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« On n’est pas latéral droit de vocation, on le devient avec le temps »

Propos recueillis par Émile Gillet
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Face aux problèmes récurrents de l’équipe de France au poste de latéral droit, il était nécessaire de réunir des experts du poste pour comprendre le pourquoi du comment. Entre tactique, communication, contexte et formation, les raisons de ces déboires sont nombreuses et complexes. Mais promis, Christophe Jallet, Joffrey Cuffaut et Pierre Brémaud l'expliquent très simplement.

Le casting :

Christophe Jallet : 37 ans, international français (16 sélections) // consultant pour Canal+. Joffrey Cuffaut : 33 ans, 316 matchs en pro // titulaire à Valenciennes (L2). Pierre Brémaud : 28 ans, 150 matchs en N3 avec Bressuire // prof de sport au Pérou.


Concrètement, c’est quoi le rôle du latéral droit ?Christophe Jallet : Tout dépend du rôle qu’on veut lui donner. À la base, c’est un défenseur, donc certains coachs préfèrent des latéraux défensifs. Mais avec le foot moderne et l’apparition du poste du piston qui s’est énormément développé, il y a un plus gros apport offensif.Joffrey Cuffaut. : Notre rôle a beaucoup évolué depuis quinze ans. Le latéral droit doit être un joueur très complet parce qu’il faut aussi bien défendre, attaquer et contre-attaquer. C’est devenu un poste très exigeant.Pierre Brémaud : D’abord défensivement, la première chose, c’est d’avoir une bonne cohésion avec l’axial droit, le milieu central et l’excentré droit. Ensuite offensivement, on va créer l’espace dans le couloir pour pouvoir l’exploiter dans un second temps. On propose une solution, qui sera exploitée ou non, mais au moins on a fait le travail à partir du moment où on a proposé. On a une liberté offensive qui fait qu’à la moindre perte de balle, on est obligés de revenir à 100%. Donc souvent, le latéral a une très bonne VMA parce qu’il doit faire des allers-retours sans cesse dans son couloir.

Tactiquement, c’est un poste clé ?CJ : Oui, ça l’est devenu. Parce que ces animations offensive et défensive à gérer, c’est souvent par là que se font les différences, en bien et en mal. Les équipes profitent des espaces laissés par les latéraux pour s’engouffrer et attaquer. Et de l’autre côté, on se crée des situations de but quand on attaque avec les latéraux.PB : En fait, je parlerais plutôt de deuxième excentré. Aujourd’hui, le rôle de latéral est plus valorisé qu’il y a quelques années parce qu’on est sur un jeu plus offensif.

Pour concilier solidité défensive et allant offensif, quelles sont les qualités primordiales ?PB : Le mot-clé pour moi, c’est la communication. Je ne peux pas dire qu’un mauvais latéral peut jouer là, mais à partir du moment où il sait où il va, qu’il gère ceux qui sont devant, je pense qu’il a fait 60% du boulot. Les 40% restants viennent de la qualité du joueur.CJ : Ça a déjà été dit, mais il faut une capacité aérobie importante parce qu’il y a beaucoup d’efforts à haute intensité sur de longues distances. Être endurant, c’est obligatoire. Pour moi, un latéral moderne doit être puissant, rapide, avoir une bonne qualité de centre et surtout être tactiquement intelligent. La qualité de centre parce qu’on est jugé là-dessus quand on est latéral, c’est clair et net. La puissance et la vitesse pour faire les dédoublements parce qu’aujourd’hui, les attaquants vont tellement vite que pour les aider il faut aller encore plus vite qu’eux. (Rires.) Et puis être intelligent tactiquement pour demander à quelqu’un de se positionner si on ne peut pas se replacer et avoir la vision du jeu pour revenir au meilleur endroit et ne pas déstabiliser l’équipe. Pour moi, c’est un des postes les plus compliqués parce que c’est très difficile d’être à la fois bon défensivement et offensivement dans une même rencontre. On est toujours jugé négativement sur l’un ou l’autre et ça met systématiquement un bémol à son match.

Je trouve que c’est plus simple pour un latéral de se reconvertir dans l’axe que l’inverse.

En équipe de France, les titulaires du poste, Benjamin Pavard et Jules Koundé, sont des défenseurs centraux de formation. Donc ils n’ont pas forcément ces qualités…JC : Je trouve que c’est plus simple pour un latéral de se reconvertir dans l’axe que l’inverse. Ça demande des spécificités bien particulières. Concernant l’apport offensif et les qualités physiques, ce ne sont pas du tout les mêmes efforts. On devient forcément meilleur avec l’expérience, mais le volume de jeu, c’est ce qui est le plus difficile à acquérir. C’est plus une faculté propre au joueur qu’un travail de gain.PB : Ce sont des joueurs formés et conditionnés dans les centres de formation à être sur l’aspect défensif en premier. Donc les apports de couloir sont moindres ou à contretemps. J’ai joué contre Jules Koundé, et je peux vous confirmer qu’il est meilleur dans l’axe. Il avait réalisé deux bons matchs avec la réserve de Bordeaux, mais dans l’axe. (Rires.)
CJ : C’est vrai que ce n’est pas évident de s’improviser latéral avec toutes les contraintes du poste. Si on lui demande juste de défendre, il est largement capable de le faire, car c’est un très bon défenseur, mais quand on rajoute la composante offensive…

