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Où en est le football italien avec la gangrène du racisme ?
Lors de la demi-finale aller de Coupe d’Italie, Romelu Lukaku a de nouveau été victime de racisme de la part de certains supporters de la Juve. Ce qui n’est en aucun cas un événement isolé. Les années passent, et cette gangrène est toujours présente en Italie.
Ces dernières semaines, le football italien est couvert de louanges. Sur le rectangle vert, la Serie A a retrouvé de sa superbe, comme en témoignent les prestations de ses écuries sur la scène continentale : cinq sont toujours en lice dans les compétitions européennes (Milan et Inter en C1, Roma et Juve en C3, la Fiorentina en C4). Du jeu sur le terrain et de la joie dans les tribunes, l’affluence moyenne étant de 29 088 spectateurs (une donnée prise après la 27e journée), un record depuis la saison 2000-2001. La vie en rose ? Pas tout à fait, le racisme gangrenant encore et toujours les enceintes d’une Italie qui tente de soigner le mal.
Le 4 avril, la demi-finale aller de Coupe d’Italie entre la Juve et l’Inter (1-1) avait vu Romelu Lukaku, buteur sur penalty dans les derniers instants, s’attirer les attaques racistes d’une centaine de tifosi adverses. « Singe de merde », pouvait-on entendre sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux dans la foulée. « L’histoire se répète, cela s’est passé en 2019 et maintenant en 2023. J’espère que cette fois la Ligue prendra de véritables décisions. Merci pour vos messages de soutien, Fuck les racistes », lâchera après la rencontre Big Rom sur son compte Instagram. Les années passent, et rien ne change. « Quand est-ce qu’on prendra vraiment ce sujet au sérieux ? De véritables actions sont nécessaires », déplorait de son côté Stefano Pioli, le coach du Milan, après ces incidents. L’affaire Lukaku n’est pas un cas isolé, la Serie A a encore vu son image entachée par plusieurs épisodes de racisme cette saison : Samuel Umtiti, qui sortira même en larmes de la pelouse, Victor Osimhen, Yann Karamoh, Moïse Kean, ou encore dernièrement Rafael Leão avant le quart de finale retour à Naples. Autre fait marquant, le 22 mars dernier, un « supporter » de la Lazio s’était pointé au stade avec un maillot floqué « Hitlerson 88 ».
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Un racisme perpétuel que la Fédération italienne de football (FIGC), la Lega Serie A et les diverses autorités peinent (ou ne s’en donnent pas vraiment la peine) à éradiquer. « Depuis plusieurs années, des campagnes contre le racisme sont lancées, mais alla fine, rien ne change, et le sentiment d’impuissance grandit », avance justement Damiano Tommasi, ancien joueur de la Roma et désormais maire de gauche de Vérone. Un constat partagé par Mike Maignan, lui aussi victime de racisme à plusieurs reprises, notamment lors de ce déplacement à Turin en octobre 2021, quelques semaines seulement après son intronisation dans les cages milanaises. « Tant qu’on traitera ces événements comme des incidents isolés et que l’on n’aura pas une action globale, l’histoire est amenée à se répéter, encore et encore et encore », expliquait alors Magic Mike dans un communiqué, avant de mettre les autorités devant leurs responsabilités : « Qu’est-ce qu’on fait pour combattre le racisme dans les stades de football ? Est-ce qu’on croit vraiment que c’est efficace ? Dans les instances, les personnes qui décident savent-elles ce que ça fait d’entendre des insultes et des cris nous reléguer au rang d’animal ? »
« Romelu, tu dois vivre ces insultes comme du respect »
Comment éradiquer un fléau qui n’est pas pris au sérieux au sein même du microcosme footballistique ? Exemple en novembre 2019. Lors d’un triste Hellas-Brescia remporté par les locaux (2-1), Mario Balotelli, qui vient alors se refaire une santé du côté de Brescia, parvient à réduire la marque dans les cinq dernières minutes. L’enfant terrible du football italien se fait copieusement insulter de « sale noir de merde », combiné aux fameux « buuuu ». Affecté, Super Mario menace de quitter la pelouse, le match est interrompu, mais après une annonce faite au micro, les deux équipes terminent la rencontre. Le clou de ce triste spectacle a lieu en zone mixte après la rencontre, où Ivan Jurić, alors entraîneur du Hellas, minimise les faits : « Il ne s’est rien passé, aucun hurlement raciste. J’ai entendu des huées et certainement des insultes à l’encontre d’un joueur, rien de plus. » Une déclaration honteuse partagée par Maurizio Setti, le propriétaire du Hellas : « Nos fans aiment l’ironie, mais ne sont pas racistes. Je rejoins totalement Jurić. (…) Nous avons aussi des joueurs noirs au sein de notre équipe. »
