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« On n’avait peut-être pas notre place en Ligue 1, mais on était des vrais hommes »

Propos recueillis par Theo Denmat
11 minutes
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Il décroche le téléphone de sa Croatie natale où il est, comme chaque été depuis sa naissance, retourné en vacances. L’accent est prononcé, certes, mais le français plus que correct pour un homme qui maîtrise déjà le néerlandais, le croate, l’italien et l’anglais. Rien finalement de très étonnant pour un homme à la fois milieu de terrain au Gazélec d’Ajaccio et lointain cousin du Novak de Roland-Garros, qui monte au filet pour défendre son club.

Tu es né le 18 avril 1990 à Zagreb en Croatie, en pleine guerre d’indépendance croate. C’est pour ça que tu es parti de chez toi ?Oui, je suis parti à cause la guerre, parce que ma mère est croate et mon père serbe. À cette époque-là, c’était pas fantastique d’être serbe en Croatie. Mon père a décidé que pour moi, ce serait mieux de partir.

Ils t’ont raconté leur quotidien à l’époque ?Écoute, mon père était obligé d’être dans l’armée, il était soldat. Il a vu des choses pas bonnes et après, il était vraiment décidé à partir. Il avait la sensation que ce serait dur de vivre ici, même après la guerre. Je crois que sur ça, il avait raison, parce que c’est pas facile de vivre ici, encore maintenant. Le problème, c’est l’économie, on a des prix comme dans toute l’Europe, mais les salaires sont beaucoup plus bas, il y a beaucoup de problèmes avec la politique, la corruption… Oui, les politiques, ils sont un peu corrompus, c’est pas beau, mais c’est comme ça.

Tu as des souvenirs de ton pays étant jeune ?Pas beaucoup du coup, mais chaque été, on retournait deux mois et demi ici. Et là, j’ai beaucoup de beaux souvenirs, de belles histoires. Ici, il y a une nature magnifique, il y a la mer, le pays compte aussi beaucoup de forêts. Et puis on mange très bien. Les gens sont très gentils, tu sais, chaque été j’étais très heureux de rentrer.

De quoi étaient faites tes journées ? Tu allais te baigner ou te balader en forêt…On passait beaucoup de vacances sur le bord de la mer, sinon j’avais pas mal de famille à Zagreb. C’était beau, avec tous les cousins, on jouait au football dans la rue.

Moi, j’aime l’organisation, c’est un truc très normal en France ou en Allemagne, mais pas tellement en Croatie.

C’est quoi la spécialité en Croatie ?Écoute, vu qu’il y a la mer, on mange beaucoup les produits issus de la pêche. Il y a une spécialité ici, le punjene paprike. Tu peux regarder sur internet, c’est des poivrons rouges avec de la viande hachée, du riz, et des trucs un peu spéciaux dedans pour avoir un goût encore plus fort (après recherches, des poivrons farcis avec quelques oignons, de l’ail et du paprika, ndlr). Si tu passes en Croatie, tu peux manger ça, je te le recommande.

Tu es né en Croatie d’une mère croate et d’un père serbe, mais tu as passé toute ta jeunesse aux Pays-Bas, tu te sens plus attaché à un pays qu’à un autre ? Du point de vue de l’éducation et de certaines habitudes, je me sens néerlandais. Quand je rentre en Croatie, je me sens croate bien sûr, mais pas comme tous les autres qui ont passé toute leur vie ici. Mais la vie, c’est comme ça, j’ai pris un peu de l’Italie et un peu de la France, même si ça ne fait qu’un an que je suis ici.

Tu sens l’influence de ton éducation néerlandaise dans ta vision du football ?Écoute, les Pays-Bas, c’est un peu comme la France. Ils sont très « corrects » , très stricts. Moi, j’aime l’organisation, c’est un truc très normal en France ou en Allemagne, mais pas tellement en Croatie. J’aime beaucoup ça. Je crois que j’ai une certaine vision du football qui m’est venue avec l’éducation que j’ai eue au départ, qui fait qu’avec ma personnalité, je n’ai pas beaucoup de besoins. Le coach a toujours une idée de comment il faut jouer, mais tu peux voir à ma manière de jouer que j’ai une idée de ce que je veux faire et de comment je veux le faire. Après, s’organiser quand on joue pour se maintenir, c’est encore différent.

J’imagine que ton enfance aux Pays-Bas devait être plus tranquille qu’à Zagreb…C’était très tranquille. J’ai fait mon école de foot à La Haye, puis Rotterdam, c’était intensif, mais c’était beau. J’étais très bien à l’école, un bon élève. Quand j’ai fini l’école… (il hésite) secondaire, c’est ça ? J’ai eu la possibilité d’aller étudier en école d’économie à Rotterdam, c’est une très bonne université d’économie en Europe. J’ai commencé, mais ensuite j’ai été gravement blessé, j’ai décidé de me concentrer sur ma blessure et sur le foot.

