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Où en est Marco van Basten ?
Hier après-midi, l’Ajax de Frank de Boer a battu le Heerenveen de Van Basten à l’ArenA (3-0). Une bonne occasion de reparler un peu du grand Marco, coach forcément remarqué d’un petit club qu’il a fait grandir… et qui l’a fait grandir ?
Du lourd, du classieux, du noble… Hier après-midi à Amsterdam, avant le match Ajax-Heerenveen, la cérémonie officielle a tenu ses promesses : l’immense Johan Cruyff a reçu des mains de l’immense Michel Platini son Prix UEFA de grand joueur européen pour l’ensemble de son œuvre. Les deux hommes étaient rejoints en tribune présidentielle par l’immense Edwin van der Sar (actuel directeur marketing de l’Ajax). Autres invités de marque : deux grands ex-Ajacides venus de Tottenham, le Belge Vertonghen et le Danois Christian Eriksen. Ce dernier devait recevoir, lui, une distinction du club d’Amsterdam pour ses bons et loyaux services passés. Et puis, sur le terrain, au bord de la touche, trois autres monstres sacrés du foot néerlandais : Frank de Boer (et son assistant Dennis Bergkamp) pour Ajax et Marco van Basten pour Heerenveen. Soit deux fils spirituels du maître Johan 1er. Platini, Cruyff, Van Basten : 9 Ballons d’or à eux trois, lauréats à trois reprises chacun avant que Messi ne les dépasse… Un contexte honorifique bien plaisant, mais secondaire pour Marco van Basten, venu défier avec Heerenveen son ex-club Ajax… Un triplé du Danois Lasse Schøne donnera l’avantage à son rival FDB (3-0). L’Ajax était bien trop fort. Une humiliation pour Marco ? Pas vraiment : Van Basten continue de réapprendre son métier avec humilité…
Les Oranje trop tôt…
Sans doute sous le coup d’une dépression, Marco van Basten n’imaginait pas sa reconversion dans le foot sitôt sa carrière dramatiquement finie. Le 17 août 1995, l’attaquant du Milan AC annonçait la mort dans l’âme sa fin de parcours minée depuis deux saisons par une sale blessure à la cheville. Un jour de deuil pour le foot mondial à qui on avait « volé » encore quelques saisons de rêve à se pâmer devant le Cygne d’Utrecht. Il n’avait après tout que 31 ans, moins deux années pourries par les blessures et les opérations. Ceci dit, comme il l’avait confessé récemment dans les médias néerlandais, Marco souffrait déjà de problèmes de cheville du temps où il était jeune joueur d’Ajax sous les ordres de Johan Cruyff à la fin des années 80. Lors de la campagne européenne de 1987 qui verra l’Ajax remporter la C2 face à Leipzig, Cruyff l’avait ménagé pour qu’il ne puisse disputer à cette période-là que les matchs les plus importants du fait de ces satanés problèmes de cheville. Mais Johan exigea quand même de Marco qu’il marque en finale ! Ce qu’il fit, d’une belle tête victorieuse (1-0 à Athènes)… Mais voilà, en 1995, Marco était si déprimé par sa cheville bloquée qu’il reporta ses instincts de compétiteur vers le golf. Il devint même rapidement un golfeur émérite… Mais le ballon lui manquait. Alors il passa ses diplômes de coach auprès de la KNVB, la fédé néerlandaise. Aux Pays-Bas, la qualité de l’enseignement technique des futurs coachs dispensée par la KNVB fait autorité et demeure le passage obligé pour tous les ex-grands joueurs nationaux. Et c’est ainsi que Marco se retrouva en 2003-2004 l’assistant de son ancien coéquipier ajacide, John Van’t Schip, tous deux à la tête des Jong Ajax (jeune équipe réserve d’Ajax). Puis tout se précipita : il fut appelé à la tête de la sélection Oranje le 29 juillet 2004 en remplacement de Dick Advocaat, démissionné après un Euro 2004 pourtant pas si raté (Pays-Bas éliminés en demies par l’hôte portugais).
À 39 ans et sans grande expérience, le choix audacieux de la fédé néerlandaise ne manqua pas de surprendre. Mais Marco accepta le poste, en prenant Van’t Schip comme adjoint… Entraîneur débutant, Marco se fit assez raide sur ses principes et sur son désir de faire table rase en écartant de la sélection Seedorf, Kluivert, Makaay ou en installant sur le banc Mark van Bommel. Des grosses personnalités que Marco redoutait d’affronter ? En tout cas, des choix pas souvent bien compris aux Pays-Bas au regard de joueurs qui pouvaient encore apporter en sélection. Van Basten ira même jusqu’à bâtir parfois une ossature de l’équipe nationale rajeunie sans joueurs du Big Three national (Ajax, Feyenoord, PSV) ! Ceci dit, les Oranje se qualifièrent invaincus pour le Mondial allemand de 2006 et parvinrent en 8es, éliminés encore par le Portugal lors d’une rencontre « musclée » . L’échec de 2006 ne refroidit pas la KNVB qui souhaitait même prolonger son contrat (courant jusqu’à 2008) à la Coupe du monde 2010. Mais c’est avant de disputer l’Euro 2008 en Suisse-Autriche qu’il signa au contraire un contrat de quatre ans avec l’Ajax en février de cette année. À l’Euro, les Oranje firent merveille au premier tour, mais se firent sortir en quarts par la Russie drivée par le « traître » Guus Hiddink. Marco quitta la sélection et enquilla donc avec l’Ajax pour la saison 2008-2009, mais dans un contexte de guerres intestines. Malgré un bon parcours en championnat (3e), Marco démissionna à une journée de la fin d’Eredivisie et rompit son contrat !
