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Oui, Patrice Évra a raison de secouer le foot français sur la question du racisme
Quoi que vous puissiez penser du personnage, du joueur et surtout du mal que lui ont fait les réseaux sociaux, Patrice Évra ne laisse toujours pas indifférent le petit monde du football français, et même au-delà. Et si, pour une fois, il nous disait quelque chose d’important, sans forcément s’en rendre compte derrière les éternels règlements de compte avec la Fédé depuis Knysna ?
Inutile de se mentir, cela ne sent pas bon. L’ambiance, le contexte, les déclarations. Une fois de plus le football révèle et surligne au stabilo médiatique ce qui se passe en dehors des stades, désormais bien vides. Dernier exemple, Patrick Karam, vice-président du conseil régional d’Île-de-France qui affirme chez nos confrères de RMC que « quasiment tous les auteurs d’attentats terroristes sont passés dans un club de sport », et que « nos services de renseignement intérieur considèrent que le sport est le premier vecteur de radicalisation avant les mosquées ». Ou comment sommer les AS et les FC de quartier de s’expliquer sur le « séparatisme » . Ajoutez-y l’incompréhension devant l’exclusion de Benzema quand Rabiot revient tranquillement sans même s’excuser en équipe de France, et bien sûr, plus récemment, à la suite de la polémique Neymar, un Noël Le Graët qui balance sans sourciller qu’il n’existe pas de racisme dans le foot et le sport en général.
À la Clairefontaine…
Ce sont justement ces propos qui ont fait sortir de ses gonds l’ancien international et capitaine des Bleus Patrice Évra, lors d’un long post sur son compte Instagram. Avec son verbe habituel, même si devant un tel sujet pardonnons-lui pour une fois de ne pas adopter le style d’un Mauriac, il tacle sans retenue le boss de la FFF : « Je ne suis pas une balance, Noël, mais je suis obligé de parler. Au château, tu sais très bien ce qu’il se passe. Combien de lettres racistes on reçoit ? Où il est marqué « Didier reprend tes singes et dégage en Afrique, barre-toi avec tes singes, tes gorilles. »Mais on les cache pour que les joueurs ne les voient pas. On recevait même des cartons remplis de caca… »
Le plus remarquable s’avère que justement l’argumentaire de l’ex-Mancunien rappelle étrangement certains mots déjà entendus de la part de… Noël Le Graët. Nous étions au tout début de l’affaire Benzema-Valbuena, et dans L’Équipe du 14 avril 2016, il se confiait attristé : « Je trouve que le traitement médiatique contre Karim a été trop fort. Il a toujours dû vivre avec ça. Même quand il jouait, l’opinion pour lui, c’était du 50-50. Un jour, je vous montrerai le wagon de lettres racistes que j’ai reçues ces dernières semaines. Heureusement que je ne les lis pas toutes. » Un autre souvenir à rappeler ? Le siège parisien de la FFF avait été envahi en 2010 par une trentaine d’individus qui réclamaient les choses très simplement : « Dites à M. Escalettes que l’on veut une équipe de France blanche et chrétienne, virez les bougnoules, les muslims et les noirs. Dites-lui que l’on reviendra et qu’on cassera tout. » Avant de laisser des autocollants sur les murs d’une rare finesse : « Ici c’est Paris, pas l’Algérie. »
Qui est la France ?
Cependant, l’essentiel de ce que remue Évra ne se situe pas là. La passion pour les lettres anonymes n’est pas nouvelle dans l’Hexagone, les réseaux sociaux lui ayant même offert une seconde vie, et il serait injuste de penser que ces immondices reflètent la position du pays et du peuple français face à la sélection nationale et les joueurs qui y sont convoqués. En revanche, Patrice lève un autre lièvre, infiniment problématique, qui peut-être travaille le plus le ventre de la nation en ce moment. « Quand on mange, on a l’habitude de se mettre à côté de ce gars parce qu’on a de bonnes relations, continue l’ancien Monégasque. À chaque fois qu’un président venait, ou un homme politique, tout changeait : où il y avait normalement Mamadou Sakho et Bacary Sagna, on mettait un Hugo Lloris et un Laurent Koscielny avec le président au milieu. Mais on le savait, on est en France, on n’est pas chez nous. Quand il y avait une photo, c’était mieux de voir un Lloris et un Koscielny qu’un Sakho ou un Sagna, c’est dommage… »
Cette anecdote n’ayant rien d’anecdotique vient casser une représentation dominante, faisant foi depuis 1998 et revenue en force en 2018, d’une EDF qui incarne la diversité du pays – comme cela devait être sa fonction par ailleurs – et au sein de laquelle les minorités peuvent être reconnues pleinement comme françaises. Derrière cette question, Patrice Évra pose le problème le plus terrible pour une société comme la nôtre, une interrogation qui balaie large. Par exemple est-ce que Médine ou Leïla Slimani représentent la culture tricolore au même titre que Benjamin Biolay ou Florian Zeller. En poussant la logique un peu plus loin, une équipe de France qui n’alignerait que des capés « racisés » serait-elle considérée comme représentative du pays ? Visiblement, seul le foot permet d’émettre un doute sur cette question. Patrice Évra, comme à son habitude, bouscule et assomme, sans regarder où tombent les coups. On pourra aller vérifier la véracité de certaines accusations au détail près. Ce qu’il vient de déposer à nos pieds ne peut être ignoré, simplement parce que dans les mois prochains, nous allons souvent devoir batailler avec.
Par Nicolas Kssis-Martov