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- Interview Abdeslam Ouaddou
- Partie 1
Ouaddou : « Le racisme dans le foot reflète la société »
Quatre ans après avoir officiellement pris sa retraite, Abdeslam Ouaddou, 38 ans, n'a pas quitté le monde du football. Et n'a pas non plus appris à se taire face aux injustices qu'il constate sur et à l'extérieur des pelouses. La preuve avec ce premier acte, où l'ancien défenseur parle coaching et racisme.
Tu en es où dans tes diplômes, Abdes ?J’ai obtenu mon brevet d’entraîneur de football, et j’achève ma formation de manager général à l’université de Limoges, au sein de la promo 9 composée de Mikaël Silvestre, Mickaël Landreau, José-Karl Pierre-Fanfan, Marinette Pichon et d’autres anciens sportifs professionnels… Laurent Blanc l’a suivie aussi, Zinédine Zidane, Fabien Pelous, entre autres… On a quatre mémoires à rendre en deux ans. Ça représente énormément de boulot personnel. J’ai suivi le dernier séminaire il y a peu et je passe ma soutenance en septembre sur un projet de développement.
Ça va le faire ?Bah faut déjà rendre les dossiers ! Il m’en reste un à finaliser. Tout est noté sur vingt. La soutenance dure trente minutes, suivie de trente minutes de question du jury. Après, il me restera le diplôme d’État supérieur de football (DES), une formation d’un an. Puis une étape très importante de la reconversion : le brevet d’entraîneur professionnel, qui me donnera le droit de prendre en main une équipe pro.
Un sacré parcours du combattant…Ça me va très bien que ce soit aussi long. Après dix-sept ans de carrière où on ne pense qu’à nous, à nos propres performances, je pense qu’il est important de se former pour obtenir tous les outils pédagogiques et une expertise nécessaires. Je connais beaucoup d’anciens joueurs qui estiment être légitimes au poste d’entraîneur seulement parce qu’ils ont eu une longue carrière de footballeur. Même si cette expérience nous sert pour la justesse de l’analyse, de l’expertise technique, il s’agit d’un tout autre métier. On ne possède aucun savoir sur ce qui se passe de l’autre côté, dans l’administration. Et un club, c’est aussi ça. Il n’y a pas que l’équipe première. Le carburant, c’est aussi ceux qui travaillent dans l’ombre, que ce soit dans le marketing, la comptabilité, des ressources humaines ou l’optimisation du stade… Quand on est joueur, on ne le voit pas. D’autant que les clubs sont devenus de vraies entreprises. Même Nancy, qui est resté un club familial. Tout ça, ça permet de se projeter et de se lancer dans un réel projet sportif. D’en maîtriser tous les aspects..
Ça se passe comment en tant qu’adjoint de la réserve de Nancy ?Depuis que j’ai arrêté ma carrière, je suis en formation, mais j’ai en effet souhaité garder un pied sur le terrain. C’est la troisième année que je suis à l’ASNL. Être dans un club pro présente des avantages. J’aurais pu aller coacher une équipe amateur de CFA 2 ou de U17 nationaux. C’est formateur, mais c’est plus compliqué, car les joueurs ont un boulot à côté. Un président d’un club marocain m’a aussi contacté pour restructurer son club, de l’école de foot à l’équipe première actuellement en première division. En ce moment, je travaille en collaboration avec Sébastien Hanriot. Notre saison en CFA s’est plutôt bien passée, même si on peut regretter des points perdus à cause de notre volonté de trop bien jouer.
Tu es le genre d’entraîneur à faire bien jouer ses équipes coûte que coûte, à prôner une philosophie offensive au détriment des fondamentaux défensifs ?Non. Pour moi, en tant qu’ancien défenseur, il est primordial d’avoir une belle assise défensive. Cela ne veut pas dire que je ferai jouer mes équipes de manière défensive. Mais je considère que la solidité prime, qu’elle est indispensable pour pouvoir gagner des matchs. Et j’attache beaucoup d’importance aux phases de transition. Je ne veux pas bétonner, je veux créer du jeu en possession, demander à mon équipe d’élargir l’espace au maximum et de trouver les relais au milieu pour pouvoir progresser, mais je suis très exigeant dans le replacement. Si j’ai la chance de devenir entraîneur principal, la perte du ballon sera une période fondamentale pour mon équipe. Quitte à être intransigeant. J’ai d’ailleurs eu pas mal d’accrochages à ce sujet quand j’étais joueur. Notamment quand j’évoluais au Stade rennais.
Il y a donc eu des débats houleux à Rennes ?Oui, on a parfois eu des échanges assez virulents à propos de ces phases de jeu. Je demandais à Alexander Frei, à Olivier Monterrubio et à John Utaka de fournir davantage d’efforts pour nous aider à maintenir un certain équilibre. Parce que j’estime que le football, c’est attaquer et défendre ensemble, qu’il s’agit d’une connexion des joueurs et des lignes dans toutes les phases de jeu. Et parfois, ça m’a valu des accrochages.
Par rapport à cette vision de jeu, est-ce que tu as des modèles au sein des entraîneurs actuels ?J’ai connu une quinzaine d’entraîneurs dans ma carrière.