J’ai perdu quasiment un an de ma vie de footballeur à cause de la paperasse…

Pas de calcul à ce moment-là ? Tu aurais pu décider de laisser ta carrière de côté pour te concentrer sur tes études.Oui, à 18 ans, je n’étais pas encore sûr de faire du foot parce que, dans le football, tu ne sais jamais ce qu’il peut se passer. Mes parents, ils m’ont dit : « L’école, c’est important, donc tu vas jusqu’où tu peux. » Quand tu sors de l’école, tu es sûr que tu as un travail à faire. Quand j’étais blessé, je me suis dit : « Bon, si ça marche pas, j’ai toujours le temps de rentrer à l’école. »

Tu aurais fait quoi si tu avais raté le coche football ?(Il souffle) Je sais pas exactement. Écoute, j’avais envie d’étudier l’économie, donc comme certains businessmen : avec ma cravate, une bonne chemise et tout ça. J’avais ça en tête.

Tu as donc commencé aux Pays-Bas à La Haye, puis ensuite à l’Excelsior et au Sparta Rotterdam, mais tu as vite décidé de rentrer au pays, au HNK Gorica. Tu avais vraiment envie de revenir au pays ?Je suis surtout rentré en Croatie pour régler des problèmes de papiers et j’ai perdu quasiment un an. Je n’étais pas vraiment venu pour jouer, donc en attendant, je m’entraînais dans une équipe avec des amis, et voilà.

Quels problèmes ?En fait, quand tu passes d’un pays à un autre et que tu signes ton premier contrat dans le nouveau pays, il y a un règlement : toute équipe dans laquelle tu as joué peut demander 11 000 euros à ta nouvelle équipe. 11 000 euros pour chaque saison que t’as joué là-bas. La Slovaquie, c’est pas la France, ils n’avaient pas beaucoup d’argent. Alors quand j’ai fait mon début de match (pour le Spartak Trnava, ndlr), deux vieilles équipes ont appelé le club et on dit : « Vous avez fait jouer notre joueur, on veut notre argent. » En Slovaquie, ils me l’ont dit : « Si on te laisse jouer, ça va être un problème pour nous » , donc je suis parti et ils ne m’ont pas donné mon papier pour me laisser libre. J’ai quasiment perdu un an de football avec ces histoires.

En Italie, ils font semblant d’être tes amis, mais s’il y a possibilité de manger ton pain, ils te le mangent, tu comprends ?

L’Italie a fait évoluer ta vision du jeu par rapport au Pays-Bas ? Tu as pratiqué un jeu plus ordonné qui a dû te plaire.J’ai découvert ce qu’était la tactique. Avant, j’avais l’idée que j’étais quelqu’un d’intelligent sur le terrain et que je savais tout, mais je me suis vraiment amélioré. La tactique, c’est vraiment intensif. Ça change par rapport aux Pays-Bas, parce que ça attaque beaucoup, mais les phases défensives importent peu. Et puis j’ai découvert la bella vita, hein ! C’est un autre style de vie. Aux Pays-Bas, si tu sors à 18h, tout le monde est à la maison, à 19h c’est fini de manger et la journée est passée. En Italie, il n’y a personne qui mange avant 20h, 21h, la vie c’est beaucoup plus en dehors de la maison. Puis on mange très bien là-bas, les Italiens sont très rigolos, sympas. Puis en même temps, ils sont très dangereux, fourbes, Il faut être attentif avec eux.

Les Italiens sont fourbes ?Oui, très fourbes.

C’est-à-dire ?Par exemple, dans le vestiaire, il y a des gens qui sont fourbes dans leur comportement. Ils font semblant d’être tes amis, mais s’il y a possibilité de manger ton pain, ils te le mangent, tu comprends ? En France, si quelqu’un ne t’aime pas dans le vestiaire : tranquille tout le monde le sait et y a pas besoin de faire l’acteur. En Italie, il y a beaucoup d’acteurs qui sont très dangereux.

Tu as connu ça à Cesena ou à Livourne ?À Cesena, oui, un peu. Moi, pas directement, je ne suis pas quelqu’un qui cherche les embrouilles. Mais il y a des mecs qui n’ont pas les qualités pour jouer, mais chaque samedi, ils jouent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont une bonne relation avec l’entraîneur, le président, ils sont toujours gentils avec eux, élégants avec tout le monde… C’est ça qui est fourbe.

