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« On ne peut pas parler de trouble bipolaire chez Suárez »

Propos recueillis par Arnaud Clément
7 minutes
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Préparateur mental pour le club de rugby du LOU, Mickaël Campo a par ailleurs beaucoup planché sur les émotions individuelles et collectives en période de performance. L'occasion de revenir avec lui sur le cas Luis Suárez, qui sera éloigné des pelouses jusqu'au mois de septembre prochain pour sa morsure sur Branislav Ivanović.

D’abord, Mickaël Campo, vous avez soutenu une thèse en psychologie du sport sur la dimension interpersonnelle des émotions en contexte de performance collective. Cette problématique à rallonge, elle veut dire quoi concrètement ?Concrètement, les émotions constituent un sujet largement étudié dans le domaine de la psychologie du sport. Mais la dimension interpersonnelle et collective l’est beaucoup moins. Alors que les émotions et la dynamique de groupe sont liés. Donc l’idée est d’étudier l’influence de la dimension du groupe sur les ressentis émotionnels et l’influence sur la performance d’un individu. Le deuxième volet de cette thèse touche par contre plus aux stratégies de régulation émotionnelle entre le joueur et le groupe. Comment cela se régule entre partenaires ? Comment cela agit sur les émotions ? Tout ça pour déboucher sur une stratégie collective de régulation émotionnelle.

Justement, les émotions liées à la performance et à l’effort sont nombreuses, non ?Oui, complètement. Les théories sont diverses sur le sujet, mais on dit qu’on peut ressentir toute sorte d’émotions : de l’anxiété, de la colère, de la honte, de la culpabilité pour ce qui est des émotions plutôt négatives, mais on retrouve aussi la joie, la sérénité, la fierté et d’autres dans la gamme des émotions plus agréables. La difficulté, c’est qu’on peut ressentir les deux simultanément parfois. L’individu peut ressentir quelque chose, mais autre chose au nom du groupe. Par exemple, si je fais un mauvais match, je serai un peu triste, mais content en même temps si collectivement il y a la victoire au bout.

Quand Luis Suárez en arrive à mordre un adversaire (ndlr : Branislav Ivanović) en plein match, dans quelle catégorie d’émotion classe-t-on ce genre d’acte ?
Quoi qu’il en soit, c’est un acte de violence. D’un point de vue psychologique, la violence est vue sous différents axes. En termes d’émotion, c’est un comportement de colère, mais inadapté. Tous les comportements sont gérés par l’aspect émotionnel. Si je ressens de la joie, je vais agir pour augmenter ou diminuer cette joie. Dans le cas de Suárez, on est probablement dans le mode où il ne se contrôle pas et pète un câble, tout simplement. On est sur un geste irraisonné, mais guidé par une pulsion émotionnelle, un besoin d’évacuer de la colère. Après, il faut le mettre au conditionnel et il faudrait l’interroger pour savoir précisément ce qui l’anime. Mais c’est une hypothèse plausible.

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Avez-vous déjà eu à traiter des cas similaires pour le club du LOU ?Des cas comme ça ne sont pas fréquents et c’est plus admis dans le rugby, car il y a des façons d’évacuer sa frustration sans contourner le règlement, avec le combat permanent ou des contacts comme le plaquage. Sinon, de mémoire, ceux que j’ai pu voir sont des joueurs ayant tendance à ne pas contrôler leurs excès de colère. Donc j’ai travaillé avec eux, s’ils le souhaitaient, sur des stratégies de réponse ou de régulation à des situations critiques. On identifie ce qui peut provoquer la colère, on travaille sur le ressenti et on cherche une solution pour trouver comment automatiser une réponse permettant d’éviter la colère.

Le fait qu’au moment où Suárez s’en prend à Ivanović, Liverpool soit mené deux buts à un et qu’il ne reste que quelques minutes, est-ce un facteur déterminant ?Complètement, le coefficient de pression est fort. Ils sont menés au score, ils sont en fin de match donc ont moins d’opportunités et de chances de revenir au score, ça met la pression. Et l’enjeu grandissant lors d’un gros match a aussi son importance. Donc les enjeux sportifs, mais aussi économiques, peuvent influer. Les primes en jeu peuvent jouer par exemple, même si intrinsèquement, j’ai du mal à croire que ça passe avant le sportif. Mais grosso modo, plus la pression est forte, plus les ressources mentales sont sollicitées, plus on approche ses limites. Et le facteur fatigue a un rôle déterminant. C’est important dans le contrôle. Les ressources mentales sont conditionnées par la disponibilité cognitive. Dans la vie de tous les jours, si je suis énervé de ma journée et que je rentre chez moi, il se peut qu’un tout petit truc me fasse monter dans les tours. Mais parce qu’on est en fin de journée. En début de journée, je l’aurai sûrement vécu différemment.

