- Euro 2016
- Qualifications
- Groupe D
- 5e journée
- Irlande/Pologne
« Ooh aah, Paul McGrath ! »
La sélection irlandaise dispute aujourd'hui un match de qualification important face à la Pologne, avec le souvenir de son âge d'or du début des années 90. Une époque marquée par les performances XXL de son atypique leader de la défense : Paul McGrath. Un taiseux rongé par la dépression, les problèmes d'alcool et les démons du passé, pourtant encore aujourd'hui considéré comme l'un des meilleurs stoppeurs de l'histoire de la Premier League et de l'équipe nationale irlandaise.
« Paul McGrath ? Meilleur que John Terry et Tony Adams réunis. » Le compliment n’est pas signé d’un fan énamouré, mais de l’éminent Ron Atkinson, l’un des plus respectés entraîneurs anglais, celui-là même qui a fait venir McGrath à Manchester United en provenance de St Patrick’s Athletic en Irlande en 1982. Il n’a alors que 21 ans et une saison de semi-pro derrière lui, marquée déjà du sceau de l’excellence, avec une première récompense individuelle accordée par ses pairs : meilleur joueur du championnat irlandais. McGrath dira plus tard dans son autobiographie, Back from the Brink, paru en 2006, que cette période de jeune adulte à mi-temps au travail, à mi-temps dans le foot, constitue le moment de sa vie où il a été le plus épanoui, le plus équilibré. Mais son talent balle au pied est tel qu’il doit vite partir l’exprimer en Angleterre voisine et le club de Manchester United, qui le convoitait depuis un bon moment déjà.
Chez les Red Devils, le jeune Irlandais doit s’adapter au haut niveau. De milieu de terrain, il glisse rapidement en défense pour que sa lourdeur ne soit plus un si vilain défaut. Un choix tactique opéré par son premier mentor Ron Atkinson, qui s’avère être judicieux. McGrath devient vite l’un des meilleurs stoppeurs du championnat, grâce à une exceptionnelle puissance physique, un placement remarquable, un gros sens du sacrifice, une capacité à tacler à bon escient et un bon jeu de tête qu’il sait aussi exprimer offensivement pour marquer quelques buts sur coups de pied arrêtés. En 1985, MU remporte la FA Cup 1-0 contre Everton, à 10 contre 11 en prolongation, grâce à une prestation héroïque de son Irlandais à gros cœur, élu homme du match. Un premier sommet dans sa carrière, mais une époque où ses démons commencent déjà à le rattraper.
Brimades racistes à l’orphelinat
Car aussi talentueux soit-il et doté de qualités physiques naturelles hors normes, Paul McGrath doit composer avec un mental friable, conséquence directe d’une enfance pour le moins compliquée. Quand il naît le 4 décembre 1959 en banlieue de Londres, sa mère se cache de sa famille, et son père est absent. Il ne connaîtra d’ailleurs jamais ce dernier, qui a fui ses responsabilités. Sa mère, elle, a donc préféré partir d’Irlande en secret pour cacher cette naissance, fruit d’une union hors mariage, qui plus est avec un étranger… Dans le contexte de l’époque, avec l’emprise de la religion dans la société irlandaise, cette naissance n’a rien d’une bénédiction, et Paul est vite arraché à sa mère lorsque celle-ci retourne vivre à Dublin. L’enfant va grandir comme il peut en étant régulièrement déplacé d’un institut à un autre, subissant brimades et coups physiques, la faute à sa couleur de peau. « Peut-être est-ce le fait d’avoir grandi dans des orphelinats, mais je ne me suis toujours rabaissé, en tant que joueur comme en tant que personne, écrit-il dans son autobiographie. J’ai beaucoup subi le racisme quand j’étais enfant. À l’orphelinat, nous étions cinq enfants de couleur, on pensait être les seuls de toute l’Irlande. » S’il reçoit épisodiquement des visites de sa mère et de sa demi-sœur, les carences affectives qu’il subit alors le poursuivront ensuite toute sa vie d’adulte. Et quand il brille avec MU au milieu des années 80, il n’est pas heureux pour autant, commençant à boire plus que de raison dans un club gangrené par les problèmes d’alcool. Les premiers pépins physiques, qui lui pourriront toute la suite de sa carrière, commencent à l’éloigner épisodiquement des terrains. Période qu’il passe à picoler, notamment en compagnie d’un autre blessé de l’effectif, Norman Whiteside. C’est l’engrenage.
Joueur de l’année devant Ryan Giggs
Quand Alex Ferguson arrive à Manchester en 1986, il est bien décidé à assainir le vestiaire. Les bonnes performances de McGrath le protègent un temps, mais il finit par être poussé dehors en 1989. Le Naples de Maradona le veut, mais c’est finalement à Aston Villa qu’il débarque. Un choix judicieux : sous la houlette de son deuxième mentor Graham Taylor (futur sélectionneur de l’Angleterre), l’Irlandais va prendre ses aises à Birmingham, où il restera jusqu’en 1996, au point de devenir une légende locale. Il est encore aujourd’hui considéré par les supporters comme le meilleur joueur de l’histoire des Villans. Aux « ooh aah, Paul McGrath » régulièrement chantés par les fans irlandais – avant que cet hymne ne soit repris par le public d’Old Trafford pour célébrer Cantona – va s’ajouter le « Paul McGrath, my lord » de Villa Park, sur l’air de Kumbaya, un fameux chant traditionnel.
Avec sa recrue, Aston Villa termine deux fois à la deuxième place du championnat (en 1990 et 1993) et conquiert deux fois la League Cup en 1994 et 1996, la première fois en dominant le Manchester United d’Alex Ferguson, qui rendra un hommage appuyé à celui qu’il avait mis dehors cinq ans auparavant. En 1993, McGrath est élu joueur de l’année en Angleterre, devant le jeune Ryan Giggs, succédant à Gary Pallister et un an avant Cantona. En sélection aussi, il devient un indispensable, l’Irlande connaissant alors son âge d’or, avec Jack Charlton aux manettes. En 1990 puis en 1994, les Verts passent deux fois la phase de poules de la Coupe du monde. Pour leurs débuts dans la compétition au Mondial américain, ils créent la surprise en dominant 1-0 les Italiens, futurs finalistes, avec une énorme performance de McGrath, qui éteint Baggio, Signori, Donadoni and co malgré une épaule douloureuse.
Quatre tentatives de suicide
Toujours dans son autobiographie, le joueur reconnaissable à sa mine toujours un peu interloquée et à sa bouche fermée reconnaîtra : « Je retenais mon souffle en match pour ne pas que les autres joueurs sentent mon haleine » . Une haleine chargée d’alcool, conséquence d’une addiction qui ne le quittera jamais vraiment jusqu’à sa retraite en 1997, le corps meurtri par huit opérations aux genoux, la tête bousillée par quatre tentatives de suicide. Dans son ouvrage de 2006, il dit avoir dû disputer un match avec des bracelets éponge pour masquer ses cicatrices aux poignets, consécutives à des automutilations. La conclusion est de lui : « J’ai eu de merveilleux enfants, une magnifique carrière, des supporters m’ont adulé, je m’entendais bien avec mes coéquipiers et mes adversaires. Je ne pouvais rien rêver de mieux dans la vie. Et pourtant… Pourtant… Il y avait toujours quelque chose en moi me rappelant que je n’étais rien d’autre qu’une merde. Sans que je puisse l’expliquer. »
Par Régis Delanoë