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Osama, le réfugié syrien devenu entraîneur espagnol
Le monde l'avait vu se faire crocheter par une journaliste hongroise, son fils dans les bras, alors qu'il tentait de passer la frontière entre la Serbie et la Hongrie. Quelques mois plus tard, Osama Abdul Mohsen, réfugié syrien, reçoit chez lui, à Getafe. Où il a retrouvé sa passion : entraîner.
Zaid se cache derrière la porte de sa chambre. Il s’avance, laisse entrevoir sa coupe au bol, explose de rire, puis disparaît à nouveau. Dans le salon de leur appartement cossu de Getafe, dans la banlieue sud de Madrid, Osama Abdul Mohsen, son père, et Mohamed, son grand frère de dix-sept ans, sourient nerveusement. Arrivés en Espagne dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015, les trois Syriens ont enfin droit à un peu de confort et de tranquillité. Depuis leur départ de Deir er-Zor, à l’ouest de la Syrie, fin 2012, à la suite des tortures des fidèles de Bachar et à l’arrivée de Daech, leur vie n’a été que fuite et camps de réfugiés. Une longue traversée de l’Europe : « Plus de deux ans à Mersin, en Turquie, puis un bateau pour la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche et enfin l’Allemagne, à Munich. » Leur destination finale, jusqu’à ce coup de fil de Miguel Galan. L’homme qui avait fait suspendre Zidane lorsqu’il entraînait encore le Real Madrid Castilla est le directeur du Centre national des entraîneurs de football (CENAFE). « Je lisais sur internet l’interview du jeune Mohamed par un journaliste d’El Mundo, raconte celui qui vise la présidence de la Fédé espagnole (RFEF). À un moment, le garçon précisait que son père était coach en Syrie. J’ai envoyé un tweet au journaliste, puis on a localisé Osama à Munich, où il venait de rejoindre son fils. Un de nos élèves qui parle arabe leur a téléphoné et proposé de venir chez nous. Ils ont accepté tout de suite. » Mohamed Labrouzi, l’élève en question, voyage dans la foulée en Allemagne et rentre en train accompagné des trois Syriens, que l’appart’ rue de Madrid dans lequel joue aujourd’hui Zaid, mis à disposition par le CENAFE et la mairie de Getafe, attendait.
Les visages d’Osama et de Zaid, en pleurs, avaient déjà fait le tour du monde. C’était lors de leur passage de la frontière entre la Serbie et la Hongrie, en compagnie de nombreux autres réfugiés. Petra Lazslo, journaliste hongroise, avait lâchement fait trébucher le père et son fils devant une dizaine de caméras. « Pourquoi ? Je me demande encore, pose timidement Osama, dans un anglais approximatif. Du racisme, j’imagine. Mais c’est du passé. Aujourd’hui, on est très reconnaissant envers le peuple espagnol, qui nous traite merveilleusement bien. Dans la rue, on me demande toujours si ça va et si j’ai besoin de quelque chose. » En plus des cours et du travail administratif au CENAFE, le Syrien a retrouvé sa passion : entraîner. Miguel Galan lui a confié les U17 du SR Villaverde Boetticher CF, club proche de Getafe dont l’équipe première vient de monter en troisième division pour la première fois depuis la saison 1990-1991. À l’époque, Osama Abdul Mohsen faisait l’histoire avec Al-Fotuwa SC, à Deir er-Zor, en décrochant deux titres de champion (1990, 1991) et trois Coupes de Syrie consécutives (1989, 1990, 1991). « Depuis le début de la guerre, le club n’existe plus vraiment. J’échange avec quelques-uns de mes anciens joueurs. Certains ont trouvé un club à Damas, mais la plupart sont réfugiés en Allemagne, en Belgique, en Suède ou en Turquie. » Le même sort est réservé à la femme de l’entraîneur et à ses deux autres enfants, toujours à Mersin, sur la côte méditerranéenne turque, proche de la frontière syrienne. « Cela fait dix mois qu’on essaye de leur faire faire des papiers pour qu’ils puissent les rejoindre à Getafe, peste Miguel Galan. L’ambassade d’Espagne à Ankara est un désastre, c’est un véritable scandale. Ici, on a obtenu les permis de séjour pour Osama et ses deux fils, qui sont scolarisés et inscrits au club de Villaverde. »
Dans le salon, une maquette de Bernabéu et deux ballons signés par les joueurs du Real Madrid trônent sur les étagères. « Le club nous a invités à rencontrer les joueurs et à assister à plusieurs matchs, s’enthousiasme Osama. On a aussi pu discuter avec des anciens : Hierro, Salgado, Raúl et Roberto Carlos. Pour nous, c’est vraiment exceptionnel. En Syrie, le Real est, de loin, l’équipe la plus suivie. » Le père et son plus grand fils n’ont pas manqué de suivre de près l’Euro, sans être d’accord sur leur favori. « Moi, je croyais beaucoup en l’Espagne, lance Osama. Je voulais les voir gagner. Mais l’Italie a été meilleure. Ce n’est pas la faute du système ou de Del Bosque, ce sont les joueurs qui n’ont pas été au niveau. J’aurais aimé voir Isco, un de mes joueurs préférés, qui avait selon moi un profil différent. Sinon, l’Islande m’a beaucoup plu, et j’étais content de voir la Hongrie éliminée. » Vraiment ? « Non, je plaisante. Ce n’est que du sport. » Mohamed, fan d’Özil depuis son passage par Madrid, était lui plutôt derrière la Mannschaft. « Je suis arrivé bien avant mon père et mon frère à Munich, où j’ai passé neuf fois dans un camp de réfugiés. Franchement, c’était bien, on jouait beaucoup au foot. C’était avant la grosse vague de réfugiés, donc c’était plus tranquille. Je communique toujours avec des Syriens encore là-bas. Ils suivaient aussi l’Euro et on était d’accord sur le fait que l’Allemagne avait la meilleure équipe. » Sa voix est posée comme celle de son père, mais son anglais est meilleur. Il se souvient de Deir er-Zor avant la guerre. « C’était plus simple qu’ici. Il n’y avait pas autant de barrières et de bureaucratie. Mais maintenant, Getafe, c’est chez nous. En Europe, les bons jeunes joueurs ont un avenir merveilleux. Moi, j’aimerais jouer en Liga et pour laRoja. Ça serait génial. » Pour lui, c’est sans doute déjà trop tard. Mais pour Zaid, sept ans, l’espoir est permis. Il est attaquant. Et sait déjà se cacher dans les petits espaces.
Par Léo Ruiz