Le fait qu’ils soient particulièrement décrié par ses pairs ou les supporters en Angleterre n’est-il pas un autre facteur déterminant de passage à l’acte s’il y a trop-plein de pression ?De façon générale, oui. À partir du moment où tu commences un match et que des milliers de personnes sont contre toi, la seule façon possible pour faire taire cette mauvaise communication, c’est que tu fasses une bonne perf’. Mais si la situation où tu peux te mettre en avant est comme dans le cas de Suárez annihilée par un défenseur qui t’en empêche, ça annule une possibilité pour toi de faire taire ceux qui te décrient. Et les mecs un peu sur la triche ont souvent le gêne de vouloir gagner à tout prix. Donc si on les bloque, ils peuvent tomber dans des travers.

C’est la seconde fois qu’il agit de la sorte (ndlr : il avait déjà mordu Otman Bakkal lorsqu’il évoluait à l’Ajax d’Amsterdam). Est-ce que cela signifie qu’on est dans un comportement calculé ?
Comme ça, c’est très difficile à dire, car il faudrait toute une étude pour mieux le connaître. Le fait de répéter un geste n’a pas spécialement d’incidence. Comme on peut le dire couramment, chassez le naturel, il revient au galop. Donc si tu contrôles tes émotions, ça va et tu ne vas pas le reproduire. Mais même si tu repousses encore plus haut tes limites après un premier passage à l’acte, rien n’empêche qu’il ne réitère de façon automatique si c’est inconscient et non-contrôlé.

Luis Suárez est un buteur génial, capable d’exploits hors-normes, mais aussi de troubles comme cette morsure, la seconde de sa carrière, ou d’actes de tricherie. Est-ce qu’on peut parler d’une sorte de bipolarité sportive ?Non, ça reste un concept médical très encadré. Si tu es sur ce terrain-là, le geste est réitéré un paquet de fois et tu vas réagir de telle façon dans des conditions bien particulières. Par contre, on peut parler dans son cas de carence dans la régulation, oui. On doit apprendre à prendre sur soi et à trouver de bonnes stratégies quand on est dans le rouge. Les athlètes ont chacun leurs limites et quand les émotions sortent de la zone de fonctionnement normal, après beaucoup d’efforts, ça peut donner des cas comme Zidane et son coup de tête, Tyson avec Holyfield ou celui de Suárez.

Alors quelles stratégies de régulation peut-on mettre en place pour qu’un joueur comme Suárez cesse de craquer ? Comment vous y prenez vous avec les rugbymen lyonnais ?Il existe un protocole d’amélioration de l’intelligence émotionnelle sur lequel on a travaillé avec une université, où on apprend au joueur à reconnaître ses états émotionnels, à comprendre leur origine et à les réguler. Et ce, aussi dans une dimension interpersonnelle où on va apprendre à gérer les émotions d’autrui. Donc il y a d’abord toute une partie où on apprend à recenser et ressentir des émotions et à les recontextualiser sur le terrain grâce à la vidéo. Une fois qu’on leur a montré ça, on va procéder à des entretiens où le joueur s’explique sur son vécu, où il verbalise les moments clés dans la performance, par exemple lorsqu’il met une « tourte » . Ensuite, on regarde quelle stratégie on peut appliquer pour contrer ces écarts. Plutôt que de ruminer et d’avoir des pensées négatives, on va pourquoi pas instaurer une stratégie d’emploi de mots-clé, de recentrage sur soi-même, d’éloignement de la source de colère… C’est selon les cas à traiter. On va créer avec lui une boite à outils en fonction de ce qui existe. Gross a présenté quatre façons d’agir dans ses travaux : le contrôle de la situation, le contrôle de la concentration, l’action sur la façon de penser et la réaction en elle-même.

Changer de club et de pays, comme c’est pressenti dans son cas avec un possible transfert au Bayern en fin de saison, est-ce un moyen de remettre les compteurs à zéro ?J’y crois peu, car on est vraiment sur de l’extrême, de l’intense et une situation particulière. S’il regrette son geste, il va regretter, mais est-ce que ça va l’amener à réfléchir dès qu’il va regrimper dans les tours ? Il va peut-être repousser ses limites, mais aussi recraquer un jour. L’entraînement mental est intéressant pour ça. Après, agir sur ce genre de comportement, ce n’est pas ce qu’il y a de plus dur. Ça se régule très bien.

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Lyon : à Textor et à travers
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