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O’Neill et à la barbe
C'était tout sauf l'élu. Catholique, pas assez ronflant, Michael O'Neill aura donc mis presque cinq ans à se faire accepter à la tête de l'Irlande du Nord avec, à la clé, une qualification historique pour un championnat d'Europe. Entre les doutes et un fauteuil de roi.
Il doute. Serré dans son costume, il est seul. Peut-être plus que jamais. C’est un soir de septembre sans histoires, une soirée comme les autres et, assis au bout de son lit, il torture sa propre histoire. En face de lui, son destin. Luxembourg, son quartier bourgeois de Belair et son calme ne sont pas le meilleur endroit pour changer le cours d’une vie. Quelques heures plus tôt, l’Irlande du Nord s’est inclinée contre la sélection luxembourgeoise (2-3) au stade Josy-Barthel. Cette fois, c’est certain, elle ne verra pas le Brésil et terminera même avant-dernière de son groupe de qualifications à la Coupe du monde 2014 dans une poule menée facilement par la Russie et le Portugal. Alors, Michael O’Neill, à la tête de la Green and White Army depuis décembre 2011, a la tête basse : « Après cette campagne de qualifications, ils ne voudront plus de moi. Je ne suis même plus sûr de vouloir continuer à faire ça. » Billy McKinlay, son ancien adjoint, s’avance et lui affirme que « quelqu’un d’autre va arriver et profiter de tout le travail » qu’ils ont mis en place depuis un peu moins de deux ans. Personne n’est arrivé. Michael O’Neill n’a pas bougé, mais il n’est plus le même. Entre-temps, Belfast a chanté sa gloire. Car depuis cette nuit de septembre 2013, il a écrit l’histoire.
De la page blanche au Pulitzer
C’est l’histoire d’une page blanche devenue Pulitzer. Pour en parler, Michael O’Neill, 46 ans, préfère évoquer le « théâtre » . Plus de trente mois se sont écoulés depuis la défaite au Luxembourg. De cette soirée, il ne reste que les bases d’un travail de fond. « Le job de sélectionneur est vraiment compliqué. Je ne pense pas qu’entraîner des clubs vous prépare pour ce type de mission, mais, après une aventure de sélectionneur, vous pouvez aller dans n’importe quel club. Là, vous ne pouvez pas vendre un arrière droit et en acheter un nouveau. Vous devez trouver un arrière droit à Fletwood Town et lui donner le niveau international. En tant qu’entraîneur, vous l’auriez probablement directement vendu et vous en auriez acheter un nouveau » , expliquait O’Neill il y a quelques mois dans les colonnes du Guardian. Sauf que l’histoire a fait le reste, et l’Irlande du Nord est aujourd’hui en France pour disputer le premier championnat d’Europe de son histoire, où elle se trouve dans le groupe C avec l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine. Comment est-ce possible ? O’Neill est honnête : « Je ne sais pas. »
C’est simple : dans l’histoire, aucune sélection issue du chapeau cinq lors d’un tirage au sort pour les qualifications d’un Championnat d’Europe ne s’était qualifiée pour la phase finale. La surprise est de taille, le symbole aussi dans un pays marqué à vie par l’époque des Troubles et où la population protestante reste encore légèrement majoritaire. Les images défilent : le Bloody Sunday, l’IRA, le Sinn Féin, Tony Blair… Et au milieu, une sélection nationale en quête d’identité jusque dans son hymne. Pendant de longues années, de nombreux joueurs nord-irlandais ne souhaitaient alors pas jouer pour l’Irlande du Nord. Puis, la Fédération nord-irlandaise (IFA) a bossé en profondeur, a mis en place un programme de lutte contre le sectarisme, a uni les supporters de la sélection nationale – devenus progressivement l’un des meilleurs chœurs d’Europe – et a achevé le boulot en nommant le catholique Michael O’Neill sélectionneur national. Le reste n’est que magie pour un groupe qui a terminé en tête de son groupe de qualifications devant la Grèce, la Roumanie ou encore la Hongrie.
Le mélange des genres
La revanche est totale pour O’Neill, critiqué à sa nomination malgré son passé d’ancien international (31 sélections). Le poste est exigeant et le pays tout entier aurait voulu un nom plus ronflant qu’un ancien joueur relativement anonyme ayant cavalé entre l’Angleterre, l’Écosse et les États-Unis. La seule référence « solide » de Michael O’Neill est une qualification en Ligue Europa avec Shamrock Rovers en 2011-2012. Au départ, il voulait même en finir avec le monde « frivole du foot » , s’était lancé dans la finance, mais la passion est revenue. L’envie de transmettre à son pays aussi pour déchirer l’étiquette de faire-valoir collée sur le front d’une sélection dont la dernière participation à un tournoi international majeur remonte à 1986. Cette fois, l’Irlande du Nord tient son pari, et O’Neill a terminé sur une chaise de roi au moment de fêter la qualification contre la Grèce (3-1) en octobre dernier. Là est la réussite d’une unité nationale et d’un mélange des générations qui a pris, même si la qualité du jeu ressemble plus à la Grèce de 2004 qu’à l’Espagne ou l’Allemagne. C’est du pragmatisme avant tout.
Michael O’Neill est comme ça : en France, il s’avancera avant tout pour ne pas subir. Alors, il va garer le bus devant la défense avec un bloc très compact et s’en remettre à Kyle Lafferty – « le womanizer incontrôlable » selon le président de Palerme, Maurizio Zamparini -, Conor Washington ou encore Will Grigg « on fire » pour espérer gratter un huitième. Ce ne sera pas spectaculaire, mais O’Neill veut se servir de l’aventure en France pour construire le passage de témoin entre les générations dans un effectif où de nombreux joueurs prendront leur retraite internationale après l’Euro 2016. La Coupe du monde 2018 est donc devenue un objectif logique malgré un tirage difficile où l’Irlande du Nord devra se friter avec l’Allemagne, la Norvège et la Tchéquie pour espérer voir la Russie. O’Neill y pensera plus tard : « Aujourd’hui, l’essentiel est de ne pas avoir de regrets. Il faut vivre cette expérience à fond, exploiter toutes les possibilités. On n’a pas fait tout ce chemin pour s’écrouler facilement. » L’histoire ne fait que commencer.
Par Maxime Brigand
Propos de Michael O'Neill tirés du Guardian et de conférences de presse.