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« On trouve partout des filles qui sont passionnées »
De belles images, des filles badass, et un amour irrationnel pour ce foutu ballon rond. Tout ça, c’est Footeuses, documentaire de 45 minutes qui raconte la passion du foot au féminin et sort ce vendredi sur Youtube, pour compléter la série « Ballon sur bitume » de Yard. À l’heure de la pause dej, les deux réalisateurs Lyna Saoucha et Ryan Doubiago se sont posés pour raconter cette aventure.
Quel a été le point de départ de la réalisation de ce documentaire ?Lyna Saoucha : Avec la Coupe du monde 2018, on se sentait très proches des mecs de l’équipe de France, mais j’étais incapable de citer des joueuses de l’équipe féminine. Alors que la plupart de mon travail s’inscrit dans la représentation des femmes, via mon site Vraies Meufs sur lequel je fais des portraits de femmes. Ces filles-là, on ne les voit pas, elles n’existent pas dans l’espace médiatique et l’espace en général. L’idée du documentaire était de se demander : elles sont où, ces filles qui jouent au foot ? Pourquoi on ne les voit pas ? À quoi ressemble leur quotidien ? Le but n’était pas de faire le focus sur les grandes athlètes, mais de voir comment ces filles évoluent et grandissent à travers le foot. Je n’ai pas de background cinéma ou vidéo, et c’est là que Ryan est entré dans la matrice. Ryan Doubiago : Je pensais qu’il serait beaucoup plus centré sur le foot. On s’est rendu compte que c’était plus grand que juste le foot, qu’on voulait parler de tout l’écosystème du foot féminin, et surtout montrer d’où viennent ces filles, pourquoi elles sont aussi passionnées, comment le foot crée des liens à travers elles. Mais aussi la question de la féminité, creuser un peu plus profondément autour des clichés qui entourent le sport, montrer les personnes qui le composent.
Vous avez constaté des changements sur la situation du foot féminin en France, avec la Coupe du monde 2019 ?
Lyna : Les joueuses de l’équipe de France ont beaucoup plus été mises en avant, et beaucoup de Français les ont suivies à ce moment-là. Le Mondial a fait des records d’audience, on avait rarement vu ça. Il y a eu beaucoup de travail fait par les médias, les équipementiers, pour mettre en avant ces filles-là : par exemple, c’est la première Coupe du monde où les filles jouaient avec un maillot féminin créé pour elles. Aujourd’hui, les gens savent qui est Wendie Renard ou Amel Majri. Cela a créé encore plus de modèles et de voies à suivre.Ryan : Ça n’est pas dans le doc, mais Laure Boulleau nous a dit que c’était la première fois qu’il y avait autant de caméras pour un match féminin que pour les hommes. Ça change beaucoup de choses.
Le documentaire parle des difficultés que peuvent rencontrer ces filles avant de pouvoir s’épanouir dans le foot. Dans les échanges que vous avez eus, quelle est la plus grosse barrière qui ressort ?Ryan : Pour la plupart, la grosse barrière est de pouvoir trouver un terrain où elles sont acceptées, dans les quartiers ou à Paris, parce que les mecs ne veulent pas que les filles jouent. Elles ont dû faire leurs preuves avant de pouvoir se mélanger à eux. Il y a aussi la question de la famille. Les garçons sont beaucoup plus soutenus que les filles, pour lesquelles on remet toujours en question leur choix. La plupart des filles, leurs parents ne viennent pas voir leurs matchs, elles ont dû sortir en cachette pour commencer, c’est très commun. Quand on parle aux entraîneurs, la plupart des filles qui doivent arrêter, c’est à cause de ça : leurs parents ne les laissent pas jouer.Lyna : Quand tu es une fille, on va partir du postulat que tu ne sais pas jouer, on va commencer par te mettre au but, et ensuite on te laisse jouer sur le terrain. Elles expliquent toutes qu’elles sont obligées de caler au moins un geste technique pour faire comprendre aux mecs qu’elles savent jouer et pour qu’ils les acceptent.
