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« On progresse : en un an, Malte est passé de la 186e à la 171e place »
Ancien coach de Palerme et des Espoirs italiens, Devis Mangia est désormais le sélectionneur de Malte. Quelles ambitions avoir lorsque l'on entraîne une nation qui fait partie des plus faibles en Europe ? Devis Mangia a des idées, un projet, et, croyez-le ou non, tout cela commence déjà à porter ses fruits.
Bonjour, Devis. Le site La Chaîne Météo affirme qu’il fait actuellement 25 degrés grand soleil à Malte. Tu confirmes ? Je confirme. (Rires.) Je suis en stage avec l’équipe nationale en vue des matchs de qualification au Mondial, et les conditions de préparation sont idéales. La vie ici est super. Je suis évidemment concentré sur mon travail plus que sur la météo, mais c’est indéniable que la qualité de vie ici est une des composantes qui rendent mon métier très agréable.
Tu es arrivé à Malte en décembre 2019. Comment tu t’es retrouvé ici ? J’ai été directement contacté par le président de la Fédération de football de Malte. Il m’a invité à Malte pour me présenter son projet, j’y suis allé, et on a discuté. Lui et son administration venaient d’être élus à la tête de la Fédération, donc il m’a expliqué ce qu’il voulait créer ici en matière de football. Il m’a proposé non seulement d’être le sélectionneur, mais aussi le directeur technique de toutes les équipes nationales maltaises, en partant des plus jeunes, de façon à avoir une vision globale. J’ai aimé son approche et son projet, et j’ai dit oui. Ça, c’était en décembre, et le mois suivant, je commençais à bosser. Sauf que deux mois plus tard, pandémie mondiale. (Rires.)
Ça a dû être extrêmement frustrant.Oui, ça a ralenti tout ce que je souhaitais faire. Nous n’avons pas pu travailler comme nous l’aurions souhaité, notamment avec les jeunes. Dis-toi que le championnat maltais est le seul au monde à avoir été interrompu pendant pratiquement deux ans. Or, 95% des joueurs de la sélection jouent à Malte, donc ils ont tous été à l’arrêt. Ça a été très dur lors du stage de reprise. Heureusement, nous n’avions que des matchs amicaux à disputer, mais ça a été vraiment difficile de retrouver du rythme, il a fallu doublement travailler.
Quel genre de football as-tu découvert sur l’île ?Quand on accepte un nouveau poste, dans le football comme dans tout type de secteur professionnel, il faut d’abord avoir des choses sur lesquelles se baser. Un peu naïvement, j’ai commencé par regarder le classement FIFA de Malte et j’ai vu qu’à mon arrivée, nous étions 185es. J’ai immédiatement dit que l’objectif, c’était, à chaque fin d’année, d’avoir grappillé des places. Et un an plus tard, nous étions 171es, donc nous avons progressé. Ensuite, j’ai visionné tous les derniers matchs de l’équipe nationale de Malte, afin de comprendre où en était l’équipe. À partir de ça, je suis arrivé avec mes idées, qui étaient vraiment différentes de tout ce qui avait été fait auparavant ici.
C’est-à-dire ? L’idée, ou plutôt la philosophie, c’est de faire le match, peu importe l’adversaire. On pourrait penser que, quand on arrive dans une réalité plus modeste comme celle de Malte, on s’adapte à ce qui a toujours été fait, mais je ne suis pas d’accord avec ça. J’ai voulu changer les choses. À mon arrivée, tout le monde m’a dit que Malte avait toujours joué de la même façon, à savoir garer le bus devant les buts, des longs ballons devant et espérer un épisode favorable. Moi, ce n’est pas ça que je veux. Ce n’est pas le chemin que je souhaite emprunter pour construire quelque chose. Moi, je veux que l’on se confronte à l’adversaire, pas que l’on subisse. Je veux que l’on puisse avoir la possession du ballon. Après, évidemment, cela dépend aussi de ce que l’adversaire te permet de faire, mais malgré cela, il faut être têtu, et essayer. Il faut jouer sa chance, faire son match en imposant ses idées. Petit à petit, mes garçons ont compris cette façon de penser et l’ont appliquée. Et ce qui est drôle, c’est qu’il y a quelques mois, certains joueurs sont venus me voir et m’ont dit qu’ils étaient heureux, car c’est la première fois qu’un sélectionneur leur fait travailler la phase offensive et pas seulement la phase défensive. Ça en dit long…
Cela semble un chantier énorme. Par où as-tu commencé ?J’ai commencé par analyser les trois dernières listes du sélectionneur précédent. Et la première chose que l’on a remarquée avec mon staff, c’est que plus de 50% des joueurs appelés en sélection avaient plus de 32 ans. Or, si tu veux construire quelque chose sur du long terme, et surtout avoir le temps de construire, il faut rajeunir. Et c’est ce que nous avons fait. L’âge moyen était de 29 ans quand je suis arrivé, il est aujourd’hui de 25 ans. Nous avons même deux joueurs nés dans les années 2000, et des binationaux, dont Teddy Teuma qui est français. Ce n’est pas possible d’avoir des joueurs qui font leurs débuts en équipe nationale à 27-28 ans. À cet âge-là, il faut qu’ils aient déjà joué une cinquantaine de matchs avec la sélection.
