- CAN 2021
Où en sont les gardiens africains ?
Longtemps considérés comme le point faible de bon nombre d'équipes africaines, les gardiens du continent sont en train de changer de dimension grâce à des portiers qui se sont imposés en Europe. Pourtant, ce n'était pas gagné.
Et si la CAN 2021 était celle des gardiens de but ? La performance monumentale mardi face à l’Algérie de Mohamed Kamara, le portier de la Sierra Leone, prouve que l’époque des boulettes en pagaille lors du tournoi est révolue. Surnommé « Fabiański » au pays et désigné homme du match après avoir réalisé sept arrêts sans prendre de but, chose qui n’avait plus été faite depuis Felipe Ovono en 2015, il a fondu en larmes au moment de recevoir son trophée. Aux côtés du joueur de 22 ans, formé en Sierra Leone et qui y évolue toujours avec le maillot du East End Lions FC, d’autres portiers redorent le blason des gardiens africains. André Onana, Édouard Mendy, Alfred Gomis, Yassine Bounou… Rarement la Coupe d’Afrique des nations a connu autant de portiers d’excellence sur une seule et même édition.
?? #CAN2021 ???? En larmes, Mohamed Kamara reçoit le trophée d’homme du match !#ALGSIE pic.twitter.com/5bNgQI7y95
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) January 11, 2022
L’idole des jeunes
Si le continent est largement reconnu pour tous les talents qu’il a donnés au football à quasiment tous les postes, le dernier rempart semblait être jusqu’à peu le talon d’Achille de l’Afrique, voire était carrément un sujet de moquerie. « Je crois que ça date un peu. Je pense qu’on a raillé les gardiens africains il y a une quinzaine d’années avec quelques vidéos. Pour être en Afrique depuis un petit moment, je peux vous dire qu’on a de plus en plus de qualité à ce poste », analyse Sébastien Migné, qui a longtemps suivi Claude Le Roy dans son itinéraire africain et qui, plus récemment, a été à la tête de sélections comme le Kenya, le Congo et la Guinée équatoriale. « On fait des caricatures, avec des clichés qui persistent, du genre« Les gardiens africains, ils sont un peu folkloriques » », estime Alain Giresse, passé sur le banc du Mali, du Gabon, du Sénégal et de la Tunisie.
Outre les vidéos montrant les boulettes ou les excentricités de certains portiers africains, c’est le manque d’exemples s’étant imposés en Europe et formés sur le continent qui pénalise la crédibilité des gardiens actuels. Encore aujourd’hui, quand on prend les quatre remparts cités plus haut, le Camerounais a connu une grosse partie de sa formation au Barça et à l’Ajax, Mendy est un pur produit normand, et son compatriote s’est vite exilé en Italie. Bounou, auteur d’une sublime parade face au Ghana lundi, est le seul à avoir connu un enseignement africain de bout en bout, n’ayant quitté le Royaume pour l’Espagne qu’à 21 ans.
Apoula Edel, qui aurait porté les couleurs du Cameroun si le président de son premier club européen, le Pyunik Erevan, n’était pas aussi proche du pouvoir arménien, fait partie de ces gardiens qui ont appris leur métier de l’autre côté de la Méditerranée. Pourtant, comme beaucoup d’enfants africains, ce n’est pas garder les buts qui le faisait rêver. « Dans mon quartier, j’ai commencé joueur de champ. Bon, ce n’était pas terrible, et un jour, il fallait un gardien, alors c’est comme ça que je suis arrivé au poste », se remémore-t-il. Alors pourquoi un tel désamour de la part de ce continent pour les gants, les plongeons et les ballons dans la niche ? C’est d’abord un problème d’idole, selon l’ancien gardien du PSG : « Parce qu’on a Samuel Eto’o, El-Hadji Diouf ! Tous ces grands joueurs-là, ce sont des attaquants. Forcément, un jeune va plus penser à Samuel qu’à Badou Zaki, Thomas Nkono ou Toni Silva, par exemple. C’est d’abord ça. On aime tous ces attaquants qui ont marqué l’Afrique. » Alain Giresse admet que la jeunesse africaine peut être moins tentée par le poste, même s’il est moins catégorique sur le fait qu’il s’agisse d’une spécialité uniquement africaine. « On promeut plus le poste d’attaquant que celui de gardien de but. Mais c’est un peu vrai partout. On met toujours le plus mauvais dans les buts(rires) », assure l’ex-international français. Surtout que pour lui, Onana et Mendy vont forcément susciter des vocations, tout comme ils ont été inspirés dans leur jeunesse. Et donc ce n’est pas le talent à la racine qui fait défaut.
Un manque d’installations et d’entraîneurs
Pour Giresse, le problème se situe autre part : dans la formation. Un constat partagé par Edel : « Je pense qu’on part avec un handicap du fait de ne pas être formés très jeunes. On arrive en Europe, où la majorité des jeunes sportifs en général sont déjà en formation depuis un moment… Ça part de là. Quand un gardien africain arrive, on se dit que techniquement, ce n’est pas ça. Ils n’ont plus le temps de nous former, de nous apprendre à plonger, à capter un ballon. Ce sont ces petits des détails qui nous handicapent un peu, je pense. » Évidemment, avec des infrastructures clairement en deçà de ce qui se fait en Europe, l’Afrique prend du retard. Mais ce problème tend de plus en plus à changer, alors que de grands pays du foot continental, comme le Sénégal ou le Cameroun, s’outillent d’installations décentes.
Un des autres manques criants pour que les gardiens locaux progressent, c’est la présence d’entraîneurs spécifiques. Vous avez beau avoir des jeunes prometteurs et des pelouses correctes, si vous n’avez personne pour leur apprendre leur métier, c’est compliqué. Mais comme pour les infrastructures, les grosses cylindrées se sont saisies du problème et sont en train de combler le gap. « Aujourd’hui, toutes les sélections ont un entraîneur spécifique pour le poste. L’écart avec les nations européennes s’est réduit incontestablement », détaille Sébastien Migné, pour qui le « TP Mazembe n’a rien à envier à un staff européen ».
Idoles ? Check. Installations ? Check. Entraîneurs spécifiques ? Check. Que manque-t-il ? « L’exigence et l’homogénéité des championnats, répond Migné. Onana, il a des grands matchs toutes les semaines. Voire deux ou trois fois par semaine. Le portier qui va évoluer dans le championnat du Togo ou du Kenya, il va avoir trois-quatre gros matchs dans la saison. C’est aujourd’hui la plus grosse différence. » Toutes les nations présentes à la CAN n’ont cependant pas la chance d’avoir un gardien qui évolue dans un championnat européen, ou dans un championnat africain compétitif, comme en Afrique du Sud ou l’Égypte. Mais d’autres Mohamed Kamara pourront toujours prouver que les gardiens africains profitent de l’aspiration créée par leurs compatriotes exilés en Europe.
Par Léo Tourbe
Tous propos recueillis par LT.