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On risque une sanction pour avoir fêté les 30 ans des Ultramarines

Par Mathias Edwards, à Bordeaux
10 minutes
On risque une sanction pour avoir fêté les 30 ans des Ultramarines

Face à la commission de discipline de la LFP, les Girondins de Bordeaux joueront dans les prochains jours un match compliqué. En cause, 179 fumigènes plantés par les Ultramarines sur leur gâteau d'anniversaire, le 19 novembre dernier, face à Marseille. Car pour la Ligue, seuls les chiffres comptent, à l'heure de faire tomber la sanction. Paradoxal, pour cet événement qui était avant tout une histoire d'hommes et de passion.

En égalisant à la toute dernière seconde, Morgan Sanson a tout fait pour gâcher une fête qui jusqu’ici se déroulait sans accroc majeur. Mais ce ne fut pas suffisant. À l’occasion de ce Bordeaux-Marseille du 19 novembre dernier, les Ultramarines Bordeaux 1987 célébraient leur trentième anniversaire en grande pompe. Et ce n’est certainement pas un but du meilleur ennemi des Girondins qui allait foutre en l’air des mois de préparation.

Des « bêtes nuisibles » , selon Claude Bez

Quelques heures avant le coup d’envoi de cet affrontement hautement symbolique en Gironde – où l’OM ne s’est plus imposé depuis 1977 –, ils sont entre 400 et 500 à s’être donné rendez-vous dans la Kasa Ultra, le local des Ultramarines, située à quelques encablures du Matmut-Atlantique, que tout le monde ici appelle stade René-Gallice, du nom d’un ancien résistant ayant joué aux Girondins durant 17 saisons. Pour rien au monde le noyau dur des Ultramarines n’aurait raté ce rendez-vous sous le soleil froid de novembre. Car aujourd’hui, leur groupe souffle trente bougies. Dans la grande salle au fond de laquelle se trouve le bar, ils sont là, debout, joyeusement entassés, à se remémorer les souvenirs de déplacements mémorables, une pinte de bière à 3 euros dans la main. Les plus anciens racontent à la nouvelle génération les exploits du passé, comme ce déplacement à Moscou en 1999, pour un match de Ligue des champions contre le Spartak, le premier de grande envergure dans une contrée aussi lointaine. C’est Roussette, 51 ans, représentante de la minorité féminine et Ultramarine de la première heure, qui s’y colle, lorsqu’il s’agit de rembobiner le film de l’histoire du groupe. Et d’évoquer « ces potes qui ont eu envie de faire quelque chose de différent de ce qui se faisait jusque-là à Bordeaux » , après avoir été fascinés par ce qu’ils avaient vu en Italie quelques années plus tôt, lors du Juventus-Bordeaux de 1985.

Mais Roussette n’oublie pas les débuts compliqués du mouvement ultra à Bordeaux, à une époque où le très conservateur Claude Bez tenait les rênes du club. Thierry, un des « potes » à l’origine de la création des Ultramarines, se souvient que le président moustachu les avait soumis à un véritable interrogatoire. « Il nous prenait pour des hooligans. Il cherchait à comprendre notre projet, mais il n’y est jamais parvenu. » En plus d’être effrayé par le récent drame du Heysel, Bez ne supporte pas que, dans son stade, tout le monde ne soit pas à sa botte. Lui qui rêve d’une jeunesse girondine « saine et propre » voue une haine féroce à ces jeunes hurluberlus. Au point, en février 1988, d’écrire une tribune dans Sud Ouest intitulée « Il faut chasser les ultras » . On peut y lire que les supporters sont des « bêtes nuisibles » , des « petits terroristes » , des « barjots » , des « ivrognes » , des « voyous » contre lesquels il faut « mener une chasse impitoyable » . Rien que ça. « Ensuite, cela s’est apaisé avec monsieur Afflelou, pose Roussette. Mais le groupe a vraiment pris de l’ampleur sous la présidence de monsieur Triaud. » Jusqu’à compter aujourd’hui un millier de membres, et quelque 4000 sympathisants.

Paëlla bien assaisonnée, Dalida et Parmesans

Aux alentours de 14h, dans le petit jardin qui borde le local, on se serre pour trouver une place à l’une des grandes tables entreposées sous des tentes, une fois muni de son assiette de paëlla et de sa bière. Un menu à dix euros indispensable, dans l’optique d’être en forme pour le clou de la journée, qui se doit d’être mémorable. Derrière ses étals, Mehdi, membre de « l’équipe gamelle » et Ultramarine depuis 23 ans, supervise les opérations pendant que les plus jeunes assurent le service.

