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Oui messieurs-dames, Kepa reste un excellent gardien
Cloué au pilori pour ses innombrables fautes de main depuis son arrivée à Chelsea à l'été 2018, Kepa a encore aggravé son cas en offrant, d'une relance au pied indigente, le but du break à Sadio Mané contre Liverpool dimanche dernier. Celui qui est toujours le gardien le plus cher de l'histoire ne mérite pourtant pas le procès qui lui est fait, tant il bénéficie de circonstances atténuantes. Mieux : il reste intrinsèquement un gardien talentueux et très prometteur, qui ne demande qu'un environnement sain pour exprimer sa quintessence.
Première mise au point : qui a dit que le gardien le plus cher de l’histoire devait nécessairement devenir le meilleur gardien de l’histoire ? Harponné par Chelsea à l’été 2018 via le payement de sa clause libératoire de 80 millions d’euros, Kepa Arrizabalaga traîne depuis ce statut comme un fardeau injuste. À l’époque, le dernier rempart de l’Athletic Bilbao n’était ni de près ni de loin le meilleur gardien de Liga, mais seulement un jeune et extrêmement prometteur gardien qui avait encore tout à prouver au très haut niveau. Certes, alors qu’il avait connu une feuille de route dénuée de tout nid-de-poule jusqu’alors (champion d’Europe U19, notamment, avec deux tirs au but arrêtés en demi-finales contre les futurs champions du monde U20 français), nombreux étaient les observateurs qui l’imaginaient déjà en digne successeur d’Iker Casillas dans les cages de la Roja. Mais c’était oublier à quel point un passage dans un trou de ver spatio-temporel peut vous marquer un homme.
Cap ou pas Kepa ?
Y en a-t-il eu beaucoup, des gardiens qui ont dansé avec un statut aussi lourd à porter et qui ont chevauché la Premier League comme un vulgaire canasson ? Ceux qui y sont parvenus ont bénéficié de circonstances favorables. Comme le fait de ne pas être envoyé immédiatement au charbon, telle de la vulgaire chair à canon insuffisamment armée pour affronter un feu nourri de tirs en terrain hostile. À Manchester United, David de Gea a été incorporé en douceur avec un Anders Lindegaard appelé à servir de coupe-vent le temps de mettre le gamin en confiance. Même son de cloche du côté de Tottenham, où Hugo Lloris est arrivé dans la peau d’un n°2, le temps qu’il fasse vraiment sentir le poids de ses 40 ans à Brad Friedel. Et nul n’a oublié la première saison compliquée en Premier League du futur capitaine de l’équipe de France, jalonnée par quelques bourdes et des sorties aériennes où il se faisait bouffer par l’intensité physique de ses adversaires.
Kepa, lui, n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur. Appelé à remplacer au pied levé un Thibaut Courtois hors normes, le jeune homme de 23 ans a été bombardé sans backstop à Chelsea. Un club où la pression du résultat immédiat vous fait sentir plus bas que terre à la moindre incartade. Pour le Basque, habitué à être couvert d’une montagne de louanges depuis ses débuts, le coup de bambou a été terrible. Et comme l’a à nouveau souligné Frank Lampard après l’énième cagade de son poulain contre Liverpool (0-2) dimanche dernier, c’est de « confiance » dont un gardien « a besoin pour fonctionner ». Une confiance qui peut s’effriter durablement à la première petite erreur. Demandez donc à David de Gea, catalogué meilleur gardien du monde après sa folle saison 2017-2018, mais aujourd’hui rétréci à un statut de sans-grade depuis que sa bourde contre le Portugal au Mondial 2018 en a entraîné une cascade d’autres, étalées sur plusieurs saisons jusqu’à aujourd’hui. Kepa, voué aux gémonies depuis ses premières minutes à Chelsea, ne bénéficie tout simplement pas de l’environnement escompté pour faire valoir ses qualités.
Défauts surexposés, qualités indéniables
Car ces quelques bourdes ne doivent pas faire oublier que le n°2 de la Roja est intrinsèquement doté de sacrés atouts. Dès sa première saison dans l’élite avec l’Athletic en 2016-2017, la grande tige d’1,89 m étincèle par ses arrêts bluffants. Celui face à Cristiano Ronaldo contre le Real Madrid (vidéo ci-dessus) ou celui contre l’Espanyol Barcelone où son génial bond a remémoré l’illustre José Ángel Iribar. Sur sa ligne de but, c’est là où Kepa et ses réflexes ahurissants se sentent toujours le plus à l’aise. Sa première saison à Londres fut d’ailleurs plutôt correcte, avec 67,5% de tirs cadrés stoppés, et illuminée par des éclairs de génie réservés à un autre monde, comme cette envolée lyrique face à Watford ou ce double arrêt irréel contre Liverpool pour lancer sa saison 2019-2020 (vidéo ci-dessous). L’actuel bonhomme de 25 ans est aussi un redoutable spécialiste des penaltys, et si Chelsea a décroché sa Ligue Europa en 2019, il le doit en partie aux deux arrêts de son ange-gardien lors de la séance de tirs au but contre l’Eintracht Francfort en demi-finales.
Iribar (1967).Kepa (2017). pic.twitter.com/cLb5w8OVJD
— Gorka Posada (@sutu) April 4, 2017
Surtout, Kepa est l’un des gardiens les plus soyeux dans son jeu au pied. Une affirmation qui peut prêter à sourire après sa « passe » millimétrée pour Sadio Mané, mais qui ne doit pas occulter la capacité de cet esthète à sauter des lignes et être la première rampe de lancement de son équipe. C’est notamment pour cette raison et les besoins du Sarriball qu’il avait été recruté sous les ordres de l’ancien entraîneur de Naples. Mais c’est aussi là le problème des gardiens recrutés pour la qualité de leurs panards, comme le fut Claudio Bravo pour les exigences de Pep Guardiola à Manchester City : on en oublie qu’ils restent friables dans les secteurs plus traditionnels de leur job. Et à force de pousser Kepa à abuser de relances risquées, c’est comme ça qu’on provoque un drame version Mané et qu’on oublie de se concentrer sur leurs axes de progression. Toujours aussi douillet et fébrile loin de sa ligne (a fortiori face aux mastodontes de Premier League), Kepa ne peut même pas se réfugier dans sa zone de confort, la faiblesse de la défense des Blues depuis plusieurs saisons l’exposant à tous les vents.
À l’heure où Chelsea lui cherche un concurrent (qui devrait être le Rennais Edouard Mendy), Kepa ne se démonte pas, The Telegraph jurant que l’Espagnol reste décidé à s’imposer chez les Blues. Et c’est aussi l’une des forces du lascar, cette obstination à ne jamais cesser la lutte, à rester accroché à son poste contre vents et marées, à ne reculer devant rien pour faire face à ses responsabilités… comme il l’avait démontré en beuglant sur Maurizio Sarri qui voulait le remplacer avant la fameuse séance de tirs au but perdue contre Manchester City lors de la finale de League Cup 2019. Une compétition que le Basque retrouve justement ce mercredi contre Barnsley (Championship), et qui pourrait être son lot de consolation cette saison si Mendy débarque à Chelsea. À moins que le Sénégalais subisse le même traitement de défaveur que son rival a connu et se retrouve à cravacher pour la place de n°1. À ce petit jeu-là, la sangsue Kepa a toutes ses chances.
Par Douglas de Graaf