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« On ne discute pas du match de Rennes pendant toute la récré »
18h30, et pas une seconde de plus. À la veille du quart de finale de Coupe de France qui opposera Belfort (National 2) à Rennes, pas question de déconner : dans les entrailles du stade Bonal de Montbéliard, Maxime Loichot et Lucas Cuenin jouent les équilibristes en donnant une interview à quelques minutes du top officiel marquant le silence radio. Après tout, heureusement que les deux joueurs ont le sens de la discipline, ils sont pions. Interview carnet de correspondance.
Casting :
Lucas Cuenin, conseiller d’éducation au collège Olympe-de-Gouges de Pont-de-Roide. Maxime Loichot, surveillant au collège Lou-Blazer de Montbéliard.Messieurs, vous êtes tous les deux surveillants au collège. Quel a été le moment le plus insolite de votre journée de travail (interview réalisée lundi soir) ? Lucas Cuenin : Moi, j’ai eu un petit chagrin d’amour à consoler, une jeune fille de quatrième qui était malheureuse. Eh oui, déjà au collège ! Il faut leur expliquer qu’à cet âge-là, ils ont le temps, que ça n’est pas grave, qu’il y aura d’autres histoires dans le futur. Mais ça n’est jamais facile, les peines de cœur. Je sais que les gamins ont assez confiance en moi pour venir se confier sur des sujets persos, comme ce qu’il se passe à la maison, par exemple.
Maxime Loichot : Pareil, un chagrin, mais pour une exclusion de cours.
D’habitude, ils arrivent tous avec un grand sourire quand ils sont exclus, ils font un peu les héros. Mais là, c’était une petite de cinquième pour qui ça n’était jamais arrivé, elle pensait carrément qu’elle allait se faire virer du collège. Elle est même allée voir l’infirmière.
C’est un métier où il y a beaucoup de temps morts. Dans quelle mesure ces temps de surveillance deviennent propices à l’introspection et laissent place aux scénarios ?M. Loichot : Normalement, je ne pense pas trop au foot quand je suis au travail. Mais là, c’est différent, parce que c’est un gros match. Il m’arrive de m’égarer dans mes pensées, de me demander ce que je ferai dans telle situation, s’il y a un penalty à tirer, par exemple.
L. Cuenin : Le contexte est aussi particulier parce que tous les gamins en parlent. Donc forcément, on est amenés à y penser régulièrement. Mais en règle générale, on essaye de faire la part des choses entre le travail et le foot.
Guillaume Arisi, défenseur central du club, bosse lui à la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) du territoire de Belfort. On peut soupçonner que son environnement de travail soit moins pesant à ce sujet.M. Loichot : C’est sûr. Mais il n’y a pas que les enfants qui en parlent, hein ! Les profs, les CPE…
L. Cuenin : Une grosse partie des profs sera au match, ils ont prévu de se faire entendre, a priori. Je verrai si je les entends. Mais les gamins… J’avais quelques invitations pour ceux de la section foot du collège que je devais donner aujourd’hui, et elles me restent sur les bras parce qu’ils ont tous déjà leurs billets ! Ils sont tous venus en cours avec en me disant : « T’as vu ? On vient ! » C’est chouette, c’est cool. Ça anime un petit coup le collège.
Dans quelle mesure votre épopée modifie-t-elle votre relation aux élèves ? Les émotions créent une proximité que les élèves ont parfois du mal à respecter…L. Cuenin : Le piège dans lequel il ne faut pas tomber, c’est celui de les laisser faire des choses qu’ils ne se permettraient pas de faire d’habitude. On reste dans le cadre du collège, où ils ont en face d’eux un adulte à qui ils doivent le respect. Il ne faut pas les laisser rentrer là-dedans. Les miens sont toujours restés dans le droit chemin, même si j’ai eu plein de félicitations. Il n’y a jamais eu de dépassements.
M. Loichot : Ça change quelques trucs, mais il faut juste leur rappeler qu’on a un travail. Quand on surveille, on ne peut pas discuter du match de Rennes pendant toute la récréation : « Il y a un temps pour parler de ça, mais là, il faut me laisser un peu tranquille, on en parlera après. » Certains repartent un peu vexés parce qu’ils pensent qu’on ne veut pas parler avec eux…
En quoi votre métier vous est-il utile sur un terrain de foot ?L. Cuenin : Je partirais sur l’anticipation. Je pique ça à ma principale, c’est un petit mot qu’elle a fait pour l’un de vos confrères journalistes.
Sur le terrain, il y a parfois des situations qu’il faut anticiper, de la perte d’un ballon à une passe dans le dos. Au collège, c’est pareil. Il y a des problèmes que l’on voit venir et qu’on essaye de désamorcer avant que ça n’éclate.
