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« On m’a souvent dit que je plantais mieux les choux que les buts »
Formé au Stade brestois et passé près d'une carrière avant une vilaine blessure au genou, Thomas Cotty aurait pu toucher du doigt au National avec Concarneau, monté cette année. Mais en août, il a préféré dire stop et consacrer ses journées aux fruits et légumes sur les marchés. Entretien avec un mec qui sait comment évoluer sur un champ de patates.
Thomas, tu as fait le choix cet été de faire une croix sur l’opportunité de découvrir le National avec Concarneau pour te consacrer à ton activité professionnelle de primeur. Ce n’était pourtant pas le deal initial en cas de montée, non ?Non, je m’étais dit qu’en cas de montée, je ferai une saison de plus et m’arrêterai. Mais du coup, les entraînements ont été avancés avec la montée et ça me faisait me lever une heure plus tôt pour m’avancer et m’adapter sur le temps que je ne pourrai passer au travail, donc ça devenait compliqué d’allier mes deux activités, qui commençaient à se chevaucher. Une journée type pour moi, c’était réveil à 4h30. Comme j’habite à Brest et dois aller chaque matin prendre mes légumes et charger mon camion ou aller aux champs à Saint-Pol-de-Léon, dans le Nord-Finistère, j’avais 45 minutes de voiture. Après, je rentrais sur Brest vers 16h30, prenais une douche, partais à 17 heures pour une heure de route vers Concarneau et l’entraînement. Je faisais le chemin en sens inverse ensuite pour regagner Brest vers 21h30.
Et pas simple d’avoir une vie de famille dès lors, j’imagine…Avec ma copine, que j’ai rencontrée quand je jouais à Brest, on a trouvé notre équilibre et ça ne la dérangeait pas. On se voyait peu, mais le peu de temps qu’on passait ensemble durant ces années, c’étaient des beaux moments et on avait à chaque fois plein de choses à se raconter. Et elle comme moi avons passé de bons moments avec les diverses épopées en Coupe de France par exemple. Ce n’était pas un frein et on n’avait pas d’enfants, donc on s’en est toujours bien sortis.
Le comble, c’est que tu as grandement participé à cette montée avec Concarneau et même marqué lors du match décisif contre Trélissac en mai dernier…Je marque un ou deux buts par saison, je ne suis pas un buteur. Et Vincent Richetin, avec qui je faisais la route car il est Brestois comme moi, me disait toujours : « Tu marqueras le but décisif, celui de la montée ! » Finalement, ça n’a pas été le but de la montée, car il y en a eu cinq, mais il nous a bien lancés.
Buteur sur l’ouverture du score :
C’est vraiment sans regret que tu tournes le dos au haut niveau ?Si, bien sûr. Je suis à mon compte et associé depuis un an et demi. Cette activité a pris de plus en plus de place dans ma vie et des opportunités ont continué à augmenter la cadence. J’aurais préféré que ça arrive après mes aventures footballistiques, continuer à vivre cette passion, mais en même temps, c’est une chance pour une entreprise, dans la conjoncture actuelle, de pas mal tourner. Et comme je suis plus proche de la fin que du début sur le plan footballistique… Si j’avais eu vingt ou vingt et un ans, j’aurais sans doute privilégié le côté sportif. Mais là, à presque trente ans…
Comment es-tu tombé dans le monde du ballon et dans les choux justement ?Pour le foot, petit, j’ai commencé grâce au père de mon voisin, qui était entraîneur au Stade morlaisien, ma ville de naissance, donc j’ai très vite été près des terrains, puis sur le terrain. Et j’ai fait mes classes, avant d’être repéré par le Stade brestois lors d’un match en Gambardella. J’ai fait six ou sept saisons là-bas et je me suis blessé gravement au genou pour ma première année en pro. Des médecins m’avaient même dit d’arrêter à cause de problèmes osseux. Concarneau m’a ensuite tendu la main pour une saison pleine et sans douleur en CFA, avant deux années à Plabennec, et à nouveau deux ans à Concarneau. Et pour les choux, ma copine et l’ex-copine de mon associé étaient amies. Et un jour, elle me propose une soirée. C’est drôle avec le recul, parce qu’elle m’avait prévenu que je rencontrerai un milieu complètement différent du mien. Sans faire de cliché bas de gamme sur les footeux, la mentalité est assez éloignée de celle du monde paysan. Et je suis parti avec des a priori. Quand bien même elle m’avait dit que Maxime aimait le foot, c’était mal engagé de mon côté. Et on a eu un coup de foudre amical, on n’a parlé ni de foot, ni de choux. Un jour, il était dans le jus, je l’ai accompagné sur un marché et ça s’est bien passé. J’ai ensuite repris mes études sur le tard et je suis rentré dans son entreprise en alternance pour un BTS. J’ai eu mon diplôme et comme la boîte s’est développée, c’était parti et on s’est associés.