Ces filles-là, elles ont toutes commencé le foot avec des garçons, et à partir de 13-14 ans, on leur dit qu’elles ne peuvent plus jouer avec eux, qu’elles sont trop grandes. La plupart d’entre elles partent de leur club pour trouver une section féminine, ou alors elles essaient de faire leur propre section féminine, comme Imène (Slimani, qui intervient dans le doc) essaie de le faire à la Goutte d’or par exemple. Aujourd’hui, ça change : voir qu’il y a des écoles de foot pour les petites à partir de six ans, c’est déjà incroyable.
Le film se concentre sur Paris et sa banlieue. C’est plus simple pour une fille de pouvoir découvrir le foot en région parisienne ?Lyna : On a surtout tourné en région parisienne par rapport aux coups de cœur qu’on a eus pour certaines filles et pour des raisons pratiques. La région parisienne est une zone d’effervescence en matière de football, chez les garçons comme chez les filles. Mais ce qui est intéressant dans le foot féminin, c’est que l’épicentre se trouve à Paris, mais aussi à Lyon, avec l’Olympique lyonnais qui est certainement le plus gros club féminin en Europe. Il existe des structures partout, ce qu’on voit en région parisienne, c’est assez représentatif de ce qui se passe en France. C’est plus compliqué quand on est éloigné des grandes villes, mais on trouve partout des filles qui sont passionnées.
Ce titre, Footeuses, n’est pas anodin. C’est un mot que l’on n’entend que très peu dans sa forme féminine. Ryan : Je crois que Jesse, le co-real de Ballon sur bitume, avait demandé à Grace (Geyoro) comment elles s’appelaient entre elles, et elle avait répondu « footeuses » . Quand tu penses à ce mot, tu as peut-être un stéréotype en tête, et on voulait montrer les différents types de footeuses que l’on peut trouver.
Il y a une rencontre, une fille qui vous a particulièrement marqués ?Ryan : La seule fille qui n’était pas prévue dans le documentaire, c’est Inès (Beznia, joueuse du Red Star). Il y a une scène au tournoi de Bondy où on interviewe un groupe de mecs, je voulais juste avoir leur avis sur pourquoi ils étaient là à un tournoi féminin et elle s’est directement incrustée. C’était complètement par hasard. Elle les a descendus, et ensuite on a décidé de la suivre pour le reste du documentaire et elle en est devenue l’une des stars. Lyna : J’ai beaucoup apprécié les mamans de l’Olympique de Montmartre. Je les ai trouvées super touchantes, j’ai aimé leur démarche « on s’en fiche, on veut juste faire du sport, ça aurait pu être de la gymnastique, ça aurait pu être autre chose, finalement on fait du foot et on aime ça » . C’était aussi pour montrer que ce n’était pas juste un truc de jeunes filles de quartier.
Vous vous êtes inspirés d’autres documentaires ?Ryan : Mon doc voire film préféré, c’est Hoop Dreams, documentaire américain qui parle du basket à Chicago, mais aussi beaucoup de social, car ils entrent dans les vies des personnages. Ils avaient pris près de six ans à le filmer, on n’avait pas les mêmes ressources. (Le documentaire a été tourné en trois mois, N.D.L.R.) Je crois que ça a été une référence, sur la manière de filmer et la façon d’entrer dans l’intimité des gens.
Vous avez aussi l’intervention d’une grosse star dans ce documentaire. Elle joue au foot, Aya Nakamura ?Lyna : Il ne me semble pas. Ce qui était intéressant avec Aya, c’est qu’elle avait été choisie pour la présentation du nouveau maillot de l’équipe féminine avant le Mondial. Le propos du docu, que l’on expose avec le prisme du foot, Aya l’a vécu dans la musique. On l’a constamment obligée à se justifier en tant que femme noire. Toutes les filles du doc sont des fans d’Aya, et ce rapport à la féminité, avec ce rôle de grande sœur, était important pour le doc. Tout ça ne touche pas que le foot : on a eu des basketteuses ou des étudiantes en cinéma qui se sont senties représentées dans le film.
Propos recueillis par Jérémie Baron, à Paris