coach chez les jeunes à la Piverdière, qui l’accueille. « Il avait 13 ans, j’ai été son entraîneur pendant quatre saisons, jusqu’en U17. On a une histoire en commun, profonde et respectueuse. » Dans le milieu du football, Yannick Menu est sans doute celui qui connaît le mieux le nouveau phénomène. « Sportivement, il a toujours été au-dessus, chaque saison surclassé d’une classe d’âge, régulier dans sa formation, jamais blessé, car très fort pour anticiper le danger et s’épargner les coups. La progression a été linéaire. S’agissant de l’extrasportif, ça n’a pas été si simple, il a fallu batailler pour qu’il ait des repères éducatifs. »
En mars 2014, le Franco-Mauritanien signe un contrat stagiaire pro « avec un an d’avance par rapport à d’habitude » . Puis la saison suivante, il intègre la réserve qui évolue en CFA2. Là aussi, il s’y impose vite, dès l’automne 2014. C’est là que l’ascension jusqu’ici très linéaire se trouve freinée. Yannick Menu, alors promu directeur adjoint en charge de la direction du centre de formation, raconte : « Avec les éducateurs et les entraîneurs du centre, on avait tous jugé qu’à ce moment, il lui fallait passer à l’étage au-dessus, que ce qu’on lui offrait en réserve ne répondait plus à ses besoins sportifs. Il lui fallait autre chose. J’ai donc sollicité Philippe Montanier. » Mais ce dernier ne va pas entendre les recommandations de son collègue. « J’ai insisté pourtant, tous les jours, pendant trois mois. » Avec chaque fois le même refus, toujours, et une seule justification : trop frêle.
Le RB Salzbourg en embuscade
Il faut dire qu’à l’époque, Montanier est revenu de son idée de base de faire appel aux espoirs du centre de formation pour consolider son groupe pro, déçu par Axel Ngando (le joyau de la génération 1993), Zana Allée et Adrien Hunou (1994) ou encore Wesley Saïd (1995).
Dans ce contexte, le très jeune Ousmane Dembélé se voit refuser l’accès à l’équipe première malgré le soutien du centre. Une fracture entre les deux structures – le pro et la formation – qui ne se résorbera pas jusqu’au départ de Laurent Huard, l’entraîneur de la réserve, parti depuis au PSG, et de Yannick Menu, remercié au début de l’été 2015. « Il y a eu un problème d’évaluation, estime ce dernier au sujet de Dembélé. On ne peut pas rejeter un joueur comme Ousmane en le jugeant trop frêle, alors que la plupart des meilleurs joueurs actuels sont de son gabarit. À partir de là, il y a eu une perte de confiance entre l’entourage du joueur et le club. »
D’autant qu’après une belle deuxième partie de saison 2014/2015 du joueur avec la B du Stade rennais, Philippe Montanier se voit offrir une prolongation de contrat jusqu’en 2019… La relation déjà crispée entre le club et la pépite pas encore majeure devient franchement problématique. À la reprise de l’entraînement pour préparer la nouvelle saison, Dembélé est pourtant intégré à l’effectif pro, mais il est toujours stagiaire et refuse désormais de signer son premier contrat pro avec son club formateur. Dès juin, les rumeurs de départ vers l’étranger commencent à arriver. La plus sérieuse concerne le Red Bull Salzbourg, spécialiste en débauchage de jeunes talents de l’Hexagone via l’opportuniste Gérard Houllier, directeur mondial de la branche football auprès de la marque autrichienne (Sadio Mané, Dayot Upamecano).
En juillet, Ousmane Dembélé brille par son absence à l’occasion d’un stage de présaison en Allemagne. À la même période, le président René Ruello s’emporte dans les colonnes de 20 Minutes : « Je ne vois pas en quoi le Stade rennais peut avoir à se reprocher quelque chose sur le cas Dembélé. On parle dans la presse de manque de respect, de considération, et d’une formation non adaptée, qui ne sera plus à l’ordre du jour à Rennes. Tout ça, c’est de l’enfumage de première classe (sic). Il y a une histoire de gros sous derrière, avec des gens qui ont simplement envie de se faire un peu de pognon. Ils feraient mieux de le dire franchement, on comprendrait tout de suite. Il faut quand même arrêter de nous prendre pour des cons ! »
Mikaël Silvestre en médiateur
Avec cette histoire, le joueur passe alors pour un gamin capricieux à l’entourage néfaste, une réputation qu’il traîne encore aujourd’hui et qui fait qu’un de ses proches, sollicité n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet ( « C’est de l’histoire ancienne, un épisode qu’on aurait tous aimé éviter et qu’on aurait pu éviter, ce qui compte aujourd’hui avec Ousmane, c’est de parler du présent » ). S’il n’est pas néfaste, l’entourage pourrait en tout cas plaider la maladresse dans la gestion de ce gamin très vite starifié et qui possédait un site officiel à son nom, au ton plus comique qu’impressionnant. Extrait : « Ousmane est un joueur technique, rapide et très à l’aise en un contre un. Pas étonnant que son joueur préféré soit Neymar du club de Barcelone… même s’il entend mener son propre parcours. » Ou encore : « Retrouver toute l’actualité, les vidéos, les photos, les interviews et plonger au cœur du quotidien du footballeur professionnel Ousmane Dembélé à travers ses applications iPhone, Android, iPad et Responsive HTML » (fautes incluses).
Pour un joueur qui n’était pas encore pro à l’époque, déjà s’appuyer sur un tel support de communication a de quoi amuser. Ou agacer, c’est selon… Yannick Menu arrive encore à la rescousse pour balayer l’impression laissée à l’issue de cet été agité : « On a dit beaucoup trop de mauvaises choses sur Ousmane et c’est insupportable parce que ce n’est pas vrai. Si ses agents étaient tordus et sa maman vénale, vous croyez qu’il serait encore à Rennes ? » Il est bien resté finalement, malgré de réguliers appels du pied de Salzbourg, mais aussi du Benfica. Avec un médiateur au rôle décisif : Mikaël Silvestre, revenu dans son club formateur en tant que chargé de mission auprès du président Ruello.
Grâce à lui, les deux parties ont pu reprendre la discussion et elle a fini par aboutir avec la signature le 1er octobre dernier d’un premier contrat pro de trois ans. La suite, c’est donc la première apparition de Dembélé en équipe première un mois plus tard, les titularisations qui s’enchaînent, les buts, le triplé de dimanche dernier, sous les ordres d’un nouvel entraîneur, Rolland Courbis. Un coach admiratif qui a commenté l’autre jour, après le derby, l’ascension exponentielle de son champion par un « Il a réussi un exploit : grâce à lui, on ne parle même plus de Yoann Gourcuff » . Vrai, ni de Ntep, blessé, et de Quintero, relégué sur le banc.
Par Régis Delanoë, à Rennes