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Ortigoza, le gros tireur de pénos de San Lorenzo
Ce soir, devant ses fans, San Lorenzo aura une occasion en or de remporter sa première Copa Libertadores. Au milieu, El Ciclón pourra compter sur l'expérience et la précision de ce drôle de Néstor Ortigoza. Gros, spécialiste des penalties depuis qu'il misait son fric là-dessus dans les bidonvilles de Buenos Aires, mondialiste avec le Paraguay de Tata Martino et revenu de l'enfer avec San Lorenzo, El Gordo est un joueur à part. Mais précieux.
Sur la photo d’avant-match, ils ne sont pas onze, mais dix plus un. Difficile à croire, en effet, que le gros avec le numéro 20 qui pose avec le reste des titulaires de San Lorenzo d’Almagro soit un joueur de foot professionnel. Un bide imposant, un visage joufflu. Peut-être un Rémy Gaillard argentin, ou un supporter du Ciclón qui a gagné le concours de sa vie : passer cinq minutes sur le terrain avec ses idoles. Mais non, El Gordo prend bel et bien place au milieu de terrain, sans que personne ne s’en étonne. Il s’agit pourtant de la finale aller de la Copa Libertadores, entre Nacional, du Paraguay, et San Lorenzo, d’Argentine (et du pape François 1er). Et ce n’est pas tout : Ortigoza, comme indique son maillot, est le seul joueur de l’équipe du quartier de Boedo à être applaudi par les 36 000 spectateurs présents au stade Defensores del Chaco d’Asunción. Pendant 90 minutes, Ortigoza fera avec Mercier, son compère chauve, la loi au milieu : récupération, distribution, jeu court, jeu long. El Negro a certes la vitesse de pointe de William Servat, mais il joue juste. Il est précis. Il remporte ses duels. Il ne se trompe jamais. Il est le patron.
Concours de pénos
L’histoire de Néstor Ezequiel Ortigoza commence sur un malentendu. Le bonhomme devait s’appeler Jonathan. Problème, il naît en 1984. La guerre des Malouines est trop proche et son prénom, « trop anglais » , est refusé à ses parents par l’état civil argentin. Tant pis, à la maison, on l’appelle Jonathan quand même. Né dans une famille pauvre aux origines paraguayennes, dans la banlieue ouest de Buenos Aires, Ortigoza passe son temps dans les potreros de Merlo, de Moreno ou de Paso del Rey, à jouer des matchs où tous les coups sont permis sur des terrains caillouteux, et à disputer des concours de pénos. Le principe est connu : chaque participant met un billet, et celui qui remporte la séance, qui dure généralement des heures, rentre chez lui avec le pactole. De l’argent qui, occasionnellement, donne de quoi manger à la famille. Doué avec le ballon dans les pieds, El Negro entre au centre de formation d’Argentinos Juniors, dont sont sorties deux grandes référénces à son poste, Sergio Batista et Fernando Redondo. « Mon père se cassait le cul pour m’aider, pour m’acheter une paire de chaussures de foot, pour que je prenne le bus pour aller m’entraîner. Je regarde toujours dans le rétro pour ne pas oublier à quel point j’ai galéré pour en arriver là. C’est pour ça que je défends ma place comme si c’était une mine d’or » , pose-t-il. Avec son physique particulier, Ortigoza franchit les étapes, s’impose au Bicho en première division (avec, déjà, Mercier à ses côtés), remporte le championnat en 2010 et gagne sa place pour l’Afrique du Sud. Avec le Paraguay.
Une Coupe du monde et un barrage pour le maintien
Son style plaisait à Tata Martino. Alors, Ortigoza s’est nationalisé en 2009, a disputé les deux derniers matchs de qualification pour la Coupe du monde, et a atteint les quarts de finale en Afrique du Sud et la finale de la Copa América un an plus tard. Chez lui, en Argentine. Un des cinq grands du pays, San Lorenzo, vient alors le chercher à Argentinos pour 2,5 millions de dollars. Mais les temps sont durs pour El Ciclón et l’équipe de Boedo se retrouve au bord du gouffre, à jouer un barrage contre Instituto de Córdoba pour ne pas descendre en deuxième division. Une victoire 2-0 à l’extérieur avait donné un peu d’air aux Cuervos, mais lors de la définition à domicile, Instituto ouvre le score à 20 minutes du terme et tend considérablement l’atmosphère. Quand l’arbitre siffle penalty pour San Lorenzo, personne n’ose aller chercher le ballon. Personne, sauf le spécialiste, Néstor Ortigoza. El Gordo envoie ça au fond, en force, comme d’habitude, et libère les 40 000 supporters présents au Nuevo Gasometro. À la fin du match, le héros s’attrape les parties génitales : « J’avais dit que j’avais une grosse paire de couilles, parce que certains disaient que je ne voulais pas jouer ce match. C’était un sale moment. On avait un vestiaire compliqué, on n’était pas payés depuis des mois, tous les jours c’était le bordel. Alors maintenant, il faut profiter et entrer dans l’histoire. »
Buteur à l’aller
L’histoire, c’est cette Copa Libertadores, dont Ortigoza et les siens disputeront la finale retour ce soir, seulement deux ans après ce barrage épique face à Instituto. San Lorenzo est le seul des cinq grands clubs d’Argentine à ne jamais l’avoir gagnée, ce qui fait tache, et rire ses détracteurs (d’autres comme Argentinos Juniors, Vélez Sársfield et Estudiantes La Plata ont au contraire la coupe dans leur salle des trophées). Après avoir tapé les poids lourds de la compétition, les Brésiliens de Grêmio et de Cruzeiro, et atomisé les Boliviens de Bolivar en demi-finale, San Lorenzo est le grand favori pour le titre face à Nacional. L’équipe, façonnée par Pizzi (parti entraîner le FC Valence depuis) et améliorée par El Paton Bauza, a fière allure. La paire de récupération, Ortigoza-Mercier, est son poumon. Mais El Gordo revient de loin. Des Émirats arabes unis, précisémment, où il est allé se remplir les poches le temps d’une saison. De retour l’année dernière dans une équipe autrement plus saine et compétitive, avec laquelle il a décroché son deuxième titre national, Ortigoza s’est refait une place à coups de bonnes performances. À l’aller, il est à l’origine du but des siens, qui ont toutefois dû concéder le nul à la dernière minute malgré une nette supériorité. Et si dans un Nuevo Gasometro en ébullition, l’histoire se joue encore une fois depuis les 11 mètres, El Gordo sera le premier à demander le ballon.
Par Léo Ruiz, en Argentine