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Osasuna : la corruption ne s’oublie jamais
Qualifié en Ligue Europa Conférence après une belle septième place en Liga, Osasuna se retrouve privé de compétition continentale. Une affaire de matchs truqués, datant de la décennie passée, a refait surface au pire moment.
Qui a balancé ? C’est la question que se posent les dirigeants d’Osasuna depuis début juin. Alors que le club navarrais avait obtenu à la régulière la septième place de Liga, qualificative pour l’édition prochaine de la Ligue Europa Conférence, l’UEFA a annoncé ouvrir une « enquête disciplinaire » contre les Rojillos. Il leur est reproché des « événements survenus lors de la saison 2013-2014 », ayant entraîné en début d’année une condamnation par le tribunal suprême espagnol et donc une inéligibilité internationale. « Nous n’avons rien à voir avec la situation dans laquelle se trouve Osasuna », s’est rapidement défendu Jon Berasategi, le directeur général de l’Athletic Club. Car une sanction des voisins navarrais profiterait aux Leónes, qui ont fini huitièmes.
Pour comprendre comment on en est arrivé là, un retour en arrière s’impose. À la toute fin de la saison 2013-2014, Osasuna est en bien mauvaise posture. La relégation se fait de plus en plus menaçante, et les dirigeants de l’époque décident de jouer leur ultime carte pour accrocher le maintien : l’argent. L’objectif n’est pas de s’assurer la dix-septième place, mais bien de favoriser ses chances de l’obtenir. Pour cela, l’ancien directeur général Ángel María Vizcay a pris contact avec Antonio Amaya et Xavier Torres, deux joueurs évoluant au Real Betis, équipe dont la relégation avait alors déjà été mathématiquement actée. Il leur est proposé plusieurs centaines de milliers d’euros en échange de deux choses : remporter la 37e journée contre le Real Valladolid – autre rival pour le maintien – et perdre le dernier match, contre Osasuna. En mai 2014, le Betis s’impose par 4-3 contre Valladolid, avant de s’incliner sur la pelouse navarraise par 2-1.
De l’argent jeté par la fenêtre
Si les résultats généreusement payés par la direction d’Osasuna ont bien été obtenus, ceux des autres équipes n’ont pas joué en leur faveur. Le club de Pampelune termine donc la saison en dix-huitième position, synonyme de relégation. Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, Antonio Amaya et Xavier Torres réclament finalement un million d’euros. Osasuna n’est en mesure de leur fournir que 650 000 euros ; 400 000 pour le match contre Valladolid, 250 000 après la victoire d’Osasuna, déposés en liquide dans un hôtel madrilène. Pendant plusieurs mois, les deux joueurs du Betis réclament avec insistance le reste de l’argent. Ce qui a sans doute conduit au craquage d’Ángel María Vizcay, qui avouera toute la supercherie face caméra, en janvier 2015 dans les bureaux du président de la Liga, Javier Tebas.
L’affaire sera jugée en avril 2020 par le tribunal de Navarre, qui condamne les neuf mis en cause – parmi lesquels se trouvait également le président d’Osasuna de l’époque, Miguel Ángel Archanco – à de peines de prison allant jusqu’à huit ans et huit mois. Mais c’est le verdict final, rendu en janvier dernier par le tribunal suprême espagnol, qui a acté la sanction des Navarrais à l’échelle européenne. Les magistrats ont rappelé qu’on ne peut parler de corruption lorsque l’on paye des joueurs pour gagner un match – ceci étant l’essence même de leur métier. Néanmoins, le « double accord économique, conclu pour que le Betis gagne le Real Valladolid lors de la 37e journée et se laisse gagner à Pampelune contre Osasuna lors de la 38e journée, est un délit pénal de corruption sportive ». Ce qui change tout.