M. Loichot : Garder son self-control ! Parfois les petits parlent mal, et tu as envie de… Il faut rester professionnel. Leur expliquer les choses calmement, mais ça n’est pas facile. Surtout moi qui ne fais ce métier que depuis un an, je n’ai pas l’expérience d’un quadragénaire. Ça m’apprend à… (Il souffle) relaxer un petit peu, calmer la situation au lieu d’envenimer la chose.
Justement Maxime, quand on s’apprête à tirer un tir au but aussi décisif que celui contre Montpellier (0-0, 5-4 tab), est-ce que ça ramène à une pression étudiante ? T’avais déjà eu autant la pression depuis le bac ?M. Loichot : La pression est différente, parce que la dose d’adrénaline est supérieure. Au bac, tu es comme ça (Il se recroqueville), tu es tout stressé. Là, tu ne penses pas aux conséquences, tu es sûr de toi. Tu fais ton geste et puis… La pression paralysante du bac est absente, tu es juste fatigué. Je ne sais même pas si le cerveau marche encore correctement tellement tu as fait d’efforts physiques et mentaux. Heureusement qu’il n’y a pas cette pression supplémentaire, sinon les penaltys seraient impossibles à tirer.
Vous avez reconnu des élèves pendant l’envahissement de terrain ?L. Cuenin : J’en ai vu un petit paquet sur la pelouse, que ce soit à Nancy ou Montpellier. (Rires.) J’ai aussi vu le prof d’espagnol envahir la pelouse à la fin du match, fou de joie. C’est un délire, quoi. Quand tu vois des gamins que tu connais te taper dans la main, te sauter dans les bras, te demander le maillot… J’aurais pu en donner cinquante si je les avais eus. On joue au foot pour vivre des moments comme ça. Les gens arrivent avec un sourire comme ça pour dire « merci » . Mais merci de quoi ? (Rires.) Merci à vous de nous avoir poussés, oui !
Comment s’est passé votre premier jour d’école après la séance de tirs au but victorieuse ?L. Cuenin : En matière de fatigue, c’était compliqué, déjà. Je me suis couché vers 3h, mais à 5h j’avais les yeux grands ouverts. À chaque fois que je les fermais, je voyais toutes les actions du match, le tir au but… Je n’ai pas été très productif le mercredi matin à 7h30. Et puis ça passait sans cesse dans le bureau pour féliciter, les profs, les gamins… Ils m’ont tous signé des petits messages, c’était cool.
M. Loichot : Moi, je me suis couché à 4h et levé trente minutes en retard.
Je suis arrivé à 8h30 au collège. Franchement, il y avait beaucoup d’excitation, les enfants tapaient contre les vitres à mon apparition. Le principal adjoint a dû les calmer un peu. C’est bon enfant, hein, mais il faut rester dans le cadre du collège quand même, il y a des règles à suivre. Dehors, on peut s’accorder plus de choses.
Vous les « pions » , comme on dit dans le langage populaire, êtes finalement une assez belle métaphore de ce que vous représentez dans l’équipe de Belfort, où le collectif prime avant tout.M. Loichot : Bien sûr. Si on prend chaque individualité de notre équipe, on est moins forts que Montpellier, Rennes ou Nancy. On s’en est sortis par le collectif, l’entraide, le don de soi. Tout le monde a donné plus que ce qu’il pouvait donner, et jusqu’à présent, ça a marché. On a fait de grandes choses dans cette Coupe de France.
Quel est le programme de votre journée de mardi ?L. Cuenin : On m’avait proposé de prendre ma journée, mais j’ai préféré aller donner un coup de main le matin. Ça va m’éviter de cogiter toute la matinée.
Réveil habituel à 6h45, petit déjeuner, douche, préparation. À 7h30 accueil des gamins, 8h ils montent en cours, je vais m’occuper des absences et éventuels retards pendant la première heure. Viendra ensuite le temps de la récréation, puis à 10h30 il sera temps pour moi de rentrer pépère à la maison, et enfiler le survêtement. Le sac sera déjà fait depuis la veille. Puis je filerai à Belfort pour rejoindre l’équipe, on est convoqués à 11h45 pour manger.
M. Loichot : (Il sourit.) Moi, j’ai pris ma journée. Petit réveil à 8h, et j’ai rendez-vous chez le coiffeur pour être beau gosse. C’est important, il y a les caméras ! Je ne voulais pas me prendre la tête, puis c’est exactement ce que j’avais fait contre Montpellier. Ça avait marché, alors pourquoi changer ?
Propos recueillis par Théo Denmat, à Belfort