Il a donc fallu faire un travail de scouting très important ? Tout à fait. Notre chance et notre malchance, c’est que pratiquement tous les joueurs maltais jouent à Malte. D’un côté, ça te permet de les suivre régulièrement, d’observer leurs performances. De l’autre, je préfèrerais avoir plus de joueurs à l’étranger parce qu’ils auraient la possibilité de se confronter à des réalités parfois plus performantes.
Et pourquoi jouent-ils tous à Malte ? C’est une question de niveau, ou c’est plutôt une question de culture, d’habitude ?Avant, je t’aurais dit qu’en règle générale, les joueurs maltais préféraient, par commodité, rester à Malte. Il fait beau, il y a la mer, ils gagnent correctement leur vie, pourquoi aller ailleurs ? Mais aujourd’hui, je me rends compte que la nouvelle génération a d’autres aspirations. Ces jeunes veulent prouver qu’ils ont le niveau pour aller jouer ailleurs. Maintenant, l’étape suivante, c’est de faire comprendre aux recruteurs que l’heure est venue de changer d’avis sur les joueurs maltais. De ce que je vois ici depuis bientôt deux ans, je peux assurer que certains jeunes joueurs maltais seraient d’excellents investissements pour des clubs étrangers. Les prix des transferts ici sont encore très bas, donc un club ne prendrait pas un gros risque en venant recruter, et il pourrait même faire une très bonne affaire.
Depuis que tu es arrivé, le bilan de la sélection est très positif. Avec 7 matchs sans défaite, tu as même signé la plus longue série d’invincibilité de l’histoire de Malte.Oui, je suis fier de ce qu’on a accompli, même si, à l’heure actuelle, le résultat du match n’est pas forcément ce qui m’intéresse le plus. Bien sûr, je suis plus satisfait si on gagne 3-0 que si on perd 5-0, ce n’est pas ça que je veux dire. Je veux dire que ce qui compte vraiment pour moi, c’est comment on a gagné, ou comment on a perdu. Il y a une différence entre perdre 1-0, avec des adversaires qui t’acculent dans ta surface, mais qui ratent 10-15 occasions franches, et perdre 1-0 sur penalty, alors que toi, en face, tu as raté 4-5 grosses occasions. Le contenu est très important pour moi, car c’est lui qui m’indique la marge de progression. Une victoire n’a pas de sens si elle demeure un évènement isolé.
Et alors, dans le contenu, ça donne quoi ?Quand on a disputé la Ligue des nations, on a pratiquement toujours eu le contrôle des matchs. On a gagné, on a perdu, mais à chaque fois, on a dominé. On a eu la possession, on a eu plus d’occasions que l’adversaire. Tout ça, c’est extrêmement positif. Quand on est allé jouer en Russie le 7 septembre (défaite 2-0, NDLR), la possession n’a pas été de 80-20 pour eux. C’était quasiment du 50-50 (55-45 très exactement, NDLR), on a tiré autant de fois qu’eux… Ça veut dire qu’on a été à la hauteur, on a parfois même eu le contrôle du match. Bien sûr, il y a des fois où l’adversaire ne nous permettra pas de faire ça, mais quand ça nous est permis, on se doit de jouer notre chance à fond, et pas juste d’attendre.
