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Où en est l’Angleterre face au racisme ?
Pour les Three Lions, la défaite en finale n’a pas été le plus dur à encaisser après la finale de l’Euro 2021. Ce revers n’était rien à côté de la vague de racisme qui a déferlé sur Sancho, Rashford et Saka après la rencontre. Quinze mois plus tard, où en est-on ?
Ils ont beau rouler à gauche, manger des haricots au petit-déjeuner et aduler une drôle de famille royale, les Anglais ne sont pas si différents de nous. En ce début de Mondial, ils ont les mêmes débats que les Français : stades de la honte, boycott, les politiques doivent-ils s’y rendre… « Ils parlent aussi du prix de la bière là-bas, et de son interdiction au stade », se marre Eric Albert, correspondant du Monde à Londres depuis dix-neuf ans. Il ajoute : « Comme d’habitude, ils se mettent à rêver de la victoire finale. » Du classique, quoi. Mais plus personne ne parle du racisme qui plane autour de la sélection, réveillé par la défaite en finale de l’Euro 2021. « Pas que je sache, assure le correspondant français. Mais entre la mort d’une reine, un double changement de Premier ministre et une crise économique, ça a pu m’échapper ! »
Un racisme à deux vitesses
Juillet 2021 n’est pourtant pas si loin. À l’époque, Marcus Rashford et Bukayo Saka ratent leur tir au but en finale de l’Euro face à l’Italie. Malgré la finale à Wembley, football is not coming home, again. La déception et la frustration vont laisser place à des torrents d’insultes racistes envers les joueurs noirs des Three Lions. Dans la soirée, une fresque en l’honneur de Marcus Rashford est vandalisée. Débarrassés des hooligans et ahuris racistes dans leurs stades, les Anglais redécouvrent le racisme provoqué par le ballon rond, qui se complaît dans l’anonymat des réseaux sociaux. « Depuis 30 ans, il y a eu une vraie prise de conscience des autorités du football, qui ne laissent plus passer ça en Angleterre, rappelle Eric Albert. Les insultes de l’Euro étaient sur internet, pas au stade. J’étais à Wembley, les gens étaient déçus, mais aucun ne m’a tenu ce genre de propos. Les racistes se cachent maintenant. » Et les forces de l’ordre les traquent.
Dans les jours qui suivent, alors que Boris Johnson réclame des interdictions de stade, la police arrête onze personnes, après avoir identifié 207 messages comme étant pénalement répréhensibles. Twitter aussi réagit, raconte Daniel Kilvington, enseignant à l’université Leeds Beckett et auteur d’une étude sur le sujet du racisme en ligne dans le foot anglais : « Twitter a confirmé qu’ils avaient supprimé ou suspendu des comptes qui avaient enfreint leurs conditions d’utilisation à la suite de la séance de tirs au but. Ils ont également ajouté que 99% des personnes qui ont publié des injures racistes envers Rashford, Sancho et Saka avaient des comptes non anonymisés, ce qui signifie que les agresseurs étaient publiquement identifiables. » Ce qui a permis de lancer des poursuites judiciaires assorties de peines de prison. « Finalement, les footballeurs ne sont qu’à un tir de se faire rappeler leur couleur de peau… », souffle le chercheur anglais. « Ce qui prouve que le racisme perdure, il reste encore beaucoup de travail à faire pour lutter contre les formes manifestes de racisme. Ce type de pratique perdure et semble s’aggraver. »
Un climat plus apaisé
Héritage de son ancien empire colonial, le cosmopolitisme du Royaume-Uni continue d’irriter certains sujets de Sa Majesté Charles. « On voit le racisme dans le tissu des institutions telles que l’éducation, le logement, la santé, l’emploi, les médias, le sport. Le racisme est systémique », analyse le professeur britannique, qui craint que le scénario ne se répète en cas de déception : « Le racisme bouillonne toujours à la surface, et l’histoire se répète, malheureusement. J’espère que des leçons ont été tirées de ce qui s’est passé en 2021, mais cela reste à voir. » D’autant que les Anglais n’abordent pas ce rendez-vous en confiance, rappelle Daniel Kilvington : « L’Angleterre aborde cette Coupe du monde après quelques mauvais résultats. Par conséquent, la positivité et l’espoir ne sont peut-être pas là comme lors des tournois précédents. »
Les interrogations sont surtout sportives donc, avec un climat plus apaisé autour des Three Lions. Car bien avant la finale et la séance de tirs au but fatidique, le contexte était déjà pesant autour des Anglais avant l’Euro. Par leur décision de mettre le genou à terre avant chaque rencontre, en soutien au mouvement Black Lives Matter, les Anglais s’étaient mis une partie du public à dos. Alors Premier ministre, Boris Johnson ne les avait d’ailleurs pas soutenus. Ce qui avait valu à Bojo pas mal de critiques après la compétition, lorsqu’il volait au secours de Saka. « Vous ne pouvez pas attiser le feu au début du tournoi en qualifiant notre message antiraciste de geste politique, et ensuite prétendre être dégoûté lorsque le racisme refait surface », avait taclé le défenseur Tyrone Mings. Cette fois, rien de tel. Les polémiques épargnent le vestiaire de la sélection anglaise, qui se concentre sur le Qatar et ses bières trop chères. Jusqu’à la prochaine séance de tirs au but ?
Par Adrien Hémard-Dohain
Tous propos recueillis par AHD.