Tu parlais de dualité de valeurs entre le monde du foot et le monde agricole. Tu penses qu’une immersion professionnelle comme la tienne détendrait quelques starlettes, comme tu en as peut-être croisé sur les terrains, si tu les emmenais sur les marchés à 6 heures du mat’ ?Le foot ne m’est jamais trop monté à la tête, je n’ai jamais trop brillé sur les terrains à cause de ma blessure, mais j’ai croisé des joueurs un peu déconnectés de la réalité, oui. Et ça se comprend : plus on est en haut, plus on est choyés, protégés, surprotégés et assistés. On fait tout pour nous et on prend l’habitude d’être aidés pour tout… Je comprends que l’après-carrière soit difficile à gérer pour certains. À mon avis, la plupart des joueurs pros ne se rendent pas compte de la réalité du travail, pas forcément dans les champs d’ailleurs, mais de la vie active, du commun des mortels gagnant un SMIC ou un peu plus. Dans le foot, beaucoup considèrent ça comme un travail, mais ça n’en est pas vraiment un. Tu as juste à te lever le matin, t’entraîner, jouer, et entre-temps, te reposer et pas faire trop d’excès… Après, ce n’est pas donné à tous, il faut être prédisposé et il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, on peut respecter.
Quels souvenirs resteront comme les plus forts de toutes ces années de joueur ?Le plus beau, ça reste le quart de finale de Coupe de France contre Guingamp en 2014-2015 (défaite 2-1 dans les arrêts de jeu). Il y a aussi eu le huitième de finale contre Lille avec Plabennec, d’autres moments forts en émotion. Et cette montée en National bien sûr. C’est l’accomplissement de toute une saison, on était usés physiquement et mentalement et on monte sur le premier match.
Le dimanche étant par nature un gros jour sur les marchés, tu vas pouvoir prendre une licence en amateur pour le plaisir ?J’ai déjà eu quelques coups de fil de clubs locaux, mais non. Le dimanche, j’ai un rituel où je retrouve mes collègues de marché et l’après-midi, on a nos moments d’amitié, avec un groupe de jeunes de tous milieux, celui des fleurs, celui de la pêche par exemple, et on mange toujours un morceau et on boit un coup tous ensemble. C’est vraiment un plaisir que j’aurais du mal à mettre de côté. (Rires)
Ton entreprise propose ses produits sur les marchés ou via des paniers livrés à domicile. À l’heure où on entend beaucoup parler de crise agricole, comment ça va pour toi et ton associé et toi ?Mon associé a fait le choix il y a six ans déjà de se lancer dans le bio. Ses parents étaient de petits agriculteurs et il a toujours bien mangé, en tout cas des produits non traités. Il avait aussi travaillé dans de grosses exploitations auparavant, où les paysans traitaient leurs terres à fond. Et il a un ami qui est parti à l’aube de ses quarante ans. Financièrement, il s’en sortait bien, mais il est mort jeune d’un cancer du poumon, donc il a vite compris qu’à force d’inhaler des produits phytosanitaires, ça avait eu de graves conséquences. Donc ce choix a été bénéfique du point de vue de la santé. Et tous les reportages, les études sur les méfaits des produits traités sont bénéfiques pour nous, puisqu’ils tendent à le prouver. Il y a aussi une prise de conscience du consommateur. Et tout ça mélangé fait qu’on arrive à s’en sortir mieux. Les aspects santé publique et éthique nous paraissent important. Bien sûr, si financièrement, on ne pouvait s’en sortir, on aurait arrêté, mais il n’y a pas que ça qui guide nos choix.
Même s’il y a de l’argent dans certains clubs de CFA, les ressources tirées de ton activité professionnelle sont sans commune mesure avec ce que t’offrait le football ?À Concarneau, sachant que j’étais un joueur présent depuis plusieurs épopées, j’avais un peu de crédit auprès du club et j’avais réussi à obtenir cet été ce que je voulais en matière de prétentions salariales. Donc je ne vais pas mentir, j’avais une vie confortable avec ce que m’offrait en plus le foot. Mais l’argent ne fait pas le bonheur comme on dit. Il y a un confort de vie, des perspectives professionnelles intéressantes. Je gagnerai sûrement moins, mais trouverai plus de plaisir dans ma vie de tous les jours.
Et avoir été dans le foot, ça aide à trouver des débouchés pour ton activité, ou d’avoir des clients du monde du ballon rond ?C’est exact ! Avec nos épopées de coupe à Concarneau, ça nous a offert à chaque fois des coups de pub non négligeables. Des reportages, en deux ans de belles aventures, en presse écrite ou à la télé, surtout que je suis un cas un peu à part dans le milieu du foot, qui intéressait, j’en ai eu quelques-uns et ça a été un vrai coup de pouce. Je n’étais pas le seul de Concarneau à travailler, mais c’étaient des métiers aménagés, et pas avec la même usure physique. Bon, l’usure mentale d’un agent immobilier ou d’un banquier est parfois pire…
Et des footeux qui te demandent des conseils pour savoir comment bien jouer la carotte ou autre expression en lien avec ton monde pro, tu en as croisé quelques-uns ?Oui, mais c’est rigolo. Quand je suis arrivé à Concarneau, il y a eu un peu de chambrage, mais c’est toujours sympa. On me disait souvent que, étant donné que notre entreprise s’appelle Savez-vous planter des choux, j’arrivais mieux à les planter que les buts, mais c’était toujours bon enfant.
Propos recueillis par Arnaud Clement