Forcément, je compte me servir de toutes les bonnes choses que j’ai pu observer. Après, j’aime autant Diego Simeone qu’Arsène Wenger. La grintade l’Atlético de Madrid, son état d’esprit, l’énergie transmise par son entraîneur, son organisation, sa capacité de résister pendant 90 minutes… Et puis, quand ils ont le ballon, ça joue aussi, quoi. Je me passionne également pour le management. Que ce soit celui de Zinédine Zidane, de Wenger, de Blanc… Ça m’attire. Je crois que le football évolue, la société aussi, et on ne peut plus se comporter en dictateur avec les joueurs. Bien sûr qu’il faut installer un cadre pour bien vivre ensemble. Mais mon idée de management, c’est créer un cadre favorable pour que les qualités de chacun puissent s’exprimer en fédérant un groupe. L’objectif, c’est d’essayer d’éliminer toute insatisfaction pour ne garder que de la satisfaction dans le groupe. Ça passe par un entraîneur qui sait se montrer juste. Sinon, le groupe explose. On peut percevoir ça comme de la littérature, mais c’est mon approche du métier.
Tu as connu beaucoup de coachs qui ne l’étaient pas ?Oui. Qui tenaient un discours changeant. Et ça ne dure jamais longtemps. Être juste avec les joueurs, ne pas leur mentir, c’est primordial. Sinon, tu perds ton groupe.
On dit souvent que la porte est moins ouverte pour les entraîneurs noirs. Ça ne te fait pas peur ?En France, c’est compliqué, oui. On ne voit pas beaucoup d’entraîneurs blacks. Moi, pas de chance, je suis noir et franco-marocain ! (Rires) Mais je ne m’en fais pas et je continue mon travail de formation dans un pays qui offre des formations reconnues dans le monde entier.
Pas seulement en France. En Angleterre, les remarques à ce sujet ne datent pas d’hier. Et on n’a pas l’impression qu’il y ait beaucoup de changement. C’est une réalité. J’en ai discuté avec des copains anglais, et on a le même constat. Ce n’est pas facile, voilà. Sans rentrer dans les détails, donnons un exemple : Sabri Lamouchi, qui a été un grand joueur, international en équipe de France, a commencé par la Côte d’Ivoire. Je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de sollicitations en France. Pourtant, c’est quelqu’un qui dispose de réelles compétences, qui a déjà une expérience… Mais rien à faire, il n’est pas dans le sillage.
À quoi c’est dû ?On est dans une société assez conservatrice. On peut faire le parallèle avec l’audiovisuel, même si ça évolue petit à petit. Aux États-Unis, quand on allume la télé, on peut voir un présentateur black ou porto-ricain, ça ne pose aucun problème. En France, c’est très timide. Ça ne fait pas longtemps qu’on peut voir un black sur BFM.
Et pourtant, Marine Le Pen n’a pas été élue en France. Contrairement à Donald Trump aux États-Unis…C’est vrai. C’est quand même une bonne nouvelle pour la France.
Revenons au foot. Tu trouves qu’on avance par rapport au racisme ?
Il y a des avancées, oui. On ne peut pas dire que les institutions ne luttent pas contre ce fléau. Il faut leur tirer un coup de chapeau par rapport à ce qu’ils ont fait depuis trente ou quarante ans. À l’époque, quand j’allais voir un match de foot, je pouvais observer une centaine de bananes devant les cages de Joseph-Antoine Bell. Donc ça évolue dans le bon sens, il ne faut pas être pessimiste. Mais ça reste lent. Et encore, on a moins de soucis qu’en Italie ou que dans les pays de l’Est.
On a d’ailleurs vu récemment Sulley Muntari quitter le terrain après des cris racistes. Et prendre un carton jaune pour avoir arrêté de jouer ! C’est totalement absurde. Je ne peux que reprendre mon cas à Metz quand je jouais à Valenciennes en 2008. Pendant le match, je signale à plusieurs reprises à l’arbitre Monsieur Ledentu, dont je ne garde pas un très bon souvenir, que je me fais traiter de tous les noms et que je reçois des insultes à caractère racial venant des tribunes. J’avais identifié le groupe de personnes en question. Or, cet arbitre central, qui est normalement garant de l’intégrité physique et morale des joueurs, a occulté à trois reprises ce signalement. Je n’avais donc pas d’autre choix que d’aller m’expliquer avec les personnes fautives. Et en revenant sur le terrain, bim ! Carton jaune. Le carton ne m’a d’ailleurs jamais été enlevé. Symboliquement, c’est dommage. C’est la même chose que Muntari. Il décide seulement de ne plus supporter les insultes et il prend un carton. C’est le reflet de la société.
C’est-à-dire ?Il y a six mois, je ramène ma fille à l’école. Je m’arrête au dépose-minute. Il y a un forcené qui descend de sa voiture parce qu’il considère que je le gêne. Il m’insulte de tous les noms… et me dit : « Je suis vraiment content que François Fillon soit passé lors des primaires de la droite. Il va pouvoir dégager tous les noirs et les bougnoules de ce pays. » Je vais déposer une plainte sur le champ. Qu’est-ce qu’on me répond au commissariat de police ? Qu’on refuse de prendre ma plainte, qu’elle sera classée sans suite et qu’il faut procéder à une simple main courante. Voilà le message envoyé à ceux qui commettent ces délits. Sur le terrain, c’est la même chose. Tant que les institutions refuseront de prendre le problème à bras-le-corps, bien sûr qu’on continuera à voir ce genre d’incidents.
Propos recueillis par Florian Cadu