À travers l’Europe, lorsqu’on parle des Girondins, tout le monde connaît les Ultramarines.

« On est arrivés ce matin à 9h, et on a préparé 200 kilos de différentes paëllas : végétarienne, au porc et halal, pour plus de 400 personnes. On est satisfaits, parce que pas mal de personnes se sont resservies. Ce qui veut dire qu’elles sont bien assaisonnées. » Dans cette ambiance de biergarten à la sauce espagnole, les vingt-six Allemands de la Schikeria München sont parfaitement à l’aise. Comme tous les groupes amis des Ultramarines, ces ultras du Bayern ont été conviés à la fête. Et ils ne l’auraient ratée pour rien au monde, quitte à se taper vingt-quatre heures de bagnole aller-retour, comme l’explique Julian. « Les 30 ans des Ultramarines est un jour important, parce qu’on admire leur histoire. À travers l’Europe, lorsqu’on parle des Girondins, tout le monde connaît les Ultramarines. Nous sommes heureux d’être à leur côté pour supporter les Girondins » , raconte le jeune homme qui a fait la connaissance des fans bordelais en 2009, à l’occasion d’un match de Ligue des champions.

À l’intérieur, l’atmosphère est de plus en plus enfumée, et l’ambiance de plus en plus festive, à mesure que le DJ enchaîne des classiques de ska et de punk, se permettant même un petit Dalida. Peut-être pour faire plaisir aux Boys Parma 1977, un autre groupe ultra ami. Regroupés au fond du bar, les Italiens, qui ne parlent pas un mot de français, ont pour l’instant du mal à sociabiliser, mais savent que dans le stade, tout le monde parlera le même langage.

Nous aimons la passion qui anime les Ultramarines, leur organisation est spectaculaire.

Leur leader, qui affirme que son nom n’a « aucune importance » , assure qu’ils ne se sont pas tapé 11 heures de minibus pour faire du tourisme. « Nous sommes là uniquement pour passer une journée avec nos amis bordelais. Nous aimons la passion qui les anime, leur organisation est spectaculaire. » Mais pas d’anniversaire réussi sans remises de cadeaux. Sauf qu’ici, ce sont les hôtes qui régalent.

Quelques bières plus tard, l’état-major des Ultramarines prend place sur l’estrade. Mégaphone à la main, il invite ses amis sur scène pour leurs remettre un carton bourré de gadgets à l’effigie du groupe. En plus de la Schickeria München et des Boys Parma, ce sont donc les Herri Norte de Bilbao, les Allemands des Deviants Munster et les Magic Fans de Saint-Étienne qui défilent sur scène. Particulièrement ovationnés, ces derniers, dont l’amitié avec les UB87 est la plus ancienne (1988), prennent la parole pour déclarer leur flamme : « Avec les Ultramarines, on n’est pas juste des potes de tribunes, on est des frères. » Le quart d’heure américain est de courte durée, rapidement interrompu par le tube de la journée, repris en chœur par toute la Kasa Ultra : « La Bonne Mère, la Bonne Mère, la Bonne Mère est une salope… » Succès garanti, et goûter d’anniversaire déjà réussi. Mais pour que la soirée le soit également, l’ambiance prend tout à coup des allures de veillée d’armes, quand Romain, un des capos des Ultramarines, délivre un discours solennel : « Ce soir, on demande de la concentration. Vous êtes 120 à devoir tenir votre poste pour que le tifo soit réussi. Donc dès que vous entrez dans le stade, vous vous jetez sur votre place. C’est le plus gros tifo de l’histoire du groupe, tout le monde nous attend là-dessus. »

2000 mètres carrés et 40 000 euros de tifo

Ce fameux tifo, cela fait des mois que les Ultramarines le préparent, comme le raconte Romain le matin du match, lors des ultimes essais dans le Virage Sud du Matmut-Atlantique. « Il représente deux mois de travail, nuit et jour, réalisé par le noyau dur du groupe » , récite le capo au milieu d’une installation faite de mats et de systèmes de poulies. « L’idée vient de l’équipe tifo, qui a multiplié les réunions en fumant beaucoup.

Cela fait cinq ans que nous mettons de l’argent de côté pour financer ce tifo. Il a coûté 40 000 euros. Depuis six mois, nous savons ce que nous allons faire.

