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« On n’est pas obligé d’insulter son adversaire d’ »enculé » »
C’est une première : vendredi soir, le match Nancy-Le Mans a été arrêté une minute à cause des chants homophobes d’une partie des supporters de nancéiens. Une décision qui va dans le bon sens pour Yoann Lemaire, président de Foot Ensemble et réalisateur d'un documentaire sur l'homophobie, mais qui doit faire partie d’un plan de plus grande ampleur.
Que penses-tu de l’interruption du match à Nancy ?C’est génial ce qu’il s’est passé hier. J’ai reçu beaucoup d’appels ce matin, un message positif de Clément Turpin, des gens de la LFP, des joueurs de certains clubs… Ca va vraiment dans le bon sens. L’arbitre a pris ses responsabilités, il a osé. J’ai été honnêtement vachement surpris qu’il ait eu le courage de le faire et de créer un précédent. Bon, en même temps, ça va, c’est une minute, ce n’est pas incroyable. La bonne chose, c’est que cela ouvre un débat, c’est reconnu comme de l’homophobie et ça sensibilise un minimum. Au café le matin, les gens vont en parler. Il y a un mec qui dira « ouais on s’en fout, les pédés ils nous font chier, c’est un lobby ». Son voisin au bistrot lui dira « peut-être, t’es con si ton gamin est pédé… ».
Tu aurais été favorable à l’arrêt définitif du match ?Une minute, c’est bien. Il faut un juste milieu, y aller pas à pas. L’arrêt total du match n’aurait pas eu de sens.
Est-ce que ça suffit ?Moi, ce que j’espère vraiment, c’est une prise de conscience chez les supporters. Tout le monde en parle, les politiques jusqu’au président de la république, la LFP, mais personne ne propose de solution et ne met de budget en place pour résoudre le problème. Il faudrait mettre en place une équipe pédagogique, financer des clips, une campagne de sensibilisation. Or, dès qu’on propose des actions avec mon asso ou d’autres, on nous dit qu’il n’y a pas de budget. Alors qu’on pourrait aller discuter avec les supporters, envisager des actions ludiques, marrantes ensemble, aller voir les gamins dans les centres de formation…. Mais personne n’y va vraiment. Pour les avoir interviewés, je sais que les supporters sont ouverts sur le sujet. Plus que les footballeurs et les présidents de clubs ! J’espère qu’il y aura une prise de conscience et qu’ils vont montrer qu’ils sont bien plus intelligents qu’on ne veut bien le croire. Il faut qu’ils fassent des actions d’eux mêmes, des banderoles. Car les mesures coercitives ne suffiront pas, elles seront mêmes contreproductives sans plan d’ampleur.
C’est-à-dire ?Les sanctions vont aller de plus en plus loin, et personne ne va aller dans la sensibilisation. On se dirige uniquement vers de la répression. Là, il y aura une amende pour le club. Dans quinze jours, cela arrivera certainement dans un autre stade. Rebelote, nouvelle amende. Cela aura l’effet inverse, les gens diront : « putain, on peut plus rien dire, dès qu’on dit « pédé » on prend 50 000 euros d’amende ». C’est aux supporters de montrer l’exemple et de prouver qu’ils sont bien moins cons que les dirigeants de clubs.
J’adresse mes félicitations à l’arbitre Mehdi Mokhtari ainsi qu’au délégué de la @LFPfr Alain Marseille qui ont pris leurs responsabilités et décidé d’interrompre le match de football entre Nancy et Le Mans pour injures homophobes. C’est une première. Et une dernière, je l’espère
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) 16 août 2019
L’argument du folklore ne te convainc pas ?C’est comme l’argument de la liberté d’expression : la liberté d’être insultant et violent, c’est complètement con. Traiter quelqu’un de « pédé », pour moi, c’est compliqué de le concevoir. Ce n’est pas de la déconnade. Les mecs ne sont pas non plus des humoristes. Sans franchement s’en rendre compte, ils affirment de l’agressivité, de la haine et de la violence. On n’est pas obligé de traiter son adversaire d’« enculé », de « pédé » ou de « tarlouze ». Ca va, au bout d’un moment, on a compris. On peut passer à autre chose. Moi je veux bien le folkore, moi aussi je l’ai fait. Mais on doit se dire « les gars, pensez aux gamins, les gamins qui souffrent de ça qui sont malheureux ». Ce n’est plus du folklore. Je dirais que 90/95% des supporters ne sont pas du tout homophobes, pourtant ils profèrent des propos homophobes. Et quand tu les mets face à cela, comme je l’ai fait dans mon documentaire, ils s’en rendent compte.
Les propos du président de Nancy t’ont fait tiquer ?Quand le président de Nancy dit que le foot ne peut pas guérir tous les maux, ça me dérange un peu parce qu’on est assez d’accord mais en même temps le foot doit transmettre des valeurs aux jeunes. La lutte contre la violence et la discrimination en fait partie. Le foot, ça n’est pas que de la compétition, c’est aussi l’éducation des jeunes, ça va au-delà du sport.
La grande absente du débat, selon toi, c’est la Fédération…Oui la Ligue mène des actions, mais l’objectif, c’est que la Fédération française s’y mette une fois pour toutes. Parce qu’ils sont à la ramasse sur le sujet, c’est hyper inquiétant. Noel Le Graet et son staff sont très peu préoccupés par le sujet. Il manque de la volonté, ils s’en foutent complètement. Le sujet ne les intéresse pas. Quand je dis que c’est inquiétant c’est parce que l’équipe de France est championne du monde et a par conséquent un devoir d’exemplarité selon moi. La France a un rôle à jouer par rapport à d’autres pays. Ce n’est pas une affaire d’état non plus, mais on sort d’une coupe du monde en Russie, on enchaine avec une autre au Qatar, deux états où il y a de la discrimination contre les homosexuels. La FFF devrait en parler dans les districts, mener des actions symboliques.
Yoann Lemaire est président de l’association FOOT ENSEMBLE et réalisateur du documentaire « Footballeur et homo, l’un n’empêche pas l’autre »
Propos recueillis par Arthur Jeanne