Les acteurs du foot italien semblent trop souvent à côté de la plaque sur la question. Par exemple, lorsque des jeunes tifosi napolitains décident de faire un « blackface » pour rendre hommage à Victor Osimhen, Roberto Mancini trouve cela « fantastique ». Le sélectionneur italien ajoute : « Là où certains voient du racisme, je vois de l’émerveillement. » Pour Paolo Tomaselli, l’Italie connaît un retard conséquent en matière de sensibilisation contre le racisme : « L’Italie est un pays d’immigration récent, et il reste beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses à faire en faveur de l’intégration et de politique antiracisme », tentait d’expliquer le journaliste italien sur France Info. Pour d’autres, les insultes racistes doivent être perçues comme une marque de… respect. Après avoir été victime de racisme à Cagliari en septembre 2019, Lukaku avait vu la Curva Nord, groupe de supporters de l’Inter, donner leur vision des choses : « Romelu, tu dois comprendre que dans tous les stades italiens, les supporters tiennent ce genre de propos, c’est seulement pour déconcentrer son adversaire. (…) Tu dois vivre ces moments comme une marque de respect, car cela prouve que les adversaires te craignent, et non pas qu’ils te détestent ou sont racistes. » Aujourd’hui, « les choses s’améliorent peu à peu », avance Damiano Tommasi, alors que certaines curve sont toujours autant gangrenées par des mouvances fascistes. À commencer par celle du Hellas, dont l’un des membres actifs, un certain Luca Castellini, est aussi en parallèle leader du groupe Forza Nuova, un parti politique d’extrême droite ++ italienne.
L’Italie passe enfin la vitesse supérieure
Sur son site internet, la FIGC explique prendre ce problème très au sérieux avec un objectif fixé pour 2030 : « Éradiquer le racisme sous toutes ses formes dans tous les stades. » Mais concrètement, quelles sont les actions (excepté ces campagnes de sensibilisation « Unis sous les mêmes couleurs » ) et/ou sanctions mises en place pour lutter contre le racisme ? Le 14 mars dernier, la Lega Serie A a décidé de signer un accord pour « combattre les discriminations dans le football » avec l’UNAR, qui est l’office italien contre les discriminations et le racisme. « La signature de ce protocole avec la Lega Serie A a pour objectif de définir une stratégie afin de combattre toutes les discriminations dans le football. Avec ce protocole, nous souhaitons faire du football un facteur d’intégration, de socialisation pour construire une société plurielle et inclusive », argumente Mattia Peradotto. Un accord qui vise donc à sensibiliser les différents acteurs de ce sport sur les questions de racisme et de discrimination : « On souhaite réaliser différentes actions au sein des clubs pour impliquer réellement les joueurs, les entraîneurs, en commençant bien évidemment par la jeunesse », explique de son côté Lorenzo Casini, président de la Lega Serie A. Prendre le problème à la racine, en voilà une bonne idée.
Concernant les sanctions, les autorités italiennes ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Prononcer des huis clos et distribuer des amendes aux clubs ne suffit plus. Désormais, les sanctions prononcées concernent directement les personnes impliquées et plus uniquement les clubs. Après les incidents du 6 avril dernier à Turin, la DIGOS (Division des enquêtes générales et des opérations spéciales) est parvenue à identifier 171 personnes qui auraient donc proféré des chants racistes à l’encontre de Romelu Lukaku. Le parquet de Turin a décidé de prononcer un Daspo à l’encontre de ces énergumènes. Autrement dit, « une interdiction d’accéder à des manifestations sportives ». Des sanctions rendues possibles grâce au dispositif de vidéosurveillance, de plus en plus développé et qui permet aux autorités de travailler plus efficacement, même s’il existe encore des failles.
En mars 2022, la police n’avait pas réussi à identifier les auteurs d’insultes racistes contre Mike Maignan lors d’un match à Florence. Quand ils sont identifiés, ils doivent maintenant s’expliquer devant la justice avec l’application de la loi Mancino, condamnant « gestes, slogans, actions liées à une idéologie raciste et qui incite à la violence pour des motifs raciaux, ethniques, religieux ou nationaux ». Récemment, elle a été utilisée par le parquet de Rome à l’encontre du supporter vêtu du maillot « Hitlerson 88 », qui risque une peine d’emprisonnement. L’Italie décide donc enfin de prendre ce problème au sérieux, mais est-ce suffisant ? Dans un pays qui a encore du mal avec les questions liées au racisme et à la discrimination, cela prendra du temps. « Je ne vous apprends rien, mais les tribunes sont toujours la représentation de la société », conclut Damiano Tommasi. Le combat est loin d’être gagné.
Par Tristan Pubert