L’objectif, à terme, c’est quoi ? Imiter la Macédoine en se qualifiant pour l’Euro ? Je pense que ce serait une erreur de poser immédiatement des objectifs à une nation comme Malte. Si à mon arrivée, j’avais dit : « Nous devons participer à l’Euro dans quatre ans », c’est sûr que ça n’aurait pas fonctionné. Ce qu’il faut, c’est construire des fondations. Ces fondations, elles passent par les jeunes, par la formation. Il faut créer un système. Et c’est ce système qui, couplé à une philosophie de jeu, te permettra peut-être dans quelques années de rêver à une qualification à l’Euro. Mais cela prendra du temps. Il faut accepter d’être patient. Quand des jeunes nés en 2004 arriveront en équipe nationale, et que ce seront des jeunes que nous avons façonnés, là, oui, nous pourrons dire que nous serons arrivés à une étape intéressante.
Le modèle que tu évoques fait un peu penser à celui mis en place par Arrigo Sacchi et Maurizio Viscidi en Italie il y a une dizaine d’années. Tiens, d’ailleurs, ils avaient nommé un certain Devis Mangia à la tête de l’équipe U21…(Il se marre.) Mon but n’est pas de copier un modèle, mais on a pu voir lors de l’Euro 2020 que le projet italien avait porté ses fruits. Quand Sacchi me choisit à la tête des Espoirs italiens, en 2012, tous les observateurs s’accordaient à dire que l’Italie ne produisait plus aucun jeune. Nous avons prouvé que c’était faux. Un an plus tard, à l’Euro U21 2013, nous avons atteint la finale (perdue contre l’Espagne, NDLR), et cela a été le premier signal que leur projet était cohérent, et qu’il finirait par donner de grands résultats. Et quand vous regardez l’équipe de Mancini qui a remporté l’Euro, c’est bien mon équipe U21 de 2013 qui est la plus représentée, avec Immobile, Insigne, Verratti et Florenzi.
D’ailleurs, ce succès de l’Italie à l’Euro, tu l’as vécu comment ? Avec fierté bien sûr. Parce qu’il y a des garçons que j’ai entraîné, mais surtout parce que nous avons gagné avec la manière. Je me suis totalement retrouvé dans l’idée de football proposée par Mancini et son staff. Il a proposé quelque chose de différent, et il a assumé ses idées jusqu’au bout. Et quand tu arrives à gagner une grande compétition de cette manière, c’est le summum.
C’est justement ce qui t’avait énormément frustré quand tu avais entraîné Palerme en 2011 : tu n’avais pas pu aller au bout de tes idées.Oui, c’est vrai. Je débute sur le banc de Palerme par une victoire face à l’Inter, 4-3. Un souvenir incroyable, à y repenser aujourd’hui j’en ai encore des frissons. Après 13 journées, nous étions encore cinquièmes. Ensuite, nous avons perdu deux matchs, et le président Zamparini a décidé de changer. J’ai quitté le club alors que Palerme était encore dans la première moitié de tableau, donc oui, c’était un peu frustrant. D’autant que c’était vraiment une saison de transition : Palerme venait de perdre Sirigu, Cavani, Pastore, et n’avait pas encore recruté Dybala, c’était vraiment entre les deux. Le travail qu’on était en train de faire était bon, mais nécessitait un peu de temps. C’est dommage, mais je ne peux pas être rancunier : je suis tellement reconnaissant envers Zamparini de m’avoir offert cette opportunité.
C’est le seul club de Serie A que tu as entraîné.Oui, mais cela m’importe peu. J’ai vécu énormément d’expériences enrichissantes, et je pense être l’un des seuls coachs au monde à avoir entraîné dans toutes les catégories. J’ai coaché des poussins, des Primavera, des équipes amateurs, des clubs de Serie D, Serie C2, Serie C1, Serie B, Serie A, un club étranger, une équipe nationale U21 et maintenant une équipe nationale. Quand je vois que j’ai arrêté ma carrière de joueur à 20 ans, parce que j’avais compris que je ne pourrais pas atteindre un haut niveau en tant que footballeur, je me dis que j’ai pris la meilleure décision possible.
Propos recueillis par Éric Maggiori