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Oswaldo Piazza : « Le football argentin est éreintant »
On s'est posé dans le jardin d'Oswaldo Piazza, ancien international argentin et légende stéphanoise pour parler River-Boca et politique argentine.
Bonjour Oswaldo, vous nous recevez dans votre maison à Nuñez, le quartier de River Plate, au nord-ouest de Buenos Aires. On parle souvent de la Boca et de son côté touristique. Racontez-nous votre quartier. Le lien entre le football et ce quartier est très fort. La finale de la Coupe du monde 1978 s’est jouée à 150 mètres d’ici, au Monumental. La sélection joue la grande majorité de ces matchs ici. Le seul souci, c’est que c’est un quartier très résidentiel. Donc le jour de match, il faut faire des concessions.
Pour sortir d’ici, c’est une galère immense. Personnellement, je trouve que la ferveur est moindre ici depuis qu’il n’y a plus de public visiteur lors du championnat argentin. Il y a moins de risques, mais il y a encore plus de policiers qu’avant. La logique argentine. (Rires.) Mais pour parler du quartier en lui-même, c’est très agréable. La proximité du fleuve, un peu de verdure, c’est vraiment tranquille. Le quartier devient euphorique quand les gens qui ne vivent pas ici y viennent. Que ce soit pour les matchs, les concerts, ou même les touristes qui veulent voir le légendaire stade. Après, il ne faut pas tomber dans les provocations des supporters adverses de River Plate, qui parlent de ce quartier et de ce stade comme d’un cimetière. Avec le temps, j’ai dû refaire le toit de ma maison parce que les vibrations du stade abîmaient les rues adjacentes. Ce n’est pas pittoresque comme la Boca. Mais ça a son charme.
Quel est votre meilleur souvenir ici, à Nuñez ?La finale du Mondial 1978. Même si je ne l’ai pas joué. (Osvaldo Piazza a renoncé à la Coupe du monde après le grave accident de voiture vécu par sa femme et sa fille, N.D.L.R.) Pendant deux heures, le pays a oublié les horreurs de la dictature. Mais ça, c’est une spécialité argentine. On sait occulter, mais on ne sait pas oublier. Il faut vivre ici pour comprendre l’histoire et la situation du pays.
L’Argentine vit un moment difficile économiquement et politiquement. On a les mêmes soucis depuis 50 ans. Donc il faut être conscient que nous, le peuple, sommes une partie du problème. On vit de promesses, de mensonges et on élève au rang d’idoles des personnes qui n’ont jamais rien prouvé. C’est comme la théorie de l’attachement. Un enfant a besoin de quelqu’un qui va le protéger sans cesse. Nous, avec la politique, on est pareils. On croit aux promesses, on défend corps et âme une personne, plus qu’un parti, et on tombe du dixième étage quand on voit que le pays n’avance pas.
La crise touche aussi le football selon vous ?
Oui, mais là, c’est une crise institutionnelle. Il n’y a qu’à regarder l’organisation de la finale aller de la Copa Libertadores entre Boca et River. C’est un désastre et ça ne choque plus personne ici. Sauf que ça se passe sous les yeux du monde entier et on passe pour des idiots. Le problème, c’est que cela paraît normal, ici. On trouve ça normal qu’un journaliste se mette à l’entrée du stade de Boca et compte les gens qui se sont fait arnaquer avec des fausses entrées. Ou qu’une élection pour le poste de président de la Fédération termine avec 76 bulletins alors qu’il y avait 75 votants. Et là pour la finale, on ne pouvait pas rêver d’une meilleure conclusion, surtout que le football brésilien revient très fort et que Boca et River ont éliminé des grosses équipes en demies. Mais on n’arrive pas à organiser ça proprement.
Il y a quelque chose de fascinant avec le football argentin. Vous êtes conscients du bordel, mais vous retrouvez de l’espoir à chaque fois. Comme je te disais, on ne pense pas, on n’anticipe pas ici. Le téléspectateur, le supporter fervent d’un club ou la personne qui porte le maillot argentin avec fierté même à un entretien d’embauche a des œillères. On se convainc avec rien, c’est notre problème. Le football argentin est éreintant. Ici, quand tu es coach, tu peux te faire virer à la pré-saison, c’est n’importe quoi. La place laissée aux vrais projets est minuscule.
Venons-en à ce River-Boca. Marcelo Bielsa disait qu’un match entre River et Boca engendre des émotions qui valent la peine d’être vécues. Vous partagez ça ?
Ça dépend. Un supporter de River ou Boca ne va pas profiter du match. Il le vit pendant un mois, il y pense quand le réveil sonne, il allume la télé et 25 chaînes parlent du match. Maintenant, si tu es neutre, tu peux profiter de cette finale historique. Mais je peux t’assurer que les supporters de l’équipe qui va perdre vont se cacher pendant des mois.
Et justement, en tant que « neutre » , ce match vous fait vibrer quand même ?Je le vis différemment. Ce que je trouve beau, ce sont ces quelques folies que sont capables de faire les supporters pour leur club. Quand tu vois que les hinchas de Boca vont remplir la Bombonera pour un entraînement, c’est incroyable. Et ça touche le rival, c’est évident. Quand j’ai vu les supporters de River rester sous la pluie le jour où le match a été reporté, c’était magnifique.
Vous avez une relation particulière avec Carlos Bianchi qui, lui, est 100% Boca.
Oui, on est amis de longue date et on a travaillé ensemble à Vélez Sársfield, où il a entraîné entre 1993 et 1996. J’étais en quelque sorte le manager du club. On avait une identité particulière basée sur la formation des jeunes et ça fonctionnait très bien, avec de nombreux titres (trois torneos locaux, une Libertadores, une Copa Intercontinental et une Copa Interamericana). C’était l’équipe de la décennie. Quand il est parti à la Roma, il a tout fait pour que je prenne la suite. On a une belle histoire d’amitié depuis cette époque. Pour moi, il restera pendant très longtemps le meilleur entraîneur argentin.
Propos recueillis par Ruben Curiel