Seul contre tous
Rendue par la plus haute instance juridique espagnole, cette décision marque un coup d’arrêt aux rêves européens d’Osasuna. Car l’article 4.01g du règlement des compétitions de l’UEFA stipule qu’un club souhaitant y participer ne peut pas « avoir été impliqué ni directement ni indirectement, depuis l’entrée en vigueur de l’article 50, alinéa 3, des Statuts de l’UEFA, soit depuis le 27 avril 2007, dans une activité propre à influencer de manière illicite le résultat d’un match. » Si les instigateurs du match truqué ne sont évidemment plus en poste, ils ont agi dans l’intérêt d’Osasuna, avec son argent et sous mandat du club. Dans son premier communiqué sur le sujet, Osasuna a d’ailleurs tenté de rappeler qu’il n’a pas été condamné en tant qu’entité et que les responsables, en plus d’avoir été poursuivis judiciairement, « ont gravement porté atteinte à la réputation » de l’équipe. Le club cherche, en vain, à se dissocier de son ancienne direction. Car tout le monde sait, même au siège des Rojillos, qu’on n’accepte pas un héritage sans prendre les dettes qui vont avec. Les chances de se sortir d’un tel pétrin, même dix ans après, sont presque inexistantes. C’est peut-être aussi pour cela que la Juventus cherche à s’autodisqualifier de cette même compétition.
Le 23 juin, Osasuna annonçait publiquement avoir reçu un avis défavorable des inspecteurs de l’UEFA. La Ligue Europa Conférence s’éloigne tellement qu’elle semble hors du champ de vision. « Nous sommes préparés au pire, mais nous n’allons pas mettre de côté la devise qui nous accompagne depuis neuf ans dans la reconstruction du club : Osasuna n’abandonne jamais. » Malgré cet état d’esprit affiché, les Navarrais se savaient déjà condamnés, et il ne leur restait plus qu’à chercher des coupables. Inutile de s’en prendre à l’Athletic, qui nie en bloc toute délation, autant donc s’attaquer à ceux qu’on aurait aimé avoir de son côté. C’est la fédération espagnole qui a été prise pour cible ce même vendredi soir, peu après 23h. Il est reproché à la RFEF, et particulièrement à son président Luis Rubiales, de ne pas avoir « défendu l’un des principaux clubs du football espagnol », alors même qu’elle « n’a eu aucun mal à le faire avec un autre club appartenant à sa fédération ». Et hop, une balle perdue, probablement en direction de la capitale catalane. Osasuna qualifie les déclarations de la RFEF d’« exercice de cynisme », tandis que l’instance exige que « les auteurs de ces déclarations s’excusent publiquement. » Ce qu’Osasuna ne risque pas de faire, ajoutant au contraire que « les faibles sont sacrifiés au profit des plus forts ».
Tout reprendre à zéro
La saison 2022-2023 d’Osasuna fut celle de tous les succès. Une place en finale de la Coupe d’Espagne – perdue contre le Real Madrid (1-2) –, mais surtout une qualification européenne, la première depuis l’édition 2006-2007 de Ligue Europa, pendant laquelle les Navarrais avaient atteint les demi-finales. Les hommes de Jacoba Arrasate ont réalisé une remarquable campagne et se trouvent pénalisés alors que peu d’entre eux devaient avoir connaissance de l’affaire. Mais ce n’est pas le genre de choses que l’UEFA oublie. Il reste dorénavant à savoir pendant combien de temps Osasuna ne pourra pas participer aux compétitions européennes. Cette année, c’est l’Athletic qui devrait prendre la place de son voisin. Ce ne sera pas la première fois que le club basque profite de décisions judiciaires. En août 2011, l’expulsion du Fenerbahçe – pour une autre affaire de matchs truqués – avait permis aux Leónes de se qualifier directement pour la phase de groupes de la Ligue Europa. Les Turcs s’étaient rattrapés dès la saison suivante, atteignant les demi-finales de cette même compétition. Osasuna sait désormais ce qu’il lui reste à faire.
Par Jérémy Lequatre-Garat