- Hongrie
- Portrait
Orbán fils, du foot à la secte
Il a rencontré Benoît XVI et prêche aujourd’hui pour le compte d’une chapelle distribuant des anneaux de chasteté. Mais avant de se consacrer au sacerdoce sans soutane, Gáspár Orbán, rejeton du Premier ministre hongrois Viktor, pensait qu’il percerait sur les gazons, à l’instar de son homonyme Lucas. Raté.
Dans la dynastie Orbán, il y a Viktor, le dirigeant conservateur magyar borderline qui bloque les migrants avec des barbelés, admire Trump, encense Poutine et tue le mythique quotidien de gauche Népszabadság. Anikó, sa fidèle épouse entrepreneuse prospère et auteure de bouquins de cuisine. Ráhel, son aînée négociant pétrole à Bahreïn sans titre officiel et ancienne manager d’hôtels de luxe. Et il y a Gáspár, unique garçon entre cinq filles, propulsé vers les pelouses grâce à l’entregent du clan. Élevé au sein d’un gynécée, Gáspár s’est retrouvé parachuté sur le même spot central au Videoton. Il s’imagine dès ses débuts en octobre 2010 à la baguette du « Vidi » tel Zoltán Gera tenant tête à l’Atléti avec Fulham en finale d’Europa cette année-là. Après tout, quoi de mieux que le club favori de son géniteur pour le rendre fier ? Certes, mais Gáspár n’a pas enchaîné les mercredis aprem’ en poussins ou les matchs de district en mode champ de patates histoire d’affûter la bête. Donc il galère.
Piges ectoplasmiques
Le « Vidi » lui donne tout de même sa chance avec son effectif bis évoluant en D2 maison. Pour sa première, Gáspár obtient deux cent quarante secondes en fin de rencontre face au Kozármisleny SE. Puis passe pro par miracle en juillet 2011. Joue douze bouts de match. Débarque à l’hiver 2012 dans la foulée à la Puskás Akadémia voulue par son paternel footeux. Rate huit journées de championnat à cause d’une « inflammation mystérieuse » . Retourne au Vidi relativement déconfit durant l’été 2013. L’espoir renaît en dix minutes de Coupe de la Ligue, mais l’apprenti juriste gicle faute de régularité. Intervient alors la découverte de l’élite avec l’Akadémia. Deux piges ectoplasmiques dont une titularisation foirée en Coupe (carton rapide, sortie à la pause) et un quart d’heure en fin de match lors d’une raclée 0-4 infligée par le Honvéd. Gáspár se blesse et stoppe en avril 2014.
Bilan ? Quatorze matchs officiels, 347 minutes, un but oublié. Côtoyer Kleinheisler et bénéficier des largesses du chef de l’État n’a pas suffi à faire de lui un prodige. « Honnêtement, c’est un milieu de terrain habile qui essaie de récupérer la balle avec une dose d’agressivité bien équilibrée et qui donne un coup de main non négligeable sur les séquences offensives. Un jeune hyper volontaire qui aime l’esprit de groupe et se joint à nous, même s’il est malade ou blessé. Il n’y a absolument aucune pression sur Gáspár. Viktor Orbán ne commente en aucun cas la construction de l’équipe » , jurait ses grands dieux Miklós Benczés, ex-entraîneur du gamin à la Puskás.
« S’enivrer du Tout-Puissant »
Après ses trois saisons guignardes, Gáspár fonce en Ouganda pour un trip humanitaire où il apprend le ballon rond aux gamins. Véridique. La rumeur persistante raconte que le papounet aurait dépêché le SWAT hongrois afin de rapatrier sa progéniture en quête de sens. Bon prince, il l’amène en finale du Mondial brésilien secteur VIP à un cheveu d’Angela Merkel, Sepp Blatter et Vladimir Poutine. L’affaire se transforme en usine à mèmes. Gáspár atterrit derrière Mohamed Ali, terrassant Sonny Liston ou près du Christ and co pendant la Cène.
Le souffre-douleur ordonne qu’on lui fiche la paix et déniche justement son salut auprès du Seigneur. Mû par son prénom de roi mage, Gáspár adhère tellement aux forces de l’esprit qu’il devient l’un des principaux prédicateurs de la secte pentecôtiste Felház, spécialiste des fiestas mixant rock chrétien et lectures de la Bible à Budapest. Une bande de joyeux drilles rejetant les verres au profit des versets. Culotté, quand on sait que la plupart des jeunes ciblés préfèrent boire dans les ruin-pubs de la capitale.
« Nous ne sommes pas une Église, mais il y a six mois, nous avons ressenti un profond désir de créer un espace où les étudiants s’unissent avec Dieu. Plutôt que d’être ivres d’alcool comme ils le sont souvent le jeudi soir, nous voulons qu’ils s’enivrent de la présence du Tout-Puissant ! Nous avons grandi au point qu’il nous a demandé de rassembler un maximum de fidèles au Körcsárnok » , confessait le 16 avril dernier un membre de l’organisation. Et ce, cinq jours avant une grand-messe réunissant 2500 adeptes sous l’égide de Gáspár dans ce gymnase budapestois proche du stade Puskás et de l’Aréna Lászlo Papp. Main tendue vers le ciel façon télévangéliste, l’orateur appelle régulièrement ses ouailles à la virginité absolue avant le mariage comme son père martelant les valeurs religieuses à longueur de discours. Une quête circule au cours des sauteries, car les salles, le matos, les musiciens et le staff coûtent cher. Dans une vidéo vue près de 200 000 fois, l’espoir déçu reconverti en influent preacher à l’américaine cloue en une phrase le mantra de son crew : « La Felház est un lieu où tu peux rencontrer Jésus en personne tel qu’il est et tel que tu es. » Apparemment, endoctriner les foules est une vertu héréditaire.
Par Joël Le Pavous