Heerenveen pour apprendre…
Déjà mis sous la pression immense de coacher l’institution Ajax, Marco avait pris sur lui de ne pas avoir qualifié le club en Ligue des champions. En fait, il l’avouera lui-même l’an passé en reconsidérant son expérience avec les Oranje, puis avec le club phare national : « J’ai été lancé dans le grand bain sans doute trop tôt. Et j’ai aussi peut-être fait des erreurs. » Pas faux… Du coup, sitôt son court passage à l’Ajax, il devient un temps consultant sur la chaîne Sport 1 tout en réaffirmant son désir de coacher à nouveau. Ce qu’il fait en 2012 en signant en février avec le petit club d’Heerenveen ! En Hollande, la nouvelle fait grand bruit : autant on se félicite que Marco soit resté au pays, autant le choix de coacher le « petit » club de Frise déçoit… En toute humilité, Marco s’en expliquera : « C’est bien de recommencer plus bas pour développer ses capacités d’entraîneur » … Marco avait tout simplement décidé de ne plus être l’immense Van Basten à qui on accorde tout sans avoir suffisamment prouvé auparavant. D’où son choix de repartir « à la base » , pour réapprendre le football d’en bas. Pas mal pour un ancien triple Ballon d’or… Et ça donne quoi, Van Basten, à Heerenveen ? Le bilan est plutôt pas mal. Mais avant de parler de jeu, il faut parler de l’homme, du personnage. Plutôt réservé, il s’est un peu plus ouvert aux médias, boulot oblige. Et là, rien à dire : comme du temps où il était consultant, son discours bien articulé atteste d’une vraie connaissance du jeu et d’une analyse tactique qui fait autorité. Côté supporters, il est aussi apprécié par sa proximité avec les fans. Non pas qu’il soit abordable comme un « bon pote » , mais il a perdu de sa froideur distante qu’on lui connaissait avant. La saison passée, il était touchant de voir Marco sous la neige, tout emmitouflé, et avec au cou une grosse écharpe du club, bondir de joie comme un môme quand son équipe marquait un but… Marco est devenu plus humain.
Sur le jeu, marqué par les préceptes de Cruyff (comme Frank de Boer), il sacrifie au bon vieux 4-3-3 typiquement national. Son passé de grand buteur le pousse à aligner des équipes très offensives à trois attaquants, dont un vrai 9 et deux vrais ailiers. Soit cette saison l’Islandais Alfred Finnbogason en avant-centre (meilleur buteur actuel avec 21 buts), assisté des deux ailiers rapides et dribbleurs Van la Parra et Basacikoglu. Toujours dans le style hollandais, il privilégie un meneur de jeu axial au milieu en la personne du très talentueux Hakim Ziyech (21 ans, retenez bien ce nom !). Du jeu direct, vertical, en attaques placées courtes ou en contres meurtriers avec Finnbogason en killer. Conscient de coacher une équipe aux moyens limités et dépourvue de cadors vraiment confirmés, Van Basten bricole des équipes 100 % offensives. Avec la troisième meilleure attaque (51 buts), Marco a fait ce choix ultra offensif pour figurer le plus haut possible en Eredivisie. Pour assurer le maintien et même plus, autant prendre des risques et régaler le public avec un jeu spectaculaire ! Et ça marche, vu que Heerenveen pratique un des footballs des plus audacieux et est actuellement 6e, après avoir fini 8e la saison passée. Problème… Marco bâtit à Heerenveen des équipes aussi déséquilibrées que sa sélection Oranje de l’Euro 2008 ! En 2008, sans Van Bommel pour tenir le milieu, son équipe coupée en deux qui penchait beaucoup trop devant s’était fait punir par les Russes. Même constat avec Heerenveen : sa défense éparpillée est la pire des dix premières équipes d’Eredivie (43 buts).
En fait, Marco fait sans doute tout simplement ce qu’il peut avec ce qu’il a, privilégiant l’attaque au détriment de la défense pour avoir avant tout les meilleurs résultats possibles. On verra plus tard s’il sait construire des équipes mieux équilibrées. Car Marco quittera Heerenveen à la fin de la saison. Il fait savoir dans les médias néerlandais qu’il sera bientôt libre… Marco espère coacher une formation plus cotée. Son nom revenait souvent ces derniers temps du côté de San Siro, avant que Seedorf n’y débarque. Marco finit ses classes à Heerenveen. Deux saisons à « réapprendre » le métier. Avec des moyens limités. Avec aussi les meilleurs joueurs qui partent trop vite : Bas Dost parti à Wolfsburg à l’été 2012 (meilleur buteur d’Eredivisie avec 32 buts) juste avant que Marco n’arrive, l’excellent Đuričić parti au Benfica l’été dernier, et Finnbogasson partant à 100 % à la fin de la saison. Tous ces problèmes de pauvres ont enrichi l’expérience de Van Basten trop vite installé en pension trois étoiles à ses débuts. À bientôt 50 ans, Marco van Basten est devenu un coach comme les autres, « normal » : le meilleur moyen de devenir aussi grand que le joueur qu’il a été ?
par Chérif Ghemmour