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Ousmane Coulibaly : « Sans James Rodríguez, je ne serais peut-être plus en vie »

Propos recueillis par Anna Carreau
11 minutes
Ousmane Coulibaly : « Sans James Rodríguez, je ne serais peut-être plus en vie »

Le 8 janvier, Ousmane Coulibaly s'effondrait en plein match face à Al Rayyan au Qatar. Deux mois après son arrêt cardiaque, le latéral droit passé par le Stade brestois et aujourd'hui à Al Wakrah revient sur son black-out, le geste salvateur de James Rodríguez, la comparaison avec Christian Eriksen, mais aussi son envie de revenir sur les terrains et l'importance de l'apprentissage des premiers secours.

Comment ça va aujourd’hui ?Ça va très bien. Mon accident a eu lieu il y a deux mois, j’ai bien repris et je me sens bien physiquement et mentalement. Ma famille est venue me voir cette semaine, et ça m’a donné de la force. Je suis resté au Qatar pour me soigner, parce qu’ici, on est bien entouré. Je suis suivi par Aspetar, qui est un grand centre de rééducation réputé dans le monde. Des médecins anglais et américains se sont occupés de mon cas, ça m’a rassuré.

Mes coéquipiers m’ont raconté que j’étais KO, que je leur avais dit que je me sentais fatigué, que j’avais mal à la tête… Mais moi, je ne me souviens plus de rien.

Tu en es où dans ton processus de guérison ?Ça a accéléré il y a une semaine. Il ne fallait vraiment rien faire pendant deux mois, je ne faisais que me reposer et prendre des médicaments. La semaine passée, j’ai fait un test d’efforts, qui s’est très bien passé. Récemment, j’ai fait un gros examen, une sorte d’opération. Ils ont rentré quelque chose dans mon artère qui est monté jusqu’au cœur pour faire travailler le cœur : les battements, comment il tient, s’il est solide… C’était un très gros test pour savoir si je devais avoir un pacemaker. Tout s’est bien passé, et je ne vais peut-être pas en avoir besoin. Je vais pouvoir commencer la rééducation cardiaque prochainement.

Tu te souviens du moment où ton cœur a lâché ? Je ne me souviens de rien… Un jour avant le match, et un jour après, je n’ai plus aucun souvenir. J’ai dû aller à la pêche aux infos auprès de mes coéquipiers pour savoir comment j’étais avant le match. Ils m’ont raconté que j’étais KO, que je leur avais dit que je me sentais fatigué, que j’avais mal à la tête… Mais moi, je ne me souviens plus de rien. Ça m’arrive souvent d’avoir mal au crâne avant les matchs, peut-être que c’est à cause du stress, mais là j’avais des suées. Avant les matchs, je prends souvent de l’aspirine et on m’a dit que, ça aussi, ça a pu me sauver.

C’est un James Rodríguez, ton adversaire du jour, qui est venu te porter secours…J’ai vu les images ensuite, et elles m’ont vraiment marqué. C’est grâce à ça que j’ai compris ce qui s’était passé. James a fait le premier geste, un réflexe qui a pu me sauver d’après les médecins, et me permettre de n’avoir aucune séquelle. Dans la seconde où je suis tombé, il a couru et dégagé la trachée pour que je puisse respirer le temps que les médecins arrivent, une quinzaine de secondes après. Ce qui m’a vraiment sauvé, c’est qu’ils ont eu les bons gestes au bon moment. Moi-même ayant déjà fait la formation de secouriste, si j’avais été confronté à cette situation, peut-être que j’aurais mis la personne sur le côté… Lui a vraiment eu le bon réflexe pour que mon cerveau continue d’être oxygéné. Mon cœur ne s’est pas arrêté de fonctionner, il palpitait, mais il ne servait à rien. Il n’envoyait pas d’oxygène, de sang, il pompait pour rien. Au moment où ils ont branché le défibrillateur, la machine a mis un coup de jus, et directement mon cœur a redémarré. J’ai eu de la chance. Quand j’ai quitté le terrain, j’étais déjà réanimé, mais j’étais shooté parce qu’il m’avait donné des médicaments. Avant d’aller dans l’ambulance, j’étais déjà revenu à moi. J’étais sauvé.

Tu as gardé une sensation ou un truc particulier de ce moment où tu étais entre la vie et la mort ?J’ai eu un trou noir. Les jours suivant mon réveil, j’ai eu des sortes de cauchemars du moment où ils ont mis le coup d’électricité pour me réveiller, mais c’est tout. Je n’ai pas eu de traumatismes. On m’avait dit que ça pouvait venir ensuite, mais pour l’instant rien du tout.

