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- Manchester United–St-Étienne
« On va à Old Trafford comme si on allait à Créteil »
Après trente-cinq ans de vaches maigres, les supporters stéphanois se préparent ont traversé la Manche pour une nouvelle épopée. Direction Old Trafford.
J-2, Saint-Étienne. Question effervescence, le peuple vert n’a rien à envier à un Efferalgan. Dans cette grande pharmacie qu’est la préfecture de la Loire, certains commencent à fourrer leur maillot et leur écharpe dans leur valise. D’autres essaient encore d’obtenir une place pour Old Trafford. Tous espèrent vivre l’un des plus grands matchs de leur vie et goûter à une épopée capable de rafraîchir l’histoire d’un club qui vit encore aujourd’hui sur les exploits d’un autre temps. Sur le plan sportif, ce déplacement à Manchester United n’est pas à un cadeau. Parce qu’après un début de saison contestable, les Red Devils ont fini par trouver leur rythme de carburation. Pas pour rien qu’ils restent sur seize rencontres sans défaite en Premier League. Le genre de série qui peut laisser penser que Zlatan Ibrahimović, Paul Pogba et José Mourinho vont ricaner quand ils vont voir débouler Kévin Malcuit et Nolan Roux dans le « Théâtre des Rêves » ce soir. Une branlée en perspective ? Peut-être. En attendant, les supporters stéphanois préfèrent retenir le doux parfum de ce rendez-vous, celui des grands soirs, au point qu’on en oublierait qu’il ne s’agit « que » de la « petite » Coupe d’Europe et que trente-deux équipes sont encore engagées.
Pierrick et les déplacements à Gueugnon
Supporter de la première heure, Pierrick a organisé son voyage outre-Manche depuis déjà plusieurs semaines. Billet d’avion, hôtel, sésame d’entrée à Old Trafford, tout a été minutieusement préparé. Pierrick a quarante ans et la moitié à suivre les Verts partout où ils se produisent : « Lorsque j’ai vu le tirage, j’ai tout de suite repensé à ces rencontres passées dans le parcage, à Créteil, à Gueugnon lorsqu’on était en Ligue 2. Cette affiche-là, elle a un petit goût de Ligue des champions. Ça fait rêver, c’est pour ces moments-là qu’on suit le club où qu’il aille. C’est vrai qu’on aurait pu aller plus loin dans la compétition en tirant une autre équipe. Mais comme on sait qu’on ne la gagnera jamais, autant se faire plaisir avec ce genre d’affiche » , confiait-il à trois jours de l’échéance, en fêtant les vingt-cinq ans des Green Angels au milieu des siens.
Les Red Devils sont plus forts sur le plan sportif ? Qu’importe, les supporters entendent démontrer qu’ils s’attachent aussi à autre chose. Que le football, pour eux, se vit au moins autant en tribunes que sur le terrain. « On a tous cette image d’une atmosphère un peu molle dans les stades anglais. Nous, on va nous entendre chanter tout au long du match. On y va comme si on allait à Créteil, tout en sachant que l’on risque de perdre » , poursuit Pierrick.
Aurélien, Cantona que l’amour
Club légendaire, affiche de prestige, oui. Mais Manchester United, ce n’est pas que ça. « Ça n’aurait pas été la même chose si ça avait été Chelsea » , lance Aurélien, un autre fidèle. Ce supporter des Verts n’avait que vingt ans, en 1997, lorsqu’il a foulé le sol mancunien pour la première fois. Venu faire un stage au musée des sciences et de l’industrie, le gamin qu’il était ne poursuivait en fait qu’un seul objectif : tenter de rencontrer « Monsieur Éric Cantona » … Le King lui fut présenté à peine quelques heures après son arrivée. Inutile de dire qu’Aurélien a bondi au plafond lorsqu’il a eu vent du tirage au sort. « J’ai espéré Manchester. Pour réaliser un rêve une seconde fois. Parce que c’est un souvenir de gosse. Parce que Canto a représenté énormément pour les gars de ma génération. Et puis aussi, parce que c’est un club de prolos, et sur ce point, il y a une ressemblance avec Sainté. Les deux clubs sont de vrais représentants de ce qu’on appelle la culture foot. »
Agathe the power
Stéphanoise récemment expatriée en Angleterre, Agathe a vingt-quatre ans et aime le grand et le beau football. Mais aussi Stéphane Ruffier. Forcément, l’ASSE compte beaucoup pour elle. Mais depuis qu’elle est gosse, c’est Manchester qu’elle suit avec ferveur tous les week-ends, maillot de Rooney sur le dos. Voilà trois mois qu’elle trépigne d’impatience à l’idée d’assister à la rencontre entre son club de cœur et celui qui l’exalte. Qu’elle tente par tous les moyens d’obtenir une place pour Old Trafford. Après avoir remué ciel et terre, envisagé de traverser tout le pays en bus pour rejoindre un groupe de supporters mancuniens qu’elle ne connaît ni d’Ève ni d’Adam Ounas, mais qui pourraient lui en dégoter une, Agathe a fini par s’incliner devant la réalité : aucun citoyen français ne sera autorisé à entrer dans le stade hors du parcage visiteur. Question de sécurité. « Le football, ce n’est pas juste voir une équipe gagner ou perdre. C’est vivre des moments dont on se souviendra toute sa vie. Cette affiche, c’est celle dont je n’avais jamais osé rêver. Et elle va me passer sous le nez » , déplore la jeune femme.
Ici, l’excitation gagne du terrain. Parce qu’à défaut d’être aujourd’hui supporters d’un très grand club, les fans des Verts méritent une affiche d’un tel calibre. Une récompense pour les années de désillusion et les rencontres parfois ennuyeuses, où ils étaient là, malgré tout, avec ardeur et exaltation. Le parcage visiteur a prévu de faire un peu de bruit ce soir. Agathe devra avoir une ouïe fine pour mesurer l’ampleur du boucan. Car Agathe passera la soirée dans un pub de la ville et dédramatisera vite : « Tant que la bière est fraîche… »
Par Cerise Rochet, à Saint-Étienne