C’est nécessaire, pour aboutir à des trucs aussi fous. » Parmi cette « équipe tifo » , on retrouve Thibault, 27 ans, ultramarine depuis dix ans, qui explique que « cela fait cinq ans que nous mettons de l’argent de côté pour financer ce tifo, en plus des deux quêtes que nous avons faites dans le stade cette saison. Il a coûté 40 000 euros. Depuis six mois, nous savons ce que nous allons faire. » À la recherche d’un lieu assez grand pour mettre à exécution leur plan, les ultras ont passé une annonce qui leur a permis de se faire prêter un hangar par un partenaire du club. « En plus, il nous a mis à disposition un Algeco équipé d’une salle de bain, qu’on a transformé en appartement pour rester dormir, » précise Romain. En tout, 1000 litres de peinture seront utilisés pour couvrir les 2000 mètres carrés que représente la surface des différents tableaux qui seront présentés ce soir.

179 fumigènes et un pétard

Sur les coups de 17h, il est temps pour les Ultramarines de quitter leur local en formant un cortège jusqu’au stade.

Les instances du football tentent d’importer le modèle américain pour animer les stades, avec la kiss-cam, ou ce genre de trucs. Mais cela ne prend pas, parce que ce que veulent les gens, c’est de la convivialité. Dans le virage, tu prends tes voisins par les épaules, t’as un avocat à ta gauche, un ouvrier à ta droite, et t’es heureux. C’est ça, être un ultra.

À faible allure, histoire de profiter de l’instant, les 500 fans s’élancent sur un parcours de 2300 mètres qu’ils parcourront en chantant et en allumant quelques fumigènes, sous les regards à la fois ébahis et fascinés des automobilistes bloqués dans la circulation. Rapidement, le cortège grossit à mesure que des sympathisants le rejoignent. En tête de cortège, Thibault engueule les curieux qui filment la scène. « On est parano, explique Laurent, un des responsables du groupe. On anime le stade, mais on veut rester anonymes. » Dès 19h, les Ultramarines sont installés dans leur Virage Sud, chacun tenant son poste. Au mégaphone, les chefs donnent les dernières consignes pour que le tifo se déroule sans encombre, lorsqu’une heure avant le début du match, la surprise vient du Virage Nord. Postés face à leurs amis, les Magic Fans stéphanois dévoilent leur propre tifo, souhaitant un « Joyeux anniversaire à nos frères ! » , à la surprise générale. Cette boum d’anniversaire ne pouvait pas mieux démarrer.

À 20h30, c’est aux Bordelais de passer aux choses sérieuses. Le premier tifo est déployé avec quelques minutes de retard. La grande toile représentant les principaux monuments de la ville est hissée, pendant que sur un voile recouvrant toute la tribune, défilent les différents logos qui ont fait l’histoire des UB87. Le spectacle est superbe, mais interrompu par l’ouverture du score de Nicolas de Préville dès la 3e minute de jeu, qui met fin prématurément à l’animation. « La partie du tifo qu’on n’a pas sortie, c’est parce qu’on a eu un problème de timing. Sûrement parce qu’on devait être en train de rouler des pétards » , avouera Romain après coup. Jusqu’au but de Morgan Sanson, le reste du match est rythmé par des chants d’encouragement, des lancers de ballons de baudruche, des chants hostiles aux Marseillais, des serpentins, un pétard et des fumigènes. Beaucoup de fumigènes. 179, selon la LFP, dont une centaine craqués à la 87e minute, en clin d’œil à la date de naissance des Ultramarines. Des bougies d’anniversaire qui pourraient coûter cher au club et aux ultras. Mais au moins autant que l’orgie de fumigènes, c’est l’explosion de ce pétard que la LFP pourrait reprocher à la tribune bordelaise. L’engin a en effet blessé un jeune supporter à la main. Un événement malheureux, survenu au cœur du Virage Sud, que les Ultramarines regrettent. « On ne sait pas trop ce qu’il s’est passé avec le gamin qui s’est blessé à la main. Lui non plus, d’ailleurs. Nous, on a toujours proscrit ce type d’engin de la tribune. Donc on s’en veut un peu, parce qu’on a raté un truc » , explique Romain, qui s’attend forcément à ce que son club soit sanctionné par la commission de discipline. « Les mecs de la ligue ont un barème. Ils comptent les fumigènes, et ils appliquent. Mais est-ce que que ça règle le problème des tribunes ? Et est-ce qu’il y a un problème de tribunes ? Les instances du football tentent d’importer le modèle américain pour animer les stades, avec la kiss cam, ou ce genre de trucs. Mais cela ne prend pas, parce que ce que veulent les gens, c’est de la convivialité. Dans le virage, tu prends tes voisins par les épaules, t’as un avocat à ta gauche, un ouvrier à ta droite, et t’es heureux. C’est ça, être un ultra. »

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Par Mathias Edwards, à Bordeaux

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