Comment expliquez-vous la difficulté actuelle au poste en équipe de France ?JC : C’est difficile pour Koundé. Il vient d’arriver en équipe de France à un poste qui n’est pas le sien. Ce qui est légitime, c’est qu’il pense d’abord à être sérieux défensivement plutôt que de partir la fleur au fusil.CJ : Il est jeune, il a envie, avec du temps, je n’ai aucun doute qu’il y arrivera. Mais ça ne peut pas se faire en claquant des doigts, surtout quand on a besoin de résultats. On est toujours épié dans une équipe qui roule un peu moins bien que les années d’avant. Vous auriez mis Koundé latéral droit après la Coupe du monde 2018, il aurait très bien joué et ça se serait très bien passé. Là, il entre dans une équipe qui traverse un moment compliqué…PB : Pour moi, ça vient des joueurs d’expérience. C’est eux qui devraient l’aider. Le fait que Koundé soit tout seul et qu’il n’ait pas de complicité avec les autres fait qu’il ne se retrouve pas dans les bonnes conditions !CJ : Oui voilà. Contre la Bosnie-Herzégovine, il se retrouve un peu livré à lui-même. Antoine Griezmann rentre beaucoup à l’intérieur, Paul Pogba est un peu attiré vers l’avant, du coup Koundé est seul dans son couloir. Pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude, c’est sûr que ce n’est pas évident.

Achraf Hakimi a une valeur marchande importante parce qu’on se rend compte que c’est hyper important d’avoir un bon latéral dans son équipe. Ça va donner envie à des jeunes de le devenir.

Qui est le responsable de tout cela ?CJ : Pfff, nan, mais ça ne vient de personne. Comme je viens de le dire, c’est un concours de circonstances. Le sélectionneur aime avoir des latéraux qui savent bien défendre, donc pour lui, mettre un défenseur central, c’est pertinent. C’est sa vision des choses et ça a marché avec Benjamin Pavard. Quand je jouais pour lui en Bleu, il ne mettait jamais le frein sur l’attaque à partir du moment où il y avait des sécurités et des couvertures. On savait qu’on était là avant tout pour bien défendre, il a toujours voulu s’appuyer là-dessus.PB : À gauche, avec Digne et Hernandez, tu sens une vraie concurrence saine et de qualité. Ce n’est pas le cas à droite où aucun spécialiste du poste n’apporte de vraie concurrence. Léo Dubois n’est pas transcendant, il reste sur ses bases. Forcément, on ne lui facilite pas la tâche en faisant passer deux axiaux devant lui. Il ne doit pas apprécier.CJ : C’est sûr qu’avec des joueurs à leur poste à leur meilleur niveau, ça sera plus facile pour retrouver la confiance…

Si vous étiez sélectionneur, quel serait votre latéral droit titulaire ?JC : J’aime bien le profil de Léo Dubois parce que c’est un vrai latéral. Je le trouve vraiment intéressant par sa qualité de pied. C’est une alternative plus que crédible. Comme Lucas Digne à gauche, c’est un vrai spécialiste du poste. Ce serait bien qu’il s’extériorise sur la durée en Bleu. On gagnerait en temps d’adaptation à ce poste.CJ : Peut-être que moi aussi. Il a quand même fait un match assez intéressant contre l’Ukraine, même si c’était compliqué pour tout le monde. Le problème pour Koundé, c’est que s’il veut exceller à ce poste, il devra jouer latéral droit dans son club, comme Lilian Thuram ou Benjamin Pavard. Mais je pense sincèrement qu’il est largement plus performant dans l’axe. Après, j’adore Jonathan Clauss par son style de jeu, son côté offensif et guerrier. C’est un profil qui serait intéressant, mais c’est compliqué de le sélectionner parce qu’il ne prend pas part aux joutes européennes.

Il faudrait que l’on forme les joueurs à être davantage polyvalents. Rien n’empêche que pendant des entraînements, les postes soient inversés entre excentré et latéral.

On a l’impression que le problème avec le poste de latéral droit est plus profond que ça. Ça vient d’où ?CJ : Je pense qu’au départ, c’est un poste qui n’était pas très bien vendu. Même moi, je n’étais pas du tout fait pour être latéral. Un jour, un coach m’a dit : « Tu seras bon là, c’est ici que tu as la plus grosse marge de progression. » Je l’ai suivi, et ça s’est bien passé. Je pense qu’on n’est pas latéral de vocation, on le devient avec le temps. Quand vous jouez au foot petit, vous voulez être attaquant, puis au milieu pour continuer à marquer en étant au cœur du jeu, alors que le latéral, c’est un peu le poste par défaut.
PB : Il faudrait que l’on forme les joueurs à être davantage polyvalents. Rien n’empêche que pendant des entraînements, les postes soient inversés entre excentré et latéral. L’attaquant comprendrait les repères qu’il faut, la communication qu’il doit effectuer pour que tout le monde garde son joueur et que le ballon doit être cadré avant d’attaquer. Inversement, le latéral va comprendre ce qu’il faut faire en fonction de telle course offensive. C’est un exercice de cause à effet qui permettrait aux deux de se rendre compte et de mieux communiquer. CJ : C’est un poste qui commence à être essentiel dans le football. Il y a dix ans, on n’achetait pas un attaquant pour le prix d’Achraf Hakimi. Il a une valeur marchande importante parce qu’on se rend compte que c’est hyper important d’avoir un bon latéral dans son équipe. Ça va donner envie à des jeunes de le devenir. En tout cas je l’espère, parce que sincèrement, c’est un poste où on s’éclate.

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