En Corse, le rapport est plus direct, non ?Oui, voilà, s’il y avait des problèmes, on se le disait en face. Dans le vestiaire, on était des vrais hommes. Des vrais hommes. Si tu regardais les qualités de chacun au niveau du foot, on n’avait peut-être pas notre place en Ligue 1. Mais, dans la pratique, tu avais des vrais mecs sur le terrain. L’exemple le plus clair, c’est (Rodéric) Filippi, qui va se sacrifier pour prendre un ballon sur la cuisse. C’est pas quelqu’un qui va penser « si ça, si ça… » non, il est là. Ça, c’est la mentalité corse, si ça passe pas, ça passe pas. La première chose qu’on avait, c’est d’être là. Toujours.

Tu as déclaré récemment que tu étais surpris d’avoir un staff qui s’impliquait autant dans la vie du club, quitte à recevoir des engueulades inattendues…(Il coupe) Ah oui oui, c’était surtout Johnny, le mec qui lave les vêtements, là…

L’intendant ?Oui, voilà l’intendant, exactement ! Johnny, c’est un mec très sympa avec qui j’ai beaucoup rigolé, j’ai même beaucoup appris le français avec lui. Le problème, c’est qu’il m’a appris beaucoup de mauvaises choses (rires). La première chose que j’ai comprise avec lui, c’est « ferme ta gueule » , et toutes les conneries comme ça, mais c’était très rigolo.

Novak, le grand-père du grand-père de son grand-père était dans le même village que le mien. Donc si tu regardes, on est cousins, mais cousins vraiment éloignés. Loin, loin, loin.

Tu as un souvenir d’une engueulade de Johnny ?Ah oui, il n’y avait pas un jour où il ne s’énervait pas. Et si tu lui réponds un peu, il t’attaque encore plus. C’était magnifique, il créait vraiment une bonne ambiance dans les vestiaires. Si tu viens après l’entraînement, tu dois déposer tes vêtements dans une « box » . Et si tu les mets pas dans la « box » , mais par terre et qu’il repère ton numéro – comme le 23 pour moi – là, t’es mort. Il t’attaque : « Tu commences à faire le beau ? Parce que sur le terrain, samedi, tu faisais pas le beau, t’étais même pas là. »

Le festival de Cannes vient de se terminer, c’est quoi tes références culturelles ? Le dernier film sympa que j’ai vu c’était Seul sur Mars, le mec qui est tout seul sur la planète Mars. Au niveau des livres, moi, j’aime bien lire des biographies. Djokovic, Seedorf – je l’adore, il a un très gros mental – qui j’ai encore… Beaucoup de joueurs des Pays-Bas : Johan Cruyff par exemple. En Italie, Pirlo, c’est très beau à lire. J’aime beaucoup les biographies parce que tu te reconnais dans les histoires que tu lis.

En parlant de Novak, tu confirmes que tu n’as aucun lien de parenté avec lui ?Je suis connecté quand même. C’est un nom pas très utilisé en Croatie. Le grand-père du grand-père de son grand-père était dans le même village que le mien. Donc si tu regardes, on est cousins, mais cousins vraiment éloignés. Loin, loin, loin.

T’as déjà fait du tennis toi ?Non… mais en revanche, j’ai déjà fait du tennis de table.

Et du tennis-ballon à l’entraînement ?Ah ouais, je suis le plus fort de l’équipe, je gagne tout le temps ! J’ai beaucoup joué avec Mangane, mais c’est pas vraiment son truc. Après, j’ai joué avec Grégory Pujol, et avec lui, on a gagné quatre-cinq semaines de suite, on était très bien.

Tu me balances le nom de celui qui est vraiment nul…(Rires) Il n’est pas nul, mais il fait des erreurs stupides, c’est Issiaga Sylla. Il fait beaucoup rigoler, mais il fait des erreurs qui t’énervent.

Si tu devais gagner l’équivalent d’un Grand Chelem dans ta vie, ce serait quoi ?Écoute, concernant le foot, jouer la Ligue des champions, ce serait mon rêve. Jouer en C1 et arriver en Bundesliga, ouais. Ça m’intrigue beaucoup. En fait, aux Pays-Bas, chaque dimanche, tu as le programme là, comme en France, où tu vois les autres championnats. Et à chaque fois, ça commence avec le championnat d’Allemagne. Il y a de très beaux stades, toujours beaucoup de personnes, un football spectaculaire, ça m’a toujours fait forte impression.

On va te retrouver au Gazélec l’an prochain ?Je ne sais pas encore, le football, ça va vite, tu sais… J’aimerais bien en tout cas.

En tout cas, après un an seulement, tu parles très bien français !Bon, pas très bien, mais si tu regardes, après quatre ans, Ibra, il parle toujours en anglais, là au moins, je peux dire que je suis meilleur qu’Ibra. (rires)

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Propos recueillis par Theo Denmat

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