Les jours suivants mon réveil, j’ai eu des sortes de cauchemars du moment où ils ont mis le coup d’électricité pour me réveiller, mais c’est tout. Je n’ai pas eu de traumatismes.

Tu as été immédiatement transporté à l’hôpital et on a très vite eu des nouvelles rassurantes par le club. Toi, comment tu as vécu tout ça ?Le jour même, j’étais sous morphine, donc j’avais tout oublié. C’est le lendemain lorsque ma femme m’a rendu mon téléphone – parce que c’est elle qui a donné des nouvelles rassurantes via Instagram – que j’ai compris. J’ai eu des millions de messages partout… Ma femme était dans un état de choc aussi. C’était vague lors des deux jours suivants. J’ai même répondu à des gens par messages, mais je ne m’en souvenais même plus. Une semaine après, je regardais mon téléphone et je me disais : « Ah ouais, je lui ai répondu ! » (Rires.)

Tu as deux enfants. Comment leur as-tu expliqué tout ça ?Je ne leur ai pas vraiment dit. Je leur ai seulement dit que j’étais positif à la Covid (qu’il avait effectivement contractée, NDLR) et que c’était pour ça que je devais rester à l’hôpital. Je ne voulais pas les choquer. Je leur disais en visio : « Bientôt je vais être négatif et je vais pouvoir rentrer. » Je suis resté un peu plus d’un mois à l’hôpital, et c’était compliqué parce que les dix premiers jours, j’étais en quarantaine et je ne pouvais voir personne. Après ça, ma femme pouvait venir me voir, mais pas mes enfants. J’étais même pas branché ni quoi que ce soit. Ils surveillaient simplement mon rythme cardiaque, l’oxygène, ils me faisaient des prises de sang, etc.

Tu avais eu des alertes auparavant, dans ta carrière ?Aucune, zéro alerte. Ma famille n’a pas d’antécédents. On est vraiment très contrôlés en tant que footballeur professionnel, on fait les tests chaque année… C’est la première fois que je tombe malade comme ça avant un match et, arrivé à l’hôpital, ils m’ont fait un test PCR qui était positif. Donc ça a dû sûrement jouer, même si je suis vacciné. J’ai joué positif, peut-être que je l’étais déjà la veille, je ne sais pas. On m’a dit que ça n’avait aucun lien avec mon arrêt cardiaque. Ça aurait été plus rassurant de me dire qu’il y avait un lien, mais par rapport à ce que les médecins savent, ils estiment qu’il n’y a pas de rapport.

Est-ce que, selon toi, ça remet en cause la qualité des visites médicales ?Oui, c’est ce que je me suis dit au début. Maintenant, avec ce qui m’est arrivé, c’est sûr que les prochaines seront vraiment poussées. Les derniers examens sont vraiment rassurants, et aujourd’hui je prends ça comme un accident, une blessure comme une autre. Ça ne devrait pas se reproduire.

Il y a eu beaucoup d’accidents cardiaques récemment dans le football. Penses-tu que ce risque est sous-estimé ?Quel sport fait autant d’examens que le football ? On est vraiment contrôlé. On a des examens poussés sur chaque partie du corps, donc si malgré tout, ça arrive, tu ne peux pas faire grand-chose. C’est compliqué de refaire des tests en milieu de saison.

Eriksen a eu un accident plus grave que moi, et il a tout de même pu reprendre quelques mois après. Ça me rassure.

Quand tu vois Eriksen qui rejoue avec un pacemaker sept mois après son arrêt cardiaque, ça t’inspire quoi ?Rien ne dit que je serai de retour sur les terrains dans sept mois, mais ça me donne confiance. Il a eu un accident plus grave que moi, et il a tout de même pu reprendre quelques mois après. Ça me rassure. Moi, je suis croyant et je sais que ce qui est arrivé devait arriver, parce que c’est Dieu qui décide.

Comment envisages-tu la vie aujourd’hui ?Pendant un mois, j’étais juste en récupération et le mois suivant, on m’a dit de profiter de la vie, de me changer les idées… Ici au Qatar, on est dans un bon cadre avec de belles températures, donc j’ai pu profiter. Maintenant, je pense à la reprise. J’ai envie de rejouer, je n’arrive plus à rester comme ça là, à ne rien faire. J’attends l’avis des médecins. Je sais que la reprise sera progressive et qu’il faudra être patient…

Comment ont réagi tes coéquipiers ?Après mon accident, beaucoup ont été touchés psychologiquement. Quand ils avaient une petite douleur au niveau du thorax, ils allaient tout de suite voir le médecin. (Rires.) Je ne sais pas si ça a été fait, mais toute l’équipe aurait dû être suivie par un psychologue. Quand tu vois un ami qui tombe sur le terrain, tu te poses des questions : « Pourquoi lui, alors qu’il est en bonne santé, qu’il fait tous les matchs et fait attention à ce qu’il fait ? » J’en ai discuté avec certains d’entre eux et ils me disent qu’au moindre truc, ils ont peur. Même dans l’équipe d’Al Rayyan en face, ils sont tous partis faire des contrôles du cœur. Aujourd’hui, mes coéquipiers cherchent surtout à m’aider, ils me demandent si j’ai besoin de quelque chose, ils veulent me voir… On va dire que comme j’ai été une « bonne personne » , ils prennent de mes nouvelles.

Est-ce que tes proches ne sont pas devenus un peu trop collant, à vouloir te protéger davantage ?Carrément ! (Rires.) Au début, je n’avais pas le droit de porter des choses lourdes, donc ils voulaient toujours tout faire à ma place. Même encore aujourd’hui, ils me disent : « Fais pas ci, fais pas ça, tu bouges trop ! » Alors que moi, je me sens bien : laissez-moi bouger ! Quand tu te sens bien dans ta peau, tu as envie d’accélérer. J’ai besoin de gens qui me retiennent sinon, à cette heure-ci, je serais déjà en train de courir.

Tu as beaucoup de restrictions ?Pour l’instant, on m’a juste dit d’arrêter le café, les boissons énergisantes, toutes ces choses-là. Pour le reste, je suis professionnel, donc je fais attention à ce que je mange. On m’a donné des médicaments précis à prendre, et j’ai aucune envie d’en prendre d’autres. J’en ai marre déjà ! Sinon, j’ai acheté une Apple Watch pour surveiller mes pulsations et vérifier si je suis bien dans les baromètres qu’on m’a fixés. Je ne fais pas de la pub, hein !

Je me dis que si je n’avais pas été sur un terrain – par exemple, à faire du sport seul chez moi -, peut-être que je serais mort aujourd’hui.

Est-ce que ton club compte sur toi pour la suite ?Je suis en fin de contrat en juin, et j’ai une bonne relation avec Al Wakrah. Le club me paie jusqu’à la fin de saison, c’était un geste sympa de leur part après mon accident. Ça me facilite la vie avec ma famille. On peut patienter plus facilement et envisager la suite plus sereinement. Ils m’ont dit aussi que quand je vais reprendre, si je veux venir m’entraîner, je pourrais aller avec eux. Après, tout dépend de comment je vais réussir à revenir… Je ne peux pas m’avancer, tout va dépendre de mon état de santé. J’espère que je vais reprendre d’ici la prochaine saison ! Ça fera sept mois, comme Eriksen, donc on est dans le bon timing !

Prendre ta retraite t’a traversé l’esprit ?Au début, oui. Je savais que ça serait compliqué de revenir. J’ai déjà anticipé ce que je voulais faire après, mais je ne m’attendais pas à ce que ça arrive de façon si brutale. Ma famille a un peu peur que je reprenne, et c’est normal. Mais ils me disent que c’est moi qui décide, que j’ai mon destin entre mes mains.

Avec le recul, tu te dis qu’on devrait davantage insister sur les gestes qui sauvent ?En début de saison, le médecin du club nous avait fait une formation aux premiers secours. Je ne sais pas si ça se fait ailleurs, mais ça a servi ! Je me dis que si je n’avais pas été sur un terrain – par exemple, à faire du sport seul chez moi -, peut-être que je serais mort aujourd’hui. C’est vraiment important de faire un rappel de ces gestes tous les ans, peut-être même tous les six mois, et pour tout le monde. Pas seulement dans le football. Peut-être qu’un jour un membre de ta famille va tomber chez toi, donc c’est vraiment important d’apprendre les gestes de premiers secours. Ça peut sauver des vies ! Il n’y a pas d’âge, même un tout petit peut sauver une vie. Plus tôt on apprend, mieux c’est. Pour l’instant, je n’en ai pas encore parlé à ma fille, mais on fait des petits jeux sur les poupées pour l’initier à ça. Le but, c’est de savoir quoi faire le temps que l’ambulance vienne, et peut-être que ces secondes pourront lui sauver la vie ou empêcher que la personne ait des séquelles. Moi c’est la chance que j’ai eue, et peut-être que sans ce petit geste de James pour oxygéner mon cerveau, je ne serais pas ici aujourd’hui. C’est la preuve qu’un petit geste peut sauver une